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J'ai voté PJD en 2015... Je ne le ferai plus en 2016, par Aziz Boucetta
Publié dans PanoraPost le 06 - 10 - 2016

Le 4 septembre 2015, je me suis présenté au bureau de vote, je suis entré dans l'isoloir, j'ai coché les cases PJD, sans hésitation ni trop de réflexion, puis je m'en fus, sans regrets ni trop de remords. Cette année, le 7 octobre, j'irai encore au bureau de vote, et je voterai. Je ne sais pas pour qui mais je sais que ce ne sera pas pour le PJD.
Pourquoi avoir voté PJD en 2015 ?
Pourquoi l'avoir fait, sans même connaître les noms des candidats pour qui j'ai voté ? Pour plusieurs raisons.
1/ J'ai cru en cette formation, car ses candidats sont choisis d'une manière saine, et ne sont eux-mêmes ni entachés de soupçons de vénalité ni soupçonnés d'une quelconque âpreté au gain ;
2/ J'ai cru en la démocratie dans mon pays, et dans le fait que ce parti n'aura pas démérité, ou si peu, en quatre ans de gouvernement ;
3/ Benkirane est un type bien, me disais-je alors ; son langage est franc et son franc-parler semble sincère ; et puis, il a un si beau sourire, rassurant et débonnaire ;
4/ Benkirane et son parti sont rejetés par les bobos parce qu'ils n'appartiennent pas à leur monde, alors je les soutiendrai ;
5/ Les cadres élus du PJD font montre de proximité, d'intégrité, de sincérité et de disponibilité ;
6/ Le parti est conservateur et se réclame d'un référentiel islamiste ? Soit, je ne suis pas islamiste, ni conservateur, je suis laïc (pour les âmes sensibles, cela ne signifie pas athée), mais tout le monde évolue. En Italie la démocratie chrétienne avait commencé par être plus chrétienne que démocrate, avant de devenir plus démocrate que chrétienne. Il en ira de même avec le PJD de Benkirane au Maroc, pensais-je…
7/ Le PJD et Benkirane sont représentatifs du Maroc que j'aime, celui du peuple que je respecte ;
8/ Bien qu'il soit agressif dans sa campagne, accablant le pauvre Mustapha Bakkoury, plus à l'aise avec les volts qu'avec les mots, je m'étais dit que c'est là chose normale : dans une campagne électorale, on ne fait pas dans la dentelle, on est rugueux ou on n'est pas. Et puis les autres font pareil, n'est-ce pas ?
9/ Benkirane représente bien le Maroc et incarne cette nouvelle, quoique balbutiante, démocratie ;
10/ Benkirane croit en la pluralité et accepte la différence et la concurrence…
Et j'ai donc voté pour les candidats du PJD, pour la commune et pour la Région.
Et puis j'ai vu… j'ai vu comment ce parti et surtout son chef ont évolué cette dernière année, du haut de leur raz-de-marée électoral. Alors j'ai changé d'avis, je ne voterai plus PJD, du moins cette fois-ci.
Pourquoi ne pas voter PJD en 2016 ?
1/ Le parti et son chef ont une vision simple, voire simpliste, de la vie et de la société, qui rappelle celle des néoconservateurs (religieux) américains : soit on est avec eux, soit on est contre eux. Dans le premier cas, on est bons et patriotes, dans le second, on est au choix voleurs, corrompus, vendus, ou même athées, ou encore plus grave, dépravés. Benkirane divise la société marocaine, qui ne l'a jamais été tout au long de son histoire.
2/ Les lois passées cette année, à l'initiative du PJD, ont toutes une connotation religieuse. La religion est certes une excellente chose, mais pas en politique ; Benkirane et les siens ont dévoilé cette année que leur projet n'est pas politique, mais autre (je ne dis pas religieux car la religion est, encore une fois, une bonne chose, mais encore une fois, pas en politique). Interdiction de la publicité des jeux de hasard, introduction du crime d'honneur dans le Code pénal, incitation à la violence de Benkirane et de Ramid dans une attaque contre le SG du CNDH, loi sur la violence contre les femmes a minima…
3/ Les maires PJD des grandes villes ne sont pas tant intéressés par leurs cités que par les arrondissements qui leur ont permis de les gagner ; le cumul des fonctions ne les dérange pas, tant que ces fonctions sont entre leurs mains. Le travail se fait bien plus dans les quartiers, à des fins électorales, que dans les politiques urbaines.
