Soulaimane Raïssouni a été interpellé en bas de son domicile, le 22 mai 2020. La justice le poursuit en état d'arrestation, sur la base d'une plainte pour «agression sexuelle» sur un jeune homme. Sa famille, qui fustige un procès politique visant le journaliste pour ses écrits, alerte que ce dernier est mourant, au 49e jour de grève de la faim. Son épouse, Kholoud Mokhtari, se confie à Yabiladi. Depuis combien de jours Soulaimane Raïssouni est en grève de la faim ? Comment se porte-t-il ? Soulaimane est à son 49e jour de grève de la faim. Cela a beaucoup de répercussions sur sa santé, comme les personnes présentes à sa dernière audience l'ont constaté. Il commence à avoir des crampes et sa jambe droite montre un début de paralysie. Il a perdu beaucoup de poids, 31 kg jusqu'à lundi, selon sa défense. Il a refusé aussi le protocole médical auquel sont soumis les grévistes de la faim en prison. L'administration pénitentiaire vous a-t-elle informée du début de la grève de la faim de votre mari ou plus tard de l'évolution de son état de santé ? Soulaimane a déjà mené deux grèves de la faim. Ce n'est qu'un mois plus tard que j'ai reçu une notification écrite à ce sujet. Mais cette fois-ci, l'administration a été à l'heure. Je garde ces lettres mais l'intérêt que doivent avoir les institutions concernées est, au-delà de la notification, de faire que ces drames s'arrêtent. Quant à l'état de santé de mon mari, nous n'avons aucune visibilité de la part de l'administration. Nous ne savons rien ni sur le rapport médical, ni sur l'évolution de son état de santé. En plus de cela, nous ne faisons pas confiance à Mohamed Salah Tamek [à la tête de la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion (DGAPR), ndlr] et à ses sorties irresponsables. La vie de gens dépend de lui en prison, en sa qualité de haut fonctionnaire sous la tutelle du gouvernement. Il viole le secret professionnel, divulgue des noms de détenus et remet en cause même leur grève de la faim. La seule chose qu'il peut faire pour tout le monde et pour lui-même est qu'il publie les vidéos qu'il évoque et où, selon lui, on voit que Soulaimane et Omar Radi ne sont pas en grève de la faim. Vous vous êtes procurée un linceul en prévision d'une issue tragique. Par quelles actions urgentes ce scénario peut-il être évité ? L'état de santé de Soulaimane n'indique qu'une seule chose : une catastrophe va arriver. Nous n'avons plus vécu ces grèves de la faim depuis «les années de plomb» et la mort de feue Saïda Menebhi. L'histoire se répète de manière très dure. Nous pouvons nous critiquer les uns les autres, entre institutions et citoyens, commettre des erreurs de part et d'autre. Mais on ne peut jamais se permettre de mettre en jeu le droit à la vie des gens. Sur ce point, je ne peux en dire plus. Au stade où nous sommes, nous avons fait toutes les tentatives possibles pour convaincre Soulaimane de suspendre sa grève de la faim. Des personnes crédibles ont lancé des initiatives et nous de même, mais mon mari n'a été écouté par personne. La balle n'est plus dans notre camp mais dans celui des institutions qui ont arrêté cet homme arbitrairement, depuis le 22 mai 2020. Ce sont les parties qui l'ont interpellé qui doivent trouver une solution. La grève de la faim est liée au constat que les garanties d'un procès équitable ne sont pas réunies, alors que ces dispositions existent dans nos lois, dans la constitution et dans les conventions internationales signées par le pays. En quelle qualité, juridiquement, Soulaimane a été placé en détention ? Il faut savoir que l'arrestation de Soulaimane s'est opérée en dehors du cadre de la loi. Un gros véhicule civil l'a enlevé d'en bas de chez lui, pour le conduire à la préfecture de police, où il a été décidé de le placer en détention, le 25 mai 2020. La justice a décidé de le poursuivre dans ces conditions, mais au lieu que le juge d'instruction ordonne que ce type de procès soient examinés dans les temps, il gardait mon mari jusqu'à deux mois avant de le convoquer de nouveau. A l'issue de l'instruction, les chefs d'accusations construits sur des déductions et non pas des preuves ont été définis. Encore une fois, Soulaimane a été gardé pendant deux mois avant d'être mis à la disposition des juges. Pour moi, il a été porté disparu car il est sorti de sa maison sans plus jamais y revenir, après avoir été conduit dans une