L'aspect et la dimension linguistiques de l'interview du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Mustapha el Khalfi justifiaient-ils toute cette tempête médiatique qui n'est pas encore retombée à l'heure de l'écriture de ces lignes ? Et le fait de parler dans un français modeste mérite-t-il un tel soulèvement du « peuple » de facebook, sachant que par ailleurs, la langue utilisée dans les réseaux sociaux est d'une prodigieuse indigence, l'arabe y étant transcrit en caractères latins avec des symboles douteux ? De quoi parle-t-on ? De l'entretien tenu à Europe1 avec le ministre, sur le thème des relations maroco-françaises. Or, le problème de M. Mustapha el Khalfi n'était pas tant au niveau de la langue française que dans la manière avec laquelle il a géré l'interview, dans la nature de ses réponses et dans le niveau de son affrontement avec l'interviewer. Tous ces points ont été occultés dans la déferlante de commentaires agressifs contre le jeune ministre. Avant de nous atteler à la discussion de cette intervention d'el Khalfi, il est important d'évoquer ce qu'il faut bien appeler un phénomène social étrange au Maroc, où le fait même de ne pas maîtriser une seule langue étrangère qui est le français, sachant qu'elle n'est pas notre langue maternelle ni celle de l'écrasante majorité de nos compatriotes, est considéré comme une tare impardonnable, un défaut handicapant projetant les concernés au plus bas de l'échelle sociale… alors même que ceux qui ne maîtrisent pas l'arabe, la langue officielle du pays, bénéficient d'une sorte d'aura qui les élèvent au-dessus du troupeau ! Et ainsi, vous ne trouverez personne pour reconnaître qu'il ne parle pas le français sans que le rouge ne lui monte au front alors qu'à l'inverse, celui qui admet ne pas maîtriser l'arabe le dit avec la grande sérénité de celui qui sait que cette ignorance le propulsera au sommet de la pyramide sociale. Et de fait, nous assistons chaque jour à de grands massacres de l'arabe, à la télévision, au parlement et ailleurs, dans les déclarations de responsables de niveaux divers et essentiellement chez ces grands patrons qui dirigent les non moins grandes entreprises publiques. Mais là, nous ne voyons ni n'entendons aucune attaque, aucun commentaire et encore moins de bourrasques numériques ou autres… parce que la société s'est accoutumée à la glorification de ceux qui ne parlent pas l'arabe et au mépris de ceux qui ne s'expriment pas assez correctement en français. Revenons à Mustapha el Khalfi. Cet homme est le porte-parole du gouvernement marocain et son erreur est de n'avoir pas imposé à la radio qui l'a invitée un entretien dans la langue que prévoit la constitution dont relève son gouvernement. Les Français auraient-ils accepté que le porte-parole de leur gouvernement s'exprime en anglais s'il s'était trouvé à Washington ou à Londres ? Ce genre de choses ne passe pas à Paris. Nous ne sommes pas obsédés, au Maroc, par ce bilinguisme qui est le nôtre, pas plus que nous sommes ici submergés par un constitutionnalisme exacerbé, car au final, une constitution prévoit des institutions mais n'instaure pas une société… sauf que cette minorité qui a gouverné ce pays a fait de la francophonie une sorte de racisme, œuvrant à ce que les choses ne changent pas… alors même que la meilleure façon de sortir de cet imbroglio linguistique dans notre pays est dans l'arabe, le français, la darija et l'amazigh, tout en conférant la priorité scolaire à l'anglais comme langue étrangère, rompant ainsi avec ce handicap que connaît la grande majorité des Marocains qui doivent passer par le français comme une nécessité pour construire l'avenir de leurs enfants. Pour cela ces centaines de milliers de familles doivent se résoudre à mener une guerre tant morale que matérielle pour au final procurer à leurs progénitures une éducation hybride qui les conduit à vivre dans un environnement marocain tout en s'imposant de parler le français dans leurs chaumières. Et donc, le problème réside dans l'analyse objective, loin de tout ce racisme francophone… le problème n'est pas celui de la langue de Mustapha el Khalfi, mais plutôt celui du contenu… En effet, face à des questions relativement modestes et faciles à lui posées, comme ce qui s'est passé cette dernière année entre Rabat et Paris, ou encore sur l'audition éventuelle du chef de la DST Abdellatif Hammouchi ou enfin sur la fouille au corps subie par le ministre des Affaires étrangères… le porte-parole officiel du Maroc a préféré (et s'est contenté de) répondre que cela appartenait au passé et que c'était là affaire d'historiens, le politique, lui, regardant vers l'avenir. On peut soutenir l'idée que cela ait donné une image négative du Maroc et du niveau des débats internes qui y ont cours, en plus des marges de liberté dont bénéficient les responsables politiques. Le Maroc a ainsi donné l'apparence que ses dirigeants ont les mains liées et qu'ils ne peuvent parler des grands problèmes qui se posent. Cela, tout cela revient donc à une mauvaise appréciation de ce jeune ministre pourtant connu pour sa puissance de communication, avant même qu'il ne soit désigné au gouvernement. Plus profondément encore, cette affaire nous ramène à la nature de cette transition démocratique dans le pays… Mustapha el Khalfi sait parfaitement qu'il est le porte-parole du gouvernement mais non de l'Etat , et c'est pour cela qu'il a pris beaucoup trop de précautions dans une question glissante, sauf que le Maroc, dans l'affaire de Hammouchi ou celle de Zakaria Moumni – que Rabat vient de poursuivre devant la justice française –, a affiché des positions claires que le ministre aurait dû évoquer, avant de se lancer et s'élancer vers l'avenir. Les choses ne se passent pas toujours aussi bien qu'on le souhaite… Et il faut savoir que les ministres de l'Information et/ou de la Communication dans les pays du tiers-monde ne sont pas toujours dans les premiers cercles du pouvoir, et qu'ils campent traditionnellement le rôle de gens qui sont là pour briser le silence alors même que ceux qui font – réellement – l'actualité sont les porte-silence de l'Etat, laissant l'opinion publique et ses ministres brasser du vent !