C'est une question que l'on pose rarement, mais qui mérite de l'être… La reprise, officielle, des relations entre Rabat et Tel Aviv et les liens anciens entre les deux Etats et encore plus entre les deux peuples devraient naturellement conduire à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces sud par le gouvernement israélien. Seulement voilà, ce n'est pas le cas. En une année de relations officielles entre les deux pays, il y a eu bien plus d'Israéliens au Maroc que l'inverse. Deux très hauts responsables de l'Etat hébreu étaient dans nos murs ces six derniers mois, en l'occurrence le ministre des Affaires étrangères et futur premier ministre Yair Lapid et aussi Benny Gantz, ancien chef d'état-major de Tsahal, actuellement ministre de la Défense et potentiellement « premier ministrable ». Lors de sa visite au siège du ministère des Affaires étrangères à Rabat en août dernier (photo), Yair Lapid avait commencé son allocution par cette phrase : « Les Juifs vivent au Maroc depuis près de deux mille ans (…). Pour des centaines de milliers de Juifs qui nous regardent aujourd'hui, le Maroc fait partie de leur identité ». Cela tombe très bien, les Juifs font aussi partie de la nôtre, selon notre constitution. Alors, puisque les Juifs ont vécu ici des millénaires entiers, jusqu'au sein de communautés installées aux confins du Sahara, alors ils savent… Ils savent que l'Histoire est consubstantielle de la géographie, et que, historiquement, le Sahara est une partie du Maroc, ainsi que l'attestent bien des écrits de bien des pays européens à la fin du 19ème siècle et au 20ème. Pourquoi alors Israël n'a-t-il pas encore reconnu l'intégrité territoriale du Maroc, sachant que ce pays, en plus de la reconnaissance des Etats, a bien besoin de l'amitié des peuples ? Et cette amitié des Marocains ne saurait se démentir si Tel Aviv franchit le pas de la reconnaissance. Il existe deux types de pays qui ne reconnaissent pas cette souveraineté : ceux qui se préoccupent de ne pas s'aliéner Alger et ceux qui ont intérêt à maintenir la rivalité entre Marocains et Algériens. Dans leur lecture de la nouvelle géopolitique de la région, les Américains se sont éloignés des deux blocs : Donald Trump avait certes ses calculs politiques personnels mais l'administration Biden, ayant bien calculé les enjeux car ayant pris le temps de le faire, a finalement confirmé la décision de l'ancien président. Qu'attendent alors les Israéliens ? Ils savent bien qu'il s'agit d'une question cruciale pour Rabat, et ils vont donc négocier. Mais négocier quoi ? Aller plus loin dans les relations avec le Maroc ? Difficile de faire plus que les accords déjà signés, le soutien marocain à l'Union africaine, la coopération universitaire, puis militaire et/ou sécuritaire... Obtenir l'ouverture, enfin, d'une vraie ambassade marocaine en Israël ? Cela viendra car cela est programmé. A al-Qods/Jérusalem ? Hors de question, le roi du Maroc étant aussi le président du Comité al-Qods. L'audience accordée aux ambassadeurs étrangers ce 17 janvier par le chef de l'Etat marocain n'avait pas programmé le chef du Bureau de liaison israélien à Rabat David Govrin, qui avait lui-même annoncé sur les réseaux sociaux en octobre 2021 sa nomination au rang d'ambassadeur. Son absence à l'audience royale a fait l'objet d'une question au porte-parole du gouvernement qui l'a rapidement évacuée, renvoyant à la convention de Vienne qui fixe les protocoles de nomination et d'accréditation des diplomates. Mais des voix s'élèvent au sein de la communauté juive au Maroc et marocaine en Israël, contestant l'envoi d'un ashkenaze et non d'un sépharade (de préférence d'origine marocaine) pour représenter l'Etat hébreu à Rabat… et bien que très actif et encore plus mobile, David Govrin n'est pas encore reçu par les officiels marocains. La reconnaissance du Sahara par Tel Aviv sera donc le fruit d'âpres discussions entre deux diplomaties connues pour leur aptitude à négocier et à prendre le temps nécessaire pour rapprocher les points de vue. Et à ce titre, l'adresse de l'ancien Premier ministre Netanyahou aux Marocains, avec derrière lui une carte du Maroc séparée du Sahara, en dit long sur ces négociations à venir, en dépit des très protocolaires « excuses » israéliennes… Mais l'accélération des événements en Afrique centrale et occidentale pourrait précipiter les discussions, Israël ayant besoin de prendre davantage pied dans la région et le Maroc aspirant à mieux sécuriser ses frontières et à plus développer son industrie de pointe. Rabat ayant fait la démonstration, comme Israël, de sa maîtrise de ses lobbies un peu partout, les choses pourraient s'accélérer en 2022, car le statu quo ne serait pas payant pour aucune des deux parties.