Les premiers bébés génétiquement modifiés, des jumelles, ont vu le jour en Chine. Une nouvelle qui a soulevé l'indignation aussi bien de la communauté scientifique que des autorités chinoises. « Bébés OGM » : le chercheur pourrait perdre son emploi Suite à la naissance des jumelles génétiquement modifiées, contrairement aux règles juridiques et éthiques en vigueur, le chercheur chinois à l'origine de ces travaux est condamné de toutes parts, son propre gouvernement inclus. Condamné par ses pairs, lâché par son pays : la pression s'est accentuée jeudi 29 novembre 2018 sur He Jiankui, le chercheur chinois qui affirme avoir créé les premiers « bébés génétiquement modifiés », Pékin appelant désormais à suspendre ses activités. Rappels des faits. Le chercheur He Jiankui a annoncé le lundi 26 novembre la naissance « il y a quelques semaines » de deux jumelles, surnommées « Lulu » et « Nana ». Leur ADN aurait été modifié pour les rendre résistantes au virus du sida, dont est infecté leur père. Les jumelles sont selon lui nées après une fécondation in vitro, à partir d'embryons modifiés avant leur implantation dans l'utérus de la mère par la fameuse technique CRISPR-Cas9. Cette dernière permet de couper une séquence d'ADN et de la remplacer par une autre. Ici il s'agissait de remplacer un gène sain par une version mutée, afin d'empêcher l'entrée du virus du Sida (le VIH). Si ces travaux étaient confirmés, il s'agirait d'une première mondiale. En effet, jusqu'à présent aucune modification génétique n'a abouti à une naissance… Tout simplement parce que c'est interdit par la loi (selon les pays) et les principes éthiques du domaine. Car si cette technique ouvre des perspectives dans le domaine des maladies héréditaires elle est aussi extrêmement controversée. D'abord éthiquement, parce que les modifications réalisées seraient transmises aux générations futures, et qu'elles pourraient au final affecter l'ensemble du patrimoine génétique humain. Scientifiquement également, car le processus de validation du protocole et du consentement des parents est toujours très flou. Médicalement enfin, car les petites filles ne risquaient pas en l'état de naître infectées par le VIH – le père infecté étant bien contrôlé et le sperme ayant été nettoyé du virus avant manipulation génétique de l'embryon obtenu. En conséquence, les risques de la procédure dépassaient donc potentiellement son bénéfice. D'où le tollé général provoqué par l'annonce de ces travaux. « Choquant et inacceptable », condamne le gouvernement chinois « Cet incident a violé de manière flagrante les lois et réglementations chinoises et a ouvertement dépassé les limites de la morale et de l'éthique auxquelles adhère la communauté universitaire », a déclaré à la télévision d'Etat CCTV le vice-ministre chinois des Sciences et Technologies, Xu Nanping. « C'est choquant et inacceptable. Nous affichons notre ferme opposition », a-t-il souligné, en réclamant « la suspension les activités scientifiques des personnes impliquées ». La Commission nationale chinoise de la Santé (NHC), qui a rang de ministère, enquête actuellement sur l'affaire. « Dans l'intérêt de la santé et des principes scientifiques, la NHC suivra l'affaire de près et rendra publics les résultats de l'enquête en temps opportun », écrit-elle sur son site. « Irresponsable », conspue la communauté scientifique Des experts du génome réunis en colloque à Hong Kong ont par ailleurs condamné en bloc, jeudi 29 novembre 2018, la démarche « irresponsable » de He Jiankui. Le chercheur a fait l'impasse sur le dernier jour de ce sommet, où il était pourtant attendu. Dans un communiqué, ces scientifiques ont aussi recommandé « une évaluation indépendante pour (...) établir si les modifications d'ADN prétendues ont eu lieu ». Venu devant un amphithéâtre bondé à peine 2 jours après l'annonce, He Jiankui s'était dit « fier » d'avoir permis la naissance des deux filles. Le chercheur basé à Shenzhen (sud de la Chine) avait cependant annoncé la suspension de ses essais en raison du tollé. Il était censé venir s'exprimer à nouveau jeudi 29 novembre 2018 devant le second Sommet international sur l'édition du génome, un rendez-vous théoriquement très confidentiel auquel l'annonce de M. He a donné une publicité mondiale. Mais il ne figurait plus jeudi matin au programme officiel et le président du comité d'organisation, le prix Nobel David Baltimore, a affirmé aux journalistes que c'était bien He Jiankui qui avait annulé sa venue, et non les organisateurs. En attendant, ces derniers ont rédigé un communiqué à charge dénoncé l'annonce « inattendue et profondément troublante » du chercheur chinois, appelant en clôture du sommet à une meilleure supervision des recherches. « Parmi les lacunes, figurent une indication médicale insuffisante, un protocole d'étude mal conçu, le non-respect des standards éthiques de protection du bien-être des sujets de recherche et un manque de transparence dans le développement, la vérification et la réalisation des procédures cliniques », ont-ils poursuivi. Cependant, au vu du tour pris par les événements, ils concluent « qu'il est temps de définir un parcours de traduction rigoureux et responsable » menant à des essais cliniques dans l'édition de génome. Le Président de l'Académie des Sciences à Hong Kong, Lap-Chee Tsui, a de son côté annoncé vouloir réunir « un large éventail de parties prenantes - chercheurs, éthiciens, décideurs, groupes de patients et représentants d'académies scientifiques et médicales et d'organisations du monde entier » pour explorer les facettes juridique, éthique, scientifique et clinique de l'édition du génome humain. « Fous », réagit l'association de patients séropositifs pour le VIH ayant présenté les parents potentiels au chercheur. Le chercheur a affirmé que huit couples - tous composés d'un père séropositif et d'une mère séronégative - s'étaient portés volontaires pour l'essai, précisant que l'un d'eux s'était rétracté. Il a fait état d'une « autre grossesse potentielle » impliquant un deuxième couple, en demeurant flou sur le fait de savoir si cette grossesse serait toujours en cours, ou alors se serait soldée par une fausse couche. Des médias hongkongais ont rapporté jeudi que le fondateur d'une association basée à Pékin et venant en aide aux séropositifs regrettait d'avoir présenté des familles aux chercheurs du laboratoire de M. He. « Au début, nous ne comprenions pas ce qu'ils étaient réellement en train de faire », a déclaré à RTHK ce fondateur, Bai Hua, qui a dit avoir présenté une cinquantaine de familles au chercheur chinois. « Maintenant, mon sentiment personnel est qu'ils sont un peu fous. »