La chaîne française France 3 a diffusé jeudi 1er octobre un documentaire revenant sur l'affaire Ben Barka, 50 ans après… Le titre du documentaire a été très bien choisi : « l'Obsession ». Il s'agit en effet d'une véritable obsession qui, si elle est justifiée pour certains protagonistes, l'est beaucoup moins pour d'autres. Ainsi, le documentaire signé Olivier Boucreux est-il davantage une « enquête dans l'enquête » comme il le dit lui-même qu'une tentative de démêler l'écheveau de cette affaire qui implique plusieurs pays, dont le Maroc et la France mais aussi, semble-t-il et selon plusieurs témoignages, les Etats-Unis et Israël. Beaucoup de choses ont été dites sur cette affaire, mais les non-dits restent plus importants. Le documentaire met donc en avant Bachir Ben Barka, fils de Mehdi, qui réclame à juste titre la vérité pour faire, enfin, le deuil de son père. C'est légitime et compréhensible. Mais le film donne la parole aussi au journaliste Joseph Tual, qui fait de cette affaire une véritable « obsession », du juge d'instruction Patrick Ramaël, qui n'a jamais été vraiment très clair dans cette histoire, accusé par ses pairs d'en avoir fait une croisade personnelle, plus orientée vers sa propre promotion que vers la réelle recherche de la vérité. Et puis, Olivier Boucreux donne la parole à l'écrivain Gilles Perrault, auteur du célébrissime livre « Notre ami le roi », qui avait permis l'ouverture du bagne de Tazmamart et la libération des survivants, plutôt morts-vivants, qui y pourrissaient lentement. Violente charge contre Hassan II, plutôt hors contexte dans le documentaire sur l'affaire Ben Barka. L'éthique de Perrault n'est absolument pas à remettre en cause, mais le fait de lui donner la parole dans ce documentaire, si. Olivier Boucreux s'en explique en affirmant qu' « après la récente affaire des journalistes Eric Laurent et Catherine Graciet, accusés d'avoir voulu faire chanter le royaume marocain, "Ben Barka, l'obsession" est une manière de "réhabiliter" ceux qui exercent ce métier avec sérieux et mènent un travail de fond pour faire éclater la vérité ». On sort un peu du sujet alors… Question : si Olivier Boucreux et Joseph Tual veulent vraiment la vérité, c'est en France qu'il faut la chercher pour remonter le fil de toute l'histoire et des dernières heures de Ben Barka, un leader tiers-mondiste effectivement incontournable dans cette décennie 60 qui était celle de la libération de peuples, mais qui dérangeait beaucoup de monde. En 1965, Hassan II avait réuni certains de ses ambassadeurs en poste alors dans des grandes capitales. L'un d'eux témoigne : « Le roi nous avait dit d'expliquer aux dirigeants du monde que Ben Barka lui était plus utile vivant que mort car c'est grâce à lui que lui, Hassan II, avait échappé à la puissance tutélaire du parti unique qui était celle du parti de l'Istiqla. Ben Barka avait scindé l'Istiqlal en deux et rien que pour cela, si cet homme n'existait pas, je l'aurais créé ». La vérité est aussi, peut-être, là, et les coupables sont, peut-être, ailleurs qu'à Rabat… Pourquoi Joseph Tual n'intente pas une action en justice en France pour déclassifier des documents qui seraient encore protégés par le secret-défense ? Et rappelons que celui qui n'était encore que le colonel Dlimi avait été acquitté par ses juges français, en France. En 2008, le journaliste Hamid Barrada écrivait dans Jeune Afrique que le général de Gaulle avait décrété que « l'honneur du navire est sauf puisque la responsabilité de la France n'a été engagée qu'à un « niveau vulgaire et subalterne ». Le président français ne disculpe son pays que pour mieux charger le royaume chérifien et accuse nommément le général Oufkir. Au Maroc, Hassan II le prend également de haut et, mettant en avant le lieu du crime et ses auteurs directs, le présente comme une affaire franco-française, qui ne concerne le Maroc que par l'identité de la victime ». Complexe… Et puis, enfin, 50 ans après, et en dehors du besoin légitime de la famille Ben Barka de faire le deuil de Mehdi, qui se soucie encore de cette affaire, dans un monde confronté à d'autres périls plus actuels… Daech et l'islamisme radical et violent, les menaces de guerre au Proche-Orient, la résurrection d'une Russie agressive, une Amérique impériale, les menaces économiques d'une profonde dépression… et aussi dans un monde fonctionnant différemment, globalisé et connecté ?