Le parti Authenticité et Modernité se réunit en conclave, et en congrès, le weekend du 22 janvier. Bien des points seront à l'ordre du jour, mais le principal restera l'élection du secrétaire général de cette formation qui s'est hissée au premier rang lors du dernier scrutin communal et régional de septembre (du moins en termes de sièges et de régions). Ilyas el Omari semble bien parti mais, dans ce cas, son parti un peu moins. Etat des lieux Le PAM, revigoré par son succès électoral de septembre après avoir subi durant des années les coups de boutoir de son adversaire (voire ennemi) principal, le PJD, veut se donner une direction effective, active et même agressive pour pouvoir contrer ce bulldozer tonitruant qu'est Benkirane. Il a eu deux secrétaires généraux qui, pour être compétents et sympathiques, ne s'en sont pas moins révélés ternes, atones et aphones. Mohamed Cheikh Biadillah et Mustapha Bakkoury n'auront en effet pas marqué de leur empreinte une formation jeune qui avait besoin de chefs plus flamboyants et bien plus charismatiques qu'eux deux, plus technocrates que politiciens. Aujourd'hui, à une dizaine de jours de l'élection du successeur de Bakkoury, plusieurs noms se profilent. On parle de Bakkoury lui-même, mais l'homme est patron des énergies renouvelables et président de la région de Casablanca-Settat, des occupations à plein temps et qui, surtout, correspondent bien plus au profil de l'actuel patron du PAM que rester à la tête du même PAM. On évoque aussi le nom d'Ali Belhaj qui s'y verrait bien mais que personne n'envisage sérieusement à la tête du parti. Les noms d'Ahmed Akhchichène, président de la région de Marrakech-Safi et ancien ministre de l'éducation nationale, et celui de Fatima-Zohra Mansouri, ancienne maire de Marrakech, sont également cités, mais les deux ne sont absolument pas convaincants et semblent être des lièvres en faveur du vrai et presqu'unique candidat, Ilyas el Omari Pourquoi Ilyas el Omari ne devrait pas être le SG du PAM L'actuel président de la Région Tanger-Tétouan-al Hoceima et secrétaire général-adjoint sortant est un homme qui affiche bien des talents. L'ayant rencontré à plusieurs reprises, je dois reconnaître qu'il maîtrise la sphère politique, qu'il a de l'entregent, de très nombreuses et impressionnantes amitiés à l'étranger, qu'il dispose d'une mémoire d'éléphant et qu'il déroule une intelligence redoutable. Mais cela ne ferait pas pour autant de lui un bon secrétaire général, pour plusieurs raisons. Militant dans l'âme et ancien condamné politique (jamais arrêté car toujours en cavale), Ilyas el Omari n'est pas un tribun ; son débit de parole est lent, ne reflétant pas du tout son intelligence pourtant acérée. L'homme n'est pas non plus populaire auprès des électeurs qui le perçoivent comme un intrigant au passé trouble (Benkirane n'est pas étranger à cela). Il ne communique pas assez, les yeux rivés sur son appareil partisan bien plus que sur son image. Quand on discute avec lui, il essaie de piéger bien plus que de convaincre, montrant davantage les failles de ses interlocuteurs que la pertinence de ses analyses. De plus, el Omari ne parle que l'arabe et le Tarifit, ce qui est un handicap dans un Maroc ouvert sur le monde. Enfin, Ilyas el Omari n'a pas d'expérience parlementaire ou gouvernementale, le premier poste public qu'il occupe – en dehors de sa présidence effective du PAM – étant celui de la Région de Tanger, qui requiert sa présence effective et à plein temps, ce qui ne saurait être le cas s'il accède à la tête du PAM. Alors qui ? Le problème du PAM est que, de création récente et construit sur un aréopage de gens venus de tous bords et aux réputations pas toujours reluisantes, il n'a pas fait émerger des personnalités d'envergure nationale. Seules quelques individualités sortent du lot, à l'image d'une Khadija Rouissi, qui n'est pas candidate. Cette dame, polyglotte, a un long passé militant à son actif, en plus d'avoir collé son nom et son image à bien des causes nationales. Pas toujours populaires certes, mais avant-gardistes, comme l'abolition de la peine de mort, l'égalité entre les femmes et les hommes... Khadija Rouissi a été l'une des chevilles ouvrières du Forum Vérité et Justice et de bien d'autres organismes de défense des droits. Et, on l'aura remarqué, c'est une femme. Quoi de mieux pour un parti, chantre et champion de la modernité, que de placer une femme à sa tête ainsi que l'a suggéré tout dernièrement Hakim Benchemmas, l'un des fondateurs et des meilleurs connaisseurs du PAM ? Le combat politique aujourd'hui ne se situe plus au niveau de l'origine des formations politiques, mouvement national ou « partis de l'administration » (ou « cocotte-minute »), ni même sur l'antagonisme (importé) gauche-droite, mais sur la posture moderniste et l'(im)posture conservatrice/religieuse. Que faire alors ? Elire Ilyas el Omari au secrétariat général du PAM serait le plus beau cadeau offert au PJD, qui s'est bien exercé contre le Rifain, attaqué de toutes parts et accusé de tous les maux par un Benkirane triomphant et qui n'est jamais aussi en verve que quand il s'attaque à son ennemi préféré. En revanche, le même Benkirane aurait bien du mal à s'en prendre à Khadija Rouissi, dont l'intégrité et la probité est reconnue même de ses pires contempteurs. Si l'idée germe d'organiser un débat/duel télévisé entre les chefs des deux premières formations du pays, laissons-nous aller à imaginer ce que serait une rencontre Benkirane/el Omari... L'un a un débit rapide, l'autre non. L'un a de l'humour, l'autre peu. Seul avantage pour el Omari, il sait se maîtriser et garder son calme, contrairement à la tornade Benkirane. Mais le public marocain aime l'émotion et le spectacle, peu familier avec les arguments techniques et politiques. Avec Rouissi, cependant, Benkirane aurait plus de mal, la députée PAM sachant se montrer féroce quand il le faut, surtout contre le chef du gouvernement, plutôt mal à l'aise avec la gent féminine... Un ticket gagnant serait d'élire Khadija Rouissi – qui ne demande toujours rien – à la tête du PAM, avec Ilyas el Omari comme adjoint. L'une serait la vitrine, l'autre agirait dans ce qu'il sait faire de mieux, les coulisses. L'une s'adresserait aux électeurs, avec sa bonhomie habituelle, l'autre ratisserait l'électorat, avec l'efficacité qu'on lui connaît. L'une pavoiserait pendant que l'autre organisera. Mais le PAM serait-il assez bien inspiré pour sauter le pas, et devenir le premier (grand) parti marocain à placer une femme à sa tête ? Ou alors persistera-t-il à faire ce cadeau au PJD, qui irait triomphalement vers un second mandat à la présidence du gouvernement, alors que seulement 350.000 voix séparent les deux partis, une différence aisément rattrapable au demeurant ? Il apparaît cependant que les jeux soient déjà faits...