Je partage le sentiment de toutes les personnes qui ont peu apprécié que ce soit un chef d'Etat étranger qui leur dévoile les pensées de leur roi concernant le Hirak du Rif. En effet, lors de la conférence de presse tenue par le jeune président français Emmanuel Macron suite à son entrevue avec le roi Mohammed VI, il a répondu à une question sur ce mouvement et les périls d'une politique de répression. Bien évidemment, la question du journaliste français portait en creux la volonté d'une intervention extérieure dans les affaires domestiques d'un Etat souverain. Macron aurait pu se contenter de s'arrêter à la première partie de sa réponse : « Il ne m'appartient pas ici de porter un jugement sur un sujet de politique intérieure ». Mais non, il s'est un peu plus étendu sur le sujet, expliquant que le roi Mohammed VI est préoccupé par les protestations à al Hoceima, et qu'il considère que ce mouvement de contestation est un droit constitutionnel acquis pour les citoyens, contrairement à d'autres pays. Le chef de l'Etat français a ajouté que son homologue marocain estime que la solution à cette crise ne peut être trouvée que dans le traitement de ses causes et qu'il n'avait nullement l'intention de verser dans une répression féroce des manifestants. Macron a terminé son propos en réaffirmant que le roi est préoccupé par la situation dans cette région dont il est proche et où il a coutume de passer quasi régulièrement ses vacances. Je conçois bien que la communication entre la plus haute institution constitutionnelle du royaume et ses médias reste souffrante. Pas d'entretiens entre le roi et la presse nationale, et jamais de conférence de presse du porte-parole officiel du palais royal. Ainsi, en dehors des couvertures désuètes des activités royales par les télévisions habituelles, il ne reste que deux voies pour communiquer, qui sont les discours du roi et les réseaux sociaux, qui rapportent l'autre aspect, non officiel, de la personne du roi Mohammed VI, celle de l'homme. Mais pour le cas du Hirak du Rif, il était – et est toujours – difficile d'envisager une intervention directe du Roi sans garanties que cet acte soit décisif et ramène le calme dans la région. Dans un tel cas de figure, ce serait remettre en question l'aura d'une institution qui est le ciment de la nation et le symbole de son unité. Si cette institution perd son prestige, nous serions exposés à un véritable affrontement que nous ne faisons qu'envisager au constat de la disparition de toutes les médiations possibles. Or, affrontement est synonyme d'instabilité. J'irai même plus loin en affirmant que la question du journaliste français et la réponse de son président étaient programmées. Nous avons en effet lu ici et là que les gens de l'ambassade de France à Rabat avaient demandé aux journalistes marocains de leur soumettre préalablement les questions qu'ils souhaitaient poser à M. Macron. Forts de cette information, non démentie par l'ambassade, nous pouvons extrapoler et dire que la même exigence a dû être posée aux journalistes français et que peut-être même que les responsables diplomatiques de France ont suggéré aux journalistes de leur pays de poser une question précise pour éclairer l'opinion publique. Mais en tout état de cause, c'est le résultat qui compte, dit-on… et le résultat est que les sentiments du Roi ne sont pas l'émotionnel débordant d'un citoyen marocain solidaire. Le Roi est un chef d'Etat, et ses propos doivent être appréhendés et lus comme étant une stratégie publique, pratique, face à l'une des plus graves crises que l'Etat ait eu à connaître. Cette stratégie est, fort heureusement, aux antipodes de ce qui s'est produit après la formation du gouvernement EL Otmani, et surtout cette fameuse réunion de plusieurs dirigeants de la majorité en présence du ministre de l'Intérieur Abdelouafi Laftit, et à l'issue de laquelle il a été affirmé que le Hirak est manipulé de l'étranger par des séparatistes, ce qui avait jeté de l'huile sur le feu. La stratégie royale est aussi bien différente de celle ayant consisté à faire lire ce fameux vendredi à cet imam de mosquée d'al Hoceima un prêche provocateur dans lequel les manifestants, qui formaient la plus grosse partie des croyants dans la mosquée, avaient été qualifiés de traîtres, ce qui avait conduit leur leader Nasser Zefzafi à perdre le contrôle de ses nerfs et de tomber dans le piège de la perturbation de la prière. Ce qu'a dit M. Macron sur le Roi, alors qu'il parlait sous son contrôle du fait qu'il se trouvait à Rabat et rapportait les termes de sa discussion avec le chef de l'Etat marocain, peut être pris comme l'annonce d'une prochaine et imminente sortie de crise. Le premier pas de cette issue pourrait être une amnistie générale des détenus, du fait qu'aucun n'a de sang sur les mains. L'étape suivante serait alors de demander des comptes à ceux qui ont signé le grand programme « al Hoceima, Manarat al Moutawassit » en 2015 devant le roi, sans que les projets qui devaient être lancés par la suite ne le soient effectivement. 6,5 milliards de DH devaient être injectés dans la ville, mais pas le moindre centime ne l'a été jusque-là… Il est vrai qu'ils étaient une vingtaine de responsables à signer devant le Roi, comme il est tout aussi vrai que des problèmes énormes avaient surgi en matière juridique et de coordination entre les intervenants, en plus du blocage gouvernemental qui avait également compliqué les choses, mais les citoyens, de plus en plus dans le besoin, ne peuvent reconnaître ces excuses à l'Etat. Il faut donc demander des comptes aux responsables et surtout démarrer les chantiers pour que les habitants d'al Hoceima reprennent espoir. Des responsables pourraient être révoqués pour incompétence et pour avoir, par leur inaction, conduit à un Hirak qui a touché al Hoceima, puis s'est étendu jusque dans la capitale avec cette marche imposante de 100.000 personnes à Rabat, avant de s'internationaliser, comme le montre l'intérêt de Macron pour la ville du Rif. Face à ce sentiment royal révélé par le président français, il est consternant de voir aujourd'hui les familles de prévenus parcourir tout ce chemin entre al Hoceima et Casablanca, pour avoir le droit de voir leurs parents incarcérés durant 10 petites minutes, après avoir passé 20 heures en route aller et retour. Il est plus qu'affligeant que tout cela se poursuive alors même que dans chaque maison de détenu ou de manifestant, l'ambiance est au chagrin ou à l'effroi. La rue a parlé, clairement, nettement, sans médiation ni détour ni politique politicienne… Il appartient aujourd'hui à l'Etat de dire son mot, espérant que celui-ci traduise fidèlement le sentiment du Roi au sujet du Hirak.