Trois mois après que le roi Mohammed VI ait désigné Abdelilah Benkirane pour former un gouvernement, les choses patinent toujours. Mais la tenue imminente du Sommet de l'Union africaine et la question de l'adhésion du Maroc requiert la ratification de l'Acte constitutif de l'UA, ce qui nécessite que la Chambre des représentants élise préalablement son président et ses organes. Que se passera-t-il si le nouveau président appartient à un parti/bloc opposé au PJD de Benkirane, qui doit se réunir cet après-midi avec les chefs de partis représentés au gouvernement pour discuter de cette élection ? Dans ce cas, cela signifierait dans l'absolu que le PJD et ses alliés seront minoritaires au sein de la première Chambre. Et si Benkirane forme quand même son gouvernement – avec ou sans l'Istiqlal –, il serait de facto minoritaire et il faudra alors convoquer de nouvelles élections… En effet, l'article 88 de la constitution dispose que « (…) le Gouvernement est investi après avoir obtenu la confiance de la Chambre des Représentants, exprimée par le vote de la majorité absolue des membres composant ladite Chambre, en faveur du programme du Gouvernement ». Mais il existe un artifice… Selon un constitutionnaliste de l'Université Mohammed V ayant requis l'anonymat « en raison de la sensibilité de la question » nous explique-t-il, « cet alinéa de l'article 88 permet de dépasser le cap de l'élection du président de la Chambre des représentants. En effet, un gouvernement doit être investi par la majorité absolue des membres de la Chambre, soit 198. Or, un président de cette Chambre peut être élu par une majorité relative des députés présents. Dans une telle configuration, un président peut être élu, sans rompre pour autant les concertations en cours car il ne disposera pas de majorité absolue, même si le futur gouvernement sera confronté à un président qui lui est, et sera, hostile. Cela étant, pour la crédibilité des institutions et leur bon fonctionnement, un tel scénario, s'il est légalement possible et même envisageable, renverra une image négative et mettra en cause la stabilité politique du pays et la bonne symbiose entre les institutions ». En effet, une fois élues, les instances et organes de la Chambre restent en fonctions deux ans et demi, d'où l'instabilité à prévoir. Mais tel est le prix de l'artificialité de cette solution, et de la superficialité de nos politiques. Or, il se trouve que selon les informations recoupées que nous avons pu obtenir, Abdelilah Benkirane ira à la réunion des chefs de partis avec ses deux alliés que sont Nabil Benabdallah du PPS et Hamid Chabat de l'Istiqlal. A eux trois, et à défaut d'accord avec Aziz Akhannouch du RNI, ils comptent 183 élus. Insuffisants. Lors de cette réunion, qui sera co-présidée par Benkirane et Abdelouahed Radi, doyen des députés, ancien président de ladite Chambre et ancien chef de l'USFP, les participants conviendront du calendrier de l'élection du président de la Chambre et de l'adoption du projet de loi portant approbation de l'Acte constitutif de l'UA. La séance du vote sera donc programmée pour les prochains jours à venir. Plusieurs noms sont avancés, selon les indiscrétions. Le PJD pourrait proposer Mohamed Yatim, vice-président sortant de la Chambre, ou Saadeddine Elotmani, ancien chef de la diplomatie et psychiatre de son état. L'Istiqlal penserait à Karim Ghellab, qui retrouverait ainsi son poste perdu en 2014. Et le bloc RNI/UC/MP/USFP, renforcé conjoncturellement par le PAM, avancerait la carte Habib Malki, numéro 2 de l'USFP. Mais nos interlocuteurs insistent sur un nom qui serait consensuel, et qui permettrait de « dépasser certaines problématiques juridiques », pour reprendre le mot d'Abdelilah Benkirane. Radi est élu depuis 1963, et il appartient aux « historiques » de l'USFP, qu'il a connue du temps où elle était encore UNFP. Son âge de 82 ans le place désormais au-dessus de la mêlée politique et lui confère une sagesse qui n'est pas forcément le lot de nos politiques actuels, plus jeunes et plus hargneux…Il serait donc le plus apte à (re)prendre le perchoir, qu'il a occupé de 1997 à 2007 et en 2010-2011, sans que cela ne conduise à des clivages et des heurts avec le gouvernement, quel qu'il soit et qu'elle qu'en soit la couleur politique et la nature idéologique. Cela étant, et dans le cas où même la tension qui naîtra de cette phase parlementaire n'incite pas Abdelilah Benkirane et Aziz Akhannouch à s'accorder, il sera possible pour le chef de l'Etat de dessaisir le premier de sa fonction de chef du gouvernement, pour y nommer un autre dirigeant du PJD où, dit-on, une sorte d'exaspération teintée d'estime commence à se faire jour autour de la personne et de la personnalité de Benkirane.