En fin d'année dernière, l'équipe du professeur Abderrahmane Ibhi du laboratoire Géohéritage et géomatériaux de l'Université Ibn Zohr d'Agadir annonçait triomphalement que les mythiques lacs d'Isli et Tislit dans l'Altas avaient été formés par la chute d'une météorite. Aujourd'hui, l'équipe du professeur Hasna Chennaoui du laboratoire GAIA de la faculté de Sciences de Aïn Chock de l'université Hassan II de Casablanca est certaine d'avoir la preuve du contraire. Yabiladi a confronté leurs points de vue dans une interview croisée. Yabiladi : Comment se fait-il que vous ayez effectué les mêmes recherches sur l'origine des lacs d'Isli et Tislit mais que vous n'en ayez jamais discuté entre vous ? Abderrahmane Ibhi estime que les deux lacs sont nés de la chute d'un astéroïde (Agadir) : Mme Chennaoui et moi même avons fait nos études ensemble, notamment notre DEA à Paris, puis travaillé dans le même laboratoire à Jussieu à l'université Paris VI. Nous avons fait notre thèse ensemble. Nous avons logiquement commencé à travailler ensemble sur les météorites, au Maroc, mais il y a eu un petit malentendu et elle a souhaité arrêter. Je ne préfère pas être plus précis pour ne pas envenimer la situation. Hasna Chennaoui estime que les deux lacs se sont formés naturellement (Casablanca) : En2006, M. Ibhi - que je connais très bien car nous avons fait nos études ensemble - m'a contactée car il voulait que je l'initie à la recherche sur les météorites, mais il y a eu des problèmes dans le genre de ce qui se passe aujourd'hui. La recherche du sensationnel c'est très bien mais seulement quand c'est basé sur des réalités scientifiques validées par nos pairs, pas quand c'est fait en dépit de toute rigueur scientifique. Je tiens beaucoup à ma crédibilité scientifique, elle me coûte très cher, j'ai donc décidé de ne plus associer mon nom aux travaux de ce collègue, pour lequel, j'ai par ailleurs une grande amitié. Quelle a été votre réaction en découvrant les conclusions des recherches de l'autre équipe de recherche ? A.I. : J'ai été très surpris par cet article. L'équipe de Casablanca aurait pu prendre contact avec nous ou au moins nous appeler. Il est facile de nier nos conclusions ainsi, par la suite. H.C. : Les normes extrêmement sévères des sciences exigent qu'avant de faire des déclarations publiques qui engagent toute une université voire un pays, on se base sur une publication scientifique antérieure car elle prouve que la recherche a été validée par d'autres scientifiques. Le Maroc est l'un des pays les plus riches du monde en matière de météorites et je travaille depuis plusieurs années à son positionnement sur le plan international. Je ne veux pas risquer de perdre notre crédibilité scientifique. Etes-vous totalement sûrs des conclusions de vos propres recherches ? A.I. : Quand nous disons que les deux lacs sont des cratères d'impact, c'est sûr que ce n'est pas certain à 100%, mais je me base sur des faits scientifiques précis auxquels s'applique ensuite mon interprétation. J'ai une équipe de vrais géologues et nous avons enquêté pendant plusieurs semaines, avant de nous prononcer. Nous nous appuyons sur un faisceau d'éléments qui servent de bases à nos conclusions H.C. : Totalement, et je n'ai rien inventé. Ce que je dis se base sur des recherches anciennes qui ont déjà été validées et qui expliquent la formation des lacs par le synclinal [l'eau s'accumule au creux des plis formés normalement par les couches de sédiments, ndlr]. Pendant nos recherches, notre équipe était accompagnée du professeur W.U. Reimold qui est l'un des deux spécialistes mondiaux des cratères d'impact. L'un des points d'opposition clés entre vos deux équipes est la distance mesurée entre les lacs et la météorite d'Agoudal. Selon vos recherches, à quelle distance du lac ont été trouvées les météorites ? A.I. : Depuis décembre [date de ses premières révélations publiques, ndlr], nous avons continué nos recherches. Nous avons retrouvé des météorites à même pas 100m du lac d'Isli. Les types de météorites ne sont pas les mêmes mais cela ne prouve pas qu'elles n'aient pas appartenu au même astéroïde. Vu sa taille - plus de 100m de diamètre -, il a pu être composé de roches hétérogènes. Par ailleurs il est normal de ne pas trouver les météorites à l'intérieur même des cratères d'impact car avec la puissance du choc, équivalente à 75 bombes d'Hiroshima, tous les matériaux sont évacués. On retrouve les météorites plus loin. H.C. : Ce n'est même pas la question, les couches sédimentaires autour des lacs n'ont pas été retournées, traumatisées par un impact. Les critères qu'il faut pour établir un cratère d'impact ne sont tout simplement pas réunis. A.I. : Il y a d'autres éléments qui permettent de conclure que les deux lacs sont des cratères d'impact de météorites. On a trouvé des failles, des brèches d'impact. Si Mme Chennaoui n'en a pas trouvé cela ne signifie pas qu'il n'y en a pas, seulement qu'elle ne les a pas vues. Moi et mon équipe, nous les avons vues. Il y a à l'intérieur des quartzs choqués, c'est-à-dire formés sous l'effet d'un choc extrême qui correspond à l'énergie dégagée par la chute de l'astéroïde. H.C. : Il y a effectivement des brèches autour des lacs, mais il s'agit de brèches sédimentaires ou tectoniques, elles n'ont rien à voir avec un impact. De quelle direction allez-vous poursuivre vos recherches autour des lacs d'Imilchil ? A.I. : En fait, dans l'axe Isli-Agoudal, avec l'aide de la population et des caïds, nous avons retrouvé au total une quinzaine de météorites. Mon équipe en a ramassé elle-même près de 9 à 10. Grâce à leur localisation, j'ai pu tracer l'ellipsoïde de chute de l'astéroïde, le «strayfield» [zone de dispersion des débris de météorites qui permet de connaître la direction de leur chute, ndlr] que je présenterai prochainement. Je présenterai non seulement mon travail à la conférence de Londres, mais aussi à l'International Meteor Conference, et à Meteroïds à Poznan, en Pologne, fin août H.C. : Nous préparons un article sur le sujet pour le publier dans un vrai journal scientifique spécialisé en météorites et cratères d'impact. Lors de la conférence annuelle de la Meteoritical Society 2013 à Edmonton au Canada, une équipe de scientifiques russes présentera également sa recherche sur la chute de la météorite d'Agoudal. Nous allons travailler sur des missions de terrains avec eux. En septembre 2014, grâce à mon travail de placement du Maroc sur la scène internationale, le royaume accueillera la 77ème édition du congrès annuel de la Meteoritical Society.