4/ Benkirane ment. Il parle de la Compensation avec fierté mais ne dit pas pourquoi les prix à la pompe n'ont pas baissé quand les cours mondiaux se sont effondrés. Il dit aimer le peuple mais évite de parler de l'enseignement privé, livré à lui-même. Il dit respecter les jeunes mais n'explique pas pourquoi il n'a pas accéléré la reconnaissance par l'Etat des diplômes délivrés par les écoles supérieures. Il dit avoir réduit le déficit public mais ne pipe mot sur l'endettement qui lui a permis de le faire.
5/ Contrairement aux autres partis, qu'on peut soutenir ou critiquer à sa guise, il est désormais risqué de s'en prendre au PJD. Quiconque le fait est systématiquement insulté, attaqué, dénigré, calomnié. Et c'est une première dans l'histoire du Maroc. Pour cela, le PJD dispose d'une armée d'internautes, spécialistes en e-réputation, qui traquent tout ce qui se dit et s'écrit sur leur formation (dont ces lignes…) ;
6/ Benkirane est sectaire. Il chante la vertu et loue les valeurs mais quand des gens de son parti, ou derrière le MUR, font ce qui est interdit aux autres, il ne dit mot, comme il n'a rien dit lors de l'affaire des jupes d'Inezgane. Le linge sale est lavé en famille, mais celui des autres est étendu dans l'espace public ;
7/ Benkirane est dangereux pour les institutions de ce pays qu'il dit défendre. Cette dernière année, il a décidé de s'en prendre (in)directement au roi, à travers le terme du « tahakkoum ». Que signifie ce concept, si ce n'est le pouvoir du palais ? En privé, j'ai demandé récemment à un de leurs candidats au scrutin législatif ce qu'ils entendaient par ce mot, et s'ils ne visaient pas le roi à travers son utilisation. Réponse littérale « il n'y a pas de mal à rappeler de temps à autre le roi à l'ordre ».
8/ Benkirane ne respecte pas la constitution. Il a mis 5 ans à faire élaborer les lois organiques sur les langues et l'amazigh, qu'il n'a d'ailleurs toujours pas soumis au parlement, en violation de la constitution.
9/ Benkirane est prêt à tout pour déclencher l'émotion, pour enclencher le passionnel, au détriment du rationnel. Combien de fois n'a-t-il pas pleuré lors de cette campagne. Lui qui parle de tamassih, des crocodiles, aux larmes bien connues…
Tout cela est bien regrettable car le chef du gouvernement a su prendre les décisions qu'il fallait. Impopulaires mais nécessaires, elles exigeaient un leader téméraire. Téméraire, il l'a été, tout en restant populaire. La population a adhéré, la classe politique s'est adaptée, les institutions étaient en marche, le printemps arabe était derrière, et un avenir radieux de pays possiblement émergent nous attendait.
Mais c'est le fond de la personnalité de cet homme qui inquiète. Ce n'est même pas le parti qui dérange, ce PJD qui pourrait être bon pour notre démocratie s'il basculait en formation qui laisse la religion aux religieux, qui cesse de labourer ce champ qui dispose d'un Commandeur.
J'ai toujours eu un inconfort intellectuel en entendant certaines gens dire que ce parti doit être dissous, qu'il est nuisible. De quel droit ? Le PJD regroupe des dizaines de milliers de membres, des Marocains, et reçoit les suffrages de centaines de milliers d'électeurs, des Marocains aussi. On ne peut que l'accepter, lui, et que les respecter, eux.
Mais tant ce parti est porté par un tel leader et par la « communauté charismatique » qui l'entoure, il restera dans sa posture d'agressivité, de rejet des autres et d'intolérance. Et c'est dommage car il existe bien des gens ouverts dans cette formation, mais qui sont totalement occultés et écrasés par la personnalité dominante, dominatrice, hégémonique et tahakkoumienne de Benkirane.
J'ai voté PJD en 2015. Je ne le ferai plus en 2016.


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