voiture inconnue. Ses demandes de poursuite en état de liberté ont été rejetées à neuf reprises, alors qu'il était pratiquement mourant, au cours de la dernière audience en présence des juges. Dans leurs interventions, les avocats de la défense ont exigé que Soulaimane soit hospitalisé en urgence, conformément aux lois en vigueur, mais deux jours plus tard, le tribunal rejette encore la remise en liberté. Les familles, les acteurs de la société civile, les personnes qui ont une conscience politique et humaine ont tout fait et c'est à la partie qui a interpellé mon mari de se rendre à l'évidence que nous sommes dans une phase où nous devons édifier un Etat démocratique fort de ses citoyens, pour qu'il soit assez respecté à l'étranger. Kholoud Mokhtari et Soulaimane Raïssouni / DR. Des journalistes et des acteurs de la société civile se sont joints à une grève de la faim symbolique pendant 24h pour exiger la remise en liberté de Soulaimane. Que pensez-vous de ces formes de mobilisation ? Je ne peux qu'exprimer ma reconnaissance à toutes les personnes qui ont pris la parole au moment où beaucoup de gens ont peur de parler de ce qui se passe. Les collègues de Soulaimane ont été à la hauteur et ont aussi partagé la douleur de la grève de la faim avec lui. Des gens sont venus me voir chez moi malgré le climat de peur. Je remercie chacun et chacune. Y a-t-il eu des interventions de médiation au niveau institutionnel (CNDH) ou associatif (Comité de soutien, confrères, militants, etc.) pour obtenir d'une part des engagements de respect des procédures et la suspension de la grève de la faim d'autre part ? Dans ses dernières déclarations, la présidente du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a dit que les procès équitables ne faisaient pas partie de ses prérogatives. Les rôles incombés au conseil restent donc la médiation, qui passe par un comité spécial pour les détenus. Au niveau du CNDH, je n'ai pas de contact direct mais plutôt des liens avec la CRDH de Casablanca, à travers laquelle nous arrivons à arracher un tant soit peu quelques droits. Si cela tient à faire une médiation, le comité en charge s'est bien rendu auprès de mon mari pour lui demander de suspendre sa grève de la faim. Mais il a échoué, comme moi aussi. Aujourd'hui, la question est que Soulaimane exige et a besoin d'un procès équitable. Au bout d'un an, il m'a vue trois fois et il a vu son enfant une seule fois. Je répète qu'il est mourant et tous ses droits ont été bafoués, alors que les garanties de sa présence sont réunies pour lui permettre de quitter la prison. Je ne vois aucune raison pour le laisser mourir à petits feux de la sorte. On a essayé de tuer Soulaimane sur le plan éthique, à travers les accusations qui lui sont portées. Maintenant, on essaye de le liquider physiquement, sous nos regards impuissants. Comment se fait-il que ni le CNDH, ni le ministère délégué en charge des droits de l'Homme ne se positionnent face à la situation ? Vous avez rencontré le père de Nasser Zefzafi. Que vous a-t-il dit ? La visite d'Ahmed Zefzafi lundi a été voulue comme une initiative humanitaire. J'étais très contente de le recevoir et je lui suis très reconnaissante pour sa solidarité et son soutien. Le père de Nasser a beaucoup d'estime pour Soulaimane Raïssouni et des souvenirs depuis les procès du Hirak du Rif ainsi que ses éditoriaux. Il a pris de ses nouvelles, bien qu'il souffre lui aussi. C'est difficile de voir son fils en prison, parce que ce dernier a exprimé son opinion. Tout ce qu'on peut donner à une cause légitime, nous l'avons fait. C'est aux institutions maintenant de décider du destin de mon mari. Kholoud Mokhtari a pu rendre visite à Soulaimane Raïssouni Ce mercredi après-midi, Kholoud Mokhtari a pu rendre visite à Soulaimane Raïssouni, dans la prison Oukacha. Il s'agit de la quatrième visite qu'elle obtient en un an, la deuxième pour leur fils en bas âge. Préoccupée à la sortie de la visite, Kholoud Mokhtari a décrit l'état de santé de son mari entre la vie et la mort, mais plus proche de la mort. Elle a lancé un dernier appel pour que le journaliste «puisse au moins mourir chez lui et non pas en prison ou dans un autre endroit». Cet après-midi également, un sit-in de familles de Raïssouni et d'Omar Radi s'est tenu devant la prison, demandant la remise en liberté des deux journalistes. Article modifié le 2021/05/26 à 23h34