L'élaboration d'une nouvelle loi de finances en France dans un contexte de déficit abyssal et des garanties de la part des partis de ne pas censurer le gouvernement dès ses premières heures sont les principaux ingrédients de réussite de la mission du nouveau locataire de Matignon, le centriste François Bayrou. Nommé après le bras de fer sur le budget social entre les partis de gauche et du Rassemblement national (RN) et Michel Barnier qui a valu à ce dernier son poste de premier ministre, M. Bayrou, un homme de consensus, doit jouer l'équilibriste pour ficeler une nouvelle loi de finances en un temps record et faire en sorte de ne pas tomber dans le piège de son prédécesseur en utilisant l'article hautement inflammable de la Constitution, le fameux 49.3, pour faire passer des textes sans l'aval des députés. Avant cela, M. Bayrou, 73 ans, devra composer son gouvernement selon les orientations du président de la République Emmanuel Macron qui veut un cabinet serré au service de l'intérêt général, sur la base d'un "arc républicain" où toutes les forces politiques hors RN et « La France Insoumise » (LFI) se retrouvent autour d'un projet de gouvernement. A cette fin, François Bayrou a entamé dès lundi ses consultations avec les partis sauf les membres de LFI qui ont décliné l'invitation qui leur a été adressée. Il a commencé par recevoir la présidente du groupe des députés RN Marine Le Pen, accompagnée de son président de parti, Jordan Bardella pour s'assurer qu'ils n'appuieront pas si vite sur la gâchette de la censure une fois le gouvernement constitué. Le nouveau locataire de Matignon a ensuite reçu le désormais président du Parti Renaissance, Gabriel Attal, puis les chefs de file du parti socialiste (PS), Boris Vallaud, Patrick Kanner et Olivier Faure et enfin le président des Républicains Laurent Wauquiez. De ces consultations qui se poursuivront ce mardi, M. Bayrou va devoir mesurer les soutiens dont il dispose et peaufiner son équipe qu'il veut resserrée et dominée par des « personnalités d'expérience ». Si les socialistes déclinent pour le moment toute participation au futur gouvernement, ils concèdent néanmoins avoir eu « un échange sérieux et cordial, dans une logique de compromis » avec M. Bayrou, dixit le premier secrétaire du PS Olivier Faure. Ces derniers se disent même prêts à discuter avec lui sur différents sujets, comme l'idée d'une « conférence sociale », sur l'épineux dossier des retraites ou encore la taxation des hauts revenus. Quant aux Républicains, qui se font pas prier pour entrer au nouveau gouvernement s'ils y seront représentés « de façon significative », ils exigent une « feuille de route » qui correspond à leurs priorités notamment le sujet de l'immigration et l'urgence agricole. Lundi soir, l'Assemblée nationale a offert un premier cadeau à François Bayrou en adoptant, à l'unanimité, le projet de loi spéciale visant à permettre la continuité des services publics et de la sécurité sociale. Ce projet de loi, qui sera débattu au Sénat ce mardi, va autoriser l'Etat à continuer de percevoir les impôts et à reconduire les dépenses au même niveau que l'exercice 2024. Cette loi d'urgence, qui répond à « une situation exceptionnelle et grave », selon le ministre démissionnaire de l'Economie, Antoine Armand, revêt un caractère provisoire en attendant les textes visant à doter l'Etat d'un budget pour 2025. « Ce texte ne préempte en aucun cas les futures discussions budgétaires. Il n'a qu'un objectif : assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la nation. Cette loi spéciale permet d'éviter le shutdown », a de son côté insisté le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin qui intervenait hier soir devant les députés pour expliquer cette loi d'urgence. Pour M. Bayrou, les consultations amorcées ces derniers jours et la composition de son futur gouvernement seront capitales en vue des débats budgétaires à venir dans une conjoncture économique difficile. Vendredi lors de la passation de pouvoirs avec son prédécesseur Michel Barnier, le nouveau locataire de Matignon a fait état d' »un Himalaya » de difficultés notamment budgétaires à résoudre. « Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation. J'ai pris des risques inconsidérés dans ma vie politique pour poser la question de la dette et des déficits », a-t-il déclaré. « Je n'ignore rien de l'Himalaya qui se dresse devant nous, des difficultés de toute nature », a-t-il ajouté, notant que la France fait face à un déficit qui atteint 6,1% du PIB et à une dette dont les intérêts se montent à 60 milliards d'euros par an.