Celui, qui a appris à tenir le coup, coûte que coûte. Le chauffeur de taxi, mon ami, lui, a vite fait le tour de la question. Lui aussi en a vu d'autres. Oui, des mecs blessés, qui veulent tenir le coup sur le ring de la vie de tous les jours. Certains y arrivent. D'autres y laissent des plumes. «Tu sais, frère, un taxi c'est comme le divan d'un psy. Profites-en et lâche-toi. Cela ne te coûtera que le tarif de la course, avec les conseils, le sourire, une oreille pour t'écouter et du réconfort». Moi, assis derrière, j'ai parié sur la pudeur du client. Je me suis dit, il va revendiquer son droit au silence et gardera sa vie privée pour lui. Tout faux. Le bonhomme en avait gros sur la patate. Il a bondi sur l'os tendu par le taxi-driver et s'est épanché. Les vannes sont ouvertes: «Ma femme me fait cocu. Elle a un amant, plus jeune que moi. Je l'ai suivie. J'ai tout vu. Je ne sais pas quoi faire. J'en ai parlé à un ami. Il m'a conseillé de lui tendre un piège et de la faire juger pour adultère. Je ne sais pas comment m'y prendre». Gros morceau. Affaire tendue. Douloureuse. Il faut y aller en douceur : «Vous n'avez pas besoin d'en arriver à de telles extrêmes. Il n'y a, de toute évidence, plus rien de vivable dans cette histoire. L'eau a coulé sous les ponts. Et le lit de la rivière est sec, frère. Laisse tomber, tourne la page, va discuter avec ta déjà future ex-épouse, dis- lui que tu sais tout, garde ton sang-froid, mettez-vous d'accord sur un divorce sans accrocs, et salut, à dans une autre vie, peut-être». Le conseil du taximan est du genre radical. Cela ne semble pas convenir au quinquagénaire meurtri dans sa chair, sa virilité, lui, l'homme dont la femme va voir ailleurs si le bonheur peut exister, encore ! Je risque une sortie : «Ou alors si tu tiens encore à ta femme, à ta vie de famille, à tes habitudes et que c'est très dur pour toi de changer d'existence, va tout de même parler à ta femme et mettez les points sur les «i». Peut-être qu'il y a encore de l'espoir pour votre ménage.» Le type est aux abois. Grande souffrance. Il est encore amoureux, le pauvre bougre. Il va en baver. C'est comme ça.
Car dans ces affaires de cœur, tant que les sentiments sont encore vivaces, on peut encore construire, laver les affronts, oublier les drames, les blessures, les petitesses de chacun, et c'est ce que le chauffeur lui martèle en douce, pour l'encourager et le réconforter. J'abonde dans ce sens également pour aider ce compagnon d'infortune, parce que, nous tous, les hommes, à un moment ou à un autre de notre vie, nous avons touché le fond. Et on sait ce qu'il faut faire quand on racle les profondeurs de la douleur, on creuse davantage. Soit on trouve une issue, soit on se paie sa propre tombe. Ce que je ne souhaite pas à cet homme, qui semble à deux doigts de se décider d'aller retrouver sa moitié, la serrer fort, l'embrasser, peut-être même l'aimer et oublier que la rancune dans un couple est un poison incurable. Amen !