Hier, le Parlement a donné son aval pour l'amnistie des contribuables marocains ayant fait fuir leurs capitaux à l'étranger. Parallèlement, le gouvernement lance une opération d'abandon des pénalités sur les retards d'impôts, à condition de les régler avant le 31 décembre prochain. Ces mesures, généralement prises à des occasions précises, semblent être motivées par le besoin crucial de liquidité. D'après des économistes marocains, le gouvernement chérifien vient de prouver son incapacité quant à la question fiscale. Explications. Malgré la réticence des conseillers, l'amendement relatif à l'amnistie sur les biens et avoirs obtenus illégalement à l'étranger par les Marocains (résidant au Maroc) a finalement été adopté en deuxième lecture devant la Chambre des représentants, mercredi 25 décembre, rapporte Medias 24. Le texte a toutefois subi des modifications. Entre autres, la proportion du montant rapatrié devant être définitivement cédée sur le marché de change marocain est passée de 50% (dans le premier texte) à 75% désormais. En outre, le taux de contribution libératoire a été fixé à 2% du montant converti en dirhams et 5% du montant resté en devises, tout cela dans le but d'amener les contribuables concernés à convertir en dirhams le maximum de leurs avoirs à l'étranger. Pour boucler l'année 2013, une autre mesure fiscale a été prise par le gouvernement. Il s'agit de l'abandon des pénalités, majorations et frais d'enregistrement pour les contribuables ayant des retards d'impôts, s'ils payent avant le 31 décembre prochain. Pour l'occasion, la Direction générale des impôts (DGI) ouvrira spécialement ses bureaux ce week-end (28 et 29 décembre) pour permettre aux retardataires de passer à la caisse. Au regard de tout cela, force est de constater que ce type de mesures, généralement prises à des occasions précises, voire exceptionnelles (lors de la nomination d'un nouveau gouvernement ou l'adoption d'un nouveau système fiscal), interviennent sans qu'aucun motif clair ne soit évoqué. Mais, il est aujourd'hui évident que le but pour les autorités est de faire face au manque de liquidité de l'Etat de plus en plus inquiétant. D'ailleurs le professeur Najib Akesbi (économiste et enseignant à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II à Rabat) le confirme. «C'est clair, l'instruction a été donnée de ramasser le plus d'argent possible peu importe la manière, l'essentiel étant qu'il y ait des entrées», affirme-t-il à Yabiladi. «Aveu de l'Etat de son incapacité à prélever l'impôt dans les conditions de droit» Pour lui, «l'amnistie est un aveu d'échec» de la part du gouvernement. «Il n'a pas été capable de prélever l'impôt dans des conditions de droit, ni de régler les problèmes par des poursuites pénales. Prenons le cas de l'abandon des majorations qui sont des entrées pour l'Etat. Y renoncer – si on s'en tient à la loi – est un manque à gagner», explique l'économiste. «En procédant ainsi, l'Etat reconnait son impuissance face au dysfonctionnement de l'administration. Et cela pose des problèmes politiques considérables», ajoute-t-il. Ce point de vue, l'économiste Mohamed Chiguer le partage entièrement. D'après lui, les mesures fiscales actuellement prises par le gouvernement montrent que «l'administration fiscale ne joue pas son rôle». «Et le plus inquiétant, c'est que l'Etat ne fait rien contre cela», déplore-t-il. Anarchie au sein de l'administration fiscale au Maroc Même au sein de la population, certains contribuables aujourd'hui concernés par la mesure d'abandon des pénalités sont choqués. L'un d'eux – qui a requis l'anonymat - confie à Yabiladi qu'il a reçu, le 19 décembre, un «dernier avertissement» pour le règlement d'impôts sur la période 2008-2013, portant sur sa résidence secondaire à Ifrane. «Pour être redevable de la taxe d'habitation, il faut avoir au moins obtenu le permis d'habiter. Mais jusqu'à ce jour, j'attends encore. Admettons, je dois payer. Un dernier avertissement suppose quand même que j'ai été régulièrement informé de cette redevance. Mais non, je n'ai pas reçu le moindre avis en six ans», relate ce contribuable déçu, soulignant que de nombreuses personnes se retrouvent dans la même situation aujourd'hui. L'homme est retourné vers le fisc pour obtenir des explications. «Ils m'ont dit qu'ils n'ont aucun moyen de savoir si le contribuable reçoit effectivement l'avis, car celui-ci transite par plusieurs bureaux dont la Direction régionale à Meknès et le service central d'informatique à Casablanca», explique-t-il dépassé par le fait qu'il n'y ait «aucune procédure». Il est vrai que dans le lot, on trouve aussi de nombreux contribuables qui ne s'acquittent pas délibérément de leurs impôts. D'ailleurs révèle M. Chiguer, «d'après les experts, les arriérés fiscaux au Maroc tournent autour de 40 milliards de dirhams». Cependant, estime l'économiste, «l'abandon des pénalités encourage les mauvais payeurs». Idem pour l'amnistie sur l'évasion fiscale qui «donnera libre court aux fraudeurs», dit-il en soulignant sur un ton de déception que «la situation financière de l'Etat est si mauvaise qu'il est à l'affût non pas du dirham, mais du centime». Où est la réforme ? Par ailleurs, ces deux mesures fiscales soulèvent à nouveau la question relative à la réforme fiscale. Cette réforme tant attendue depuis longtemps, et même fortement conseillée par le FMI. Selon M. Akesbi, l'Etat ne fait qu'entretenir la gangrène au lieu de traiter les problèmes de fonds. Pour lui, la réforme fiscale est une urgence depuis longtemps, d'autant plus que «le système tel que présenté dans la loi de finances 2014 permet de couvrir moins de 60% des dépenses de l'Etat, ce qui n'est pas du tout rassurant». Au moment où la dette du Maroc ne fait que s'aggraver, le gouvernement semble avoir le couteau sous la gorge. Mais est-ce une raison pour accepter tout et n'importe quoi ?