Alors que les assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale sont prévues au Maroc du 9 au 15 octobre 2023, Oxfam a publié, jeudi, un nouveau rapport sur les inégalités dans la région MENA. Dans ce document, l'ONG appelle le FMI à être «un partenaire dans la réduction des inégalités». En l'espace de trois ans, les plus grandes fortunes de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord ont presque doublé leurs richesses, faisant que le MENA soit désormais «la région plus inégalitaire au monde», selon un rapport d'Oxfam sur les inégalités. Publié jeudi 5 octobre, à quelques jours de l'ouverture des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech (Maroc), le document souligne que cette zone connaît beaucoup de stigmate des politiques d'austérité. Parmi les grandes lignes de ce rapport, l'ONG internationale soutient que «taxer les fortunes de 5 millions de dollars et plus à hauteur de 5% pourrait rapporter 1,22 milliard de dollars, une réponse essentielle face à la facture de 11,7 milliards pour la reconstruction post-séisme», en référence au tremblement de terre du 8 septembre dernier dans le royaume. Les 0,05% les plus riches de la région, à savoir 106 080 personnes disposant d'une fortune supérieure à 5 millions de dollars, ont en effet «vu leur richesse bondir de 75%, passant de 1 600 milliards de dollars en 2019 à 3 000 milliards à la fin de l'année 2022», en contraste avec la situation globale de l'endettement des pays de la région. En effet, Oxfam rappelle que la dette publique en Tunisie «est passée de 43% du PIB en 2010 à 80% en 2021, en Egypte de 70% à 90% et au Maroc de 45% à 69%». Au Liban, ce chiffre a grimpé jusqu'à 151% en 2020, poussant le pays à se mettre en défaut de paiement. La pandémie a creusé davantage les écarts Oxfam souligne que la pandémie aurait «même renforcé cette tendance», ancrée dans un contexte déjà établi de décennies de politiques d'austérité. Cette situation, selon l'instance, a «affaibli les institutions publiques et rendu les économies fortement tributaires du travail informel, du travail non rémunéré des femmes et de services publics privatisés, exacerbant les inégalités car uniquement abordables pour un nombre de plus en plus restreint de personnes». En Jordanie et au Maroc, l'élite fortunée a par ailleurs «prospéré entre 2019 et 2022, la richesse nette des personnes les plus riches passant respectivement de 19 à 31 milliards de dollars et de 28,6 à 31,5 milliards de dollars», ajoute le rapport. En l'état, «les personnes vivant dans la pauvreté et les classes moyennes en ont payé le prix par le biais de mesures d'austérité toujours plus strictes, les finances publiques étant asséchées sous la pression d'un service de la dette de plus en plus lourd», constate encore Oxfam. Celle-ci souligne que la région MENA «est également un paradis pour les entreprises qui bénéficient d'incitations fiscales substantielles, au détriment de la croissance des finances publiques». Au Maroc, le coût total des incitations fiscales a atteint, en 2021, l'équivalent de «l'ensemble du budget de la santé pour cette année-là». En Tunisie, «la valeur des incitations fiscales accordées aux entreprises, soit 7,75 milliards de dollars, était supérieure au budget de l'éducation et deux fois plus élevée que celui de la santé», ajoute la même source. Le rapport estime que «inégaux» ces systèmes d'imposition, symptomatiques de «la promesse non tenue du FMI de soutenir une fiscalité juste et des systèmes d'imposition équitables par le biais de ses nouveaux programmes de prêts avec les pays de la région». «Alors que les conseils politiques qu'il prodigue à ces pays appellent souvent à la mise en place de systèmes d'imposition équitables qui contrôlent efficacement les entreprises et les particuliers fortunés, ses propres mesures ne tiennent souvent pas compte de ces recommandations», déplore Oxfam. L'ONG souligne même que «là où le FMI avait initialement préconisé des réformes de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ou morales dans les pays de la région MENA, les politiques introduites ont été soit aléatoires, soit timorées, soit éludées par celles et ceux qu'elles ciblaient». Un impôt sur la fortune pour renforcer les services publics Cette situation contraste aussi avec les efforts du FMI «pour étendre la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et supprimer les subventions ont été plus largement adoptés», souligne le document, ajoutant que «le manque à gagner n'est pas seulement dû à des systèmes d'imposition défaillants, obsolètes et qui accroissent les inégalités», mais aussi à «la fraude et l'évasion fiscales», dans des systèmes d'imposition «poreux». Dans les quatre pays étudiés dans son rapport (Egypte, Jordanie, Liban et Maroc), Oxfam insiste qu'«un impôt sur la fortune de 5% pour les personnes dont la fortune est supérieure ou égale à 5 millions de dollars générerait des recettes combinées de 10 milliards de dollars». «Ces fonds pourraient être utilisés pour renforcer et étendre les services publics et les politiques à celles et ceux qui en ont le plus besoin», plaide l'ONG. Ce processus pourrait permettre à l'Egypte de doubler son budget de santé à la Jordanie de doubler celui de l'éducation ou au Liban de multiplier par sept son budget combiné des deux secteurs. Dans ce sens, Oxfam recommande notamment d'«appliquer un impôt progressif permanent sur la fortune, avec un taux permanent d'au moins 2% sur la fortune nette», en plus du renforcer des régimes de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, «en veillant à ce que le taux effectif des super riches soit beaucoup plus élevé que celui des travailleurs et travailleuses moyen·nes et de la classe moyenne». Les inégalités, les richesses et les revenus doivent être tracés annuellement Oxfam préconise aussi d'«introduire des taxes foncières progressives qui garantissent une contribution équitable des principaux propriétaires fonciers et immobiliers aux efforts de mobilisation des ressources nationales». Par ailleurs, rendre l'impôt sur le revenu des sociétés plus efficace devrait passer par «abolir les régimes fiscaux préférentiels, en particulier pour les zones spéciales et éligibles, et réexaminer les incitations et exonérations fiscales actuelles sous l'angle de l'équité et de la justice sociale, de la justice de genre et de la justice fiscale». A ce titre, Oxfam souligne que le FMI «est un acteur historiquement influent dans la région MENA», où il fournit une assistance financière à au moins trois pays. Ainsi, l'institution financière «devrait préconiser aux pays des mesures alternatives pour garantir un relèvement davantage centré sur l'humain après la pandémie et les crises économiques», plaide le rapport. Pour ce faire, l'ONG recommande d'«insister auprès des gouvernements pour qu'ils mesurent les inégalités et qu'ils collectent et publient chaque année des données sur la richesse et les revenus», «travailler avec les autorités pour fixer des objectifs clairs et limités dans le temps pour réduire les inégalités», ou encore «veiller à ce que tous les objectifs macro-économiques et autres réformes structurelles des programmes de prêts fassent l'objet d'une analyse des effets redistributifs, afin de s'assurer qu'ils réduisent (plutôt que de creuser) les inégalités. Par ailleurs, Oxfam a appelé le FMI à «intégrer dans son analyse d'autres objectifs macro-économiques des programmes, comme l'inflation et les déficits budgétaires, y compris le rythme auquel ils doivent être réduits et le niveau à viser». L'ONG plaide, ainsi, pour que «les décisions macro-économiques fondamentales ne soient pas prises à huis clos par les chef·fes de mission du FMI avec les ministres des Finances». «Elles doivent au contraire s'inscrire dans un dialogue national inclusif et transparent, au cours duquel différentes options sont présentées et débattues et dont émerge un large consensus sur la stratégie économique et fiscale appropriée à suivre», soutient l'organisation.