Le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a dévoilé, ce mercredi, les conclusions préliminaires de sa mission d'information, créée pour analyser les faits du 24 juin dernier à Nador, lorsque près de 2 000 migrants ont tenté de traverser la clôture avec Melilla. Selon ses observations, de nombreux facteurs doivent être considérés pour garantir la dignité des personnes en migration. Le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a rendu public, ce mercredi, son rapport et ses conclusions préliminaires concernant les faits survenus vendredi 24 juin, au niveau de la clôture de Melilla. Ces données ont été recueillies par la mission d'information créée à cet effet. Outre les données factuelles et chiffrées sur le drame qui a fait 23 morts et 77 blessés parmi les migrants, 140 autres parmi les forces de l'ordre marocaines, les observations et recommandations de l'instance ont porté sur des aspects en amont, pour reconsidérer certains axes de la gestion des migrations entre l'Union européenne et ses partenaires du sud. Dans son rapport, le CNDH a considéré que «les affrontements sans précédent au point de passage de Melilla questionnent le partenariat maroco-européen et appelle à sa relance, dans un partenariat réel et égalitaire, notamment en matière de responsabilité et de gestion conjointe de l'afflux de migrants». Ainsi, il a recommandé aux autorités marocaines d'«initier de nouvelles consultations avec l'Union européenne, pour mettre en place un partenariat réel et partagé, en termes de responsabilité et de gestion communes, selon des bases qui permettraient une pleine implémentation des dispositions du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière». Repenser la migration dans le principe de libre circulation Au niveau continental, le CNDH a appelé l'Union africaine à «proposer des mesures concrètes pour une implication sérieuse des gouvernements dans la gestion de la migration et de ses causes profondes, d'une manière qui garantisse la sécurité et la dignité des citoyens d'Afrique». «Les affrontements sans précédent doivent activer la vision systémique qui tient compte du développement local, du fléau des guerres et des conflits, des dérèglements climatiques et de la coopération entre les différents pays concernés, car nous avons besoin que la migration retrouve son essence, à savoir un principe de libre circulation des personnes et un projet de vie dans ses dimensions sociales, culturelles, économiques et politiques», a déclaré la présidente du CNDH, Amina Bouayach, lors de la présentation des conclusions de la mission d'information. «Nous espérons que les conséquences de la souffrance [due aux événements du 24 juin, ndlr] ne disparaîtront pas sans avancées dans la création de conditions de vie dans la paix et la dignité pour migrants, où qu'ils aillent», a plaidé la responsable. Membre de la mission d'information et président de la Commission régionale (CRDH) Souss-Massa, Mohamed Charef a déclaré à Yabiladi que «depuis la mise en place de la politique d'externalisation des frontières européennes, le Maroc, comme beaucoup d'autres pays d'Afrique et la Turquie, en Europe centrale, ont essayé de résister à cette approche». «Aujourd'hui, nous voyons que les réelles frontières géographiques de l'UE ne sont pas là où on le pense, elles sont de plus en plus éloignées, lorsqu'on observe le traitement de la migration à partir de pays du sud, notamment le Niger», a-t-il ajouté. Pour le chercheur et spécialiste en migration, «cette externalisation s'est accompagnée par ce qu'on appelle depuis les années 1980 un 'verrouillage des frontières' et nous l'avons vu avec le renforcement de la clôture de Melilla au fil des années, avec un système sécuritaire de plus en plus renforcé et de plus en plus coûteux, surtout en termes de vies humaines, car il n'empêche pas la tentative de traversée». ONU : Le HCDH appelle l'Espagne et le Maroc à faire une enquête «efficace et indépendante» Dans ce contexte, «le Maroc a mis en place, à partir de 2013, une politique qui s'est voulue humaniste et réaliste, avec la Stratégie nationale de l'immigration et de l'asile (SNIA) qui doit être territorialisée, pour renforcer l'accompagnement et régularisation. La somme de ces conditions fait que le Maroc se confronte parfois à des situations dramatiques comme celle vécue le 24 juin dernier», considère encore Mohamed Charef. Le membre de la mission d'information rappelle qu'«il y a toujours des discussions entre le Maroc et les partenaires européens pour une gouvernance des questions migratoires, mais cette dynamique n'est plus toujours évidente, non seulement pour le Maroc mais pour tous les pays tiers qui sont dans la même situation, ce qui nécessite donc d'explorer d'autres pistes de coopération, à savoir apporter des solutions directement dans les zones de conflit». Dans ce sens, Mohamed Charef rappelle que «l'Europe s'est mobilisée pour l'Ukraine mais ne l'a pas fait de la même manière pour la Syrie, l'Erythrée, le Soudan et l'Ethiopie, lors des conflits armés qui ont créé des mouvements de déplacements des populations». Le CNDH ne tranche pas sur les origines des blessures Concernant les éléments factuels et chiffrés des événements du 24 juin, la mission d'information a indiqué dans son rapport avoir recueilli des témoignages de quelques-uns des migrants blessés hospitalisés à Nador. Selon eux, «le grand nombre de personnes, leur volonté de traverser la clôture par tous les moyens et au même moment et le maintien de la fermeture du passage au niveau des portes ont fait tomber beaucoup de migrants, qui (...) ont été renversés ou piétinés». La mission a recueilli aussi des témoignages, notamment d'organisations non-gouvernementales, indiquant l'hypothèse de violences derrière la clôture en raison de la réticence des autorités espagnoles à fournir une assistance et du secours malgré la bousculade et la fermeture des grilles en fer. En ce qui concerne certains des migrants blessés, le CNDH a indiqué ne pas avoir été en mesure de déterminer l'origine des blessures, «entre l'hypothèse d'une chute de la clôture, le surnombre et la possibilité d'un recours disproportionné à la force». Melilla : Des associations marocaines se mobilisent pour le respect de la dignité humaine Toujours est-il que les décès enregistrés «ont été causés par asphyxie mécanique sur suffocation provoquée par la bousculade et l'agglutination du nombre important de victimes dans un espace hermétiquement clos (catastrophe de masse), avec mouvement de foule en panique», a souligné le CNDH. Ce dernier, qui a mené des entretiens avec les autorités, les ONG et les migrants blessés hospitalisés, indique que «tous ont unanimement soutenu qu'il n'y a pas eu de recours aux balles» du côté marocain. «Les forces de l'ordre ont utilisé des matraques et du gaz lacrymogène», tandis que «l'autopsie demeure la seule voie à même de vérifier avec précision les causes de décès dans chaque cas», selon l'institution. Dans ce sens, «aucune des personnes décédées lors de la tentative de franchir la clôture n'a été enterrée», contrairement aux informations sur leur possible inhumation au cimetière Sidi Salem de Nador. Par ailleurs, «la mission d'information s'est assurée du nombre des corps lors de sa visite à la morgue» et la CRDH «assure le suivi des procédures d'autopsie et d'analyse ADN». Président de la Commission régionale de l'Oriental et coordinateur de la mission d'information du CNDH, Mohamed Amarti a confirmé à Yabiladi que les membres de la CRDH suivent également le déroulement du procès des migrants, poursuivis dans le cadre des faits du 24 juin dernier. «Nous suivons et observons les audiences où les migrants ayant participé à cette traversée sont entendus par la justice, pour rédiger des rapports quant au respect des exigences d'un procès équitable, du droit à la défense, entre autres. Les conclusions de cet aspect judiciaire seront ajoutées aux conclusions finales du CNDH concernant les événements du 24 juin», nous a-t-il déclaré. Article modifié le 13/07/2022 à 18h39