On peut supposer que les événements qui secouent actuellement notre société soient une matière fertile pour mieux la comprendre. J'observe pour ma part ce qui se passe et j'essaie d'en tirer des enseignements et autres éclairages. Certains faits sont certes passagers, mais aussi furtifs que récurrents. Cette semaine, je m'arrêterai à deux événements que j'ai vécus séparément. Le premier se rapporte à un ami qui a divorcé voici quelques mois. Il s'agit d'un fait personnel, certes, mais en voulant expliquer la cause du désaccord, mon ami m'avait dit que son épouse, femme active, lui demandait souvent de « l'aider » dans les tâches ménagères. « Quoique je puisse être libéré et libéral, je me suis habitué depuis toujours à voir ces travaux accomplis par ma mère et ma sœur », avait ajouté mon ami. Le second événement concerne une autre de mes connaissances, une femme aussi intelligente qu'entreprenante, qui occupe une fonction de responsabilité dans une institution économique d'importance. Et voilà ce qu'elle m'a confié, il y a quelques jours : « Si je sors dîner en couple, il est tout à fait naturel que ce soit lui qui règle l'addition ». Ces deux anecdotes peuvent être anodines pour bien des personnes mais, pour moi, elles appellent à une pause de réflexion. Nous avons un problème de socialisation qui fait de nos rapports humains, tant pour les femmes que pour les hommes, des relations tendues et empreintes de malentendus. Sans vouloir verser dans une coupable généralisation, il existe un grand nombre d'hommes aspirant à nouer une relation avec des femmes instruites, des femmes actives et qui participent aux frais du foyer, mais des femmes qui prennent en charge les travaux ménagers (ou en grande partie), car telle est leur fonction « naturelle ». Qu'elles soient libérées, mais dans le cadre de limites qu'ils auront fixées, eux. Souvent, cela n'est pas explicitement exprimé, mais il apparaît dans de menus détails du discours et du comportement. En face, il existe de nombreuses femmes à la recherche d'hommes modernes qui respectent leur indépendance et leur personne, qui partagent avec elles les soucis ménagers, qui sont compréhensifs et réceptifs, mais qui prennent à leur charge la plus grande partie des dépenses : l'acquisition ou la location du logement, son équipement, le règlement des factures, les petits présents et les grands cadeaux… Tout cela n'est pas bien équitable. Il n'est pas plus du rôle « naturel » de la femme de faire le ménage que de celui de l'homme d'honorer les dépenses. La « génétique » n'octroie pas davantage la fonction de décision à l'homme qu'elle ne relègue la femme dans celle de l'exécution. Que la femme paie la note du restaurant ne réduit en rien sa féminité, pas plus que cela n'écorne la virilité de celui qui l'accompagne. De même, ce n'est pas une preuve d'amour et de considération que lui seul paie ce qui doit l'être. Il n'est pas inscrit dans le patrimoine génétique du genre humain que la femme ait plus de dispositions que son compagnon à s'occuper de la gestion physique de la maisonnée. Tout cela n'est que socialisation. Il n'est pas raisonnable que l'homme persiste à chercher une femme instruite, ouverte et indépendante, mais une femme qui le serve aussi et lui soit soumise. Il aussi tout aussi irraisonnable qu'une femme se mette en quête d'un homme évolué et qui respecte son indépendance, mais qui soit seul à prendre en charge les dépenses ménagères, les frais de noce et le poids de la dot et de la dette, qui paie pour la Saint-Valentin et invite au restaurant, contraint par « l'habitude » de prouver sa virilité et forcé par la « nécessité » de montrer son amour. J'ai quelque difficulté à comprendre qu'un homme ouvert puisse considérer comme une marque de virilité qu'il s'installe dans son fauteuil pour suivre les péripéties d'un match de foot alors que son épouse ou sa sœur est à la cuisine… pour le simple fait qu'il est homme et que l'autre est femme. J'ai aussi du mal à admettre qu'une femme réclame ses droits de femme mais qui ne soit aucunement perturbée par ces valeurs anciennes qui font d'elle en quelque sorte une marchandise, comme la dot pour le mariage, la moutaa (contrepartie du "plaisir" sexuel masculin) suite au divorce, ou les « arrhes » (Rchim en VO) pour marquer la "réservation" de la future épouse. Si les mots ont un sens, méditions donc le terme « aider »… l'homme « aide » dans les tâches ménagères et la femme « aide » dans les dépenses du foyer… Cela revient un peu à dire que les deux fonctions sont d'essence quasi biologiques, déterminées et relevant même d'une sorte de déterminisme, alors qu'en réalité tout cela n'est que le fruit de cette fameuse socialisation élaborée, puis établie, par des considérations historiques, économiques, sociales, culturelles, géographiques et aussi religieuses, entre autres… Il ne s'agit bien évidemment pas de mettre en place une répartition calendaire et précise des rôles dans la maison et dans la dépense, avec une stricte exactitude et égalité entre l'homme et la femme. Les relations humaines ne peuvent être réduites à cela. Nous tous, femmes et hommes réunis, sommes ravis quand l'autre a quelque considération pour notre effort, à l'intérieur du foyer ou dehors… lorsque nous contribuons à une action ou à une activité quelconque. Nous tous, indépendamment de notre genre, sommes heureux du cadeau offert ou de l'effort consenti par celui/celle que nous aimons. L'essentiel est cependant ailleurs… Il se trouve dans notre interrogation, dans notre remise en question de certaines « évidences » tronquées que nous entérinons à longueur de journée(s)… il se trouve aussi dans le respect de l'un pour l'autre et inversement… et non dans la confirmation du rôle supposé être traditionnellement dévolu à chacun. L'essentiel est de considérer à sa juste valeur ce que nous construisons dans notre relation et comment nous la bâtissons, d'un commun accord et spontanément, entre nous.