Observateur International au titre des Droits de l'homme, l'avocat français, Hubert Seillan, auteur du livre Le Politique contre le Droit, le Sahara, les Droits de l'homme, le procès de Gdim Izik (Ed. La Croisée des chemins) est aussi le créateur de la Fondation France Maroc. Il était auditionné, récemment, à New York, dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le sujet du Sahara. L'occasion pour MAROC DIPLOMATIQUE de revenir sur les enjeux de son livre témoignage. * MAROC DIPLOMATIQUE : Hubert Seillan, pourquoi ce livre ? – Ce livre a une double actualité. Il a valeur de reportage sur le procès dit de Gdim Izik, qui a eu lieu devant la cour d'appel de Rabat, en 2017, et il est un témoignage sur la marocanité du Sahara qui est en discussion au plan international. Le procès avait à juger les auteurs de la mort de 13 jeunes marocains auxiliaires de la gendarmerie, un soir de novembre 2010. Les faits sont connus. Il n'est pas nécessaire d'y revenir. La justice est passée. Des peines ont été prononcées. Elles ont été jugées raisonnables par la communauté internationale. Un recours en cassation a cependant été engagé par les condamnés. Ayant suivi tout ce procès avec une grande attention, au titre d'observateur international pour les droits de l'homme, j'en ai fait une chronique régulière. Ce qui m'a permis de prolonger cet exercice par un livre. Ce livre n'a cependant pas qu'une utilité de mémoire, car il témoigne aussi de la marocanité du territoire devant l'opinion et les institutions internationales. Il doit permettre de comprendre que le conflit avec le Polisario est totalement artificiel, car il relève d'enjeux internationaux du passé. Il doit aussi être vu dans sa dimension politique. A cet effet, je serai auditionné, durant la semaine du 7 au 14 octobre, par l'Assemblée générale des Nations Unies. * Ce livre n'est donc pas seulement un reportage sur le procès ? C'est un reportage sur le procès, mais c'est plus que cela. C'était nécessaire. Pourquoi était-ce nécessaire ? Simplement parce que l'observateur que j'ai été a été très attentif aux creux et aux bosses des débats. Parmi les creux, je veux dire ce qui n'a pas été dit, il y a eu le Sahara. Cela peut étonner que durant plus de six mois, l'on ait affirmé un droit à l'indépendance, sans jamais parler du Sahara. Ce creux est donc considérable, large et profond, essentiel. Il a compté pour moi autant que les débats. Je l'ai donc fouillé avec méthode, ce qui m'a conduit à revenir sur des lectures, sur des échanges que j'ai eus à Laâyoune et à Dakhla notamment, avec des gens nés dans le pays, qui sont sahraouis et marocains, comme on est européen et français ou espagnol. On ne peut comprendre ce procès en faisant l'impasse des anciennes colonies espagnoles. Mais leur identité marocaine est si fortement marquée par les faits de l'histoire, par la culture, par la religion, par le principe de l'allégeance au Sultan et aussi par l'attachement des populations, que le meilleur moyen pour les prévenus était de ne jamais parler du Sahara. Le portrait de Hubert Seillan et la couverture de son livre «Le Politique contre le Droit». Parmi les bosses, je veux dire ce qui n'aurait pas dû être, il y eut les assauts verbaux invoquant l'illégitimité du procès, les droits de l'homme et un droit aussi obscur qu'incertain à l'indépendance. Ces bosses ont pollué le procès. La procédure pénale marocaine étant peu critiquable, en raison de ses proximités très grandes avec les procédures occidentales et pouvant être vues comme une synthèse des pratiques françaises et anglo-saxonnes, les prévenus ont choisi de refuser les débats sur les faits, pour tenter d'imposer celui des idées. Ce qui permet de comprendre le titre que j'ai choisi pour ce livre : Le Politique contre le Droit. Entre ces creux et ces bosses, la Cour de Rabat a eu le grand mérite de permettre au procès de se développer jusqu'à la décision dans le respect des règles de procédure. Mais l'on aura compris que l'important pour moi était de rendre compte de ce procès dans sa globalité, c'est-à-dire en traitant des creux et des bosses autant que des audiences. Ce qui explique le sous-titre que j'ai donné à ce livre : Le Sahara, les droits de l'homme, le procès de Gdim Izik. * Vous dites qu'il ne fait aucun doute que ce Sahara est marocain ? – Je le dis simplement parce que les faits en décident ainsi. Je ne suis animé par aucune idéologie particulière à cet égard. Je n'ai aucun mérite à le dire. Je le constate, comme vous constatez que le soleil se lève à l'Est. Cependant, la contestation des faits les plus avérés, les plus tangibles, a toujours eu lieu, dès lors, que le politique intervient, surtout s'il est teinté d'idéologies contradictoires. Ce qui est le cas ici. Mais autant le constat porte sur des faits anciens, autant leur contestation politique est récente, puisqu'elle date de la décolonisation espagnole de 1975. Cette période est marquée par l'opposition frontale des blocs Est et Ouest. Le grand voisin algérien est le fer de lance actif de l'Est en Afrique. Le Maroc est rangé dans la logique de l'Ouest. La géopolitique a créé de toute pièce le conflit. L'affirmation d'une identité nationale des anciennes colonies espagnoles par l'Algérie est ainsi un pur produit idéologique. Mais encore faut-il le rappeler. Et la meilleure méthode est simple. Elle consiste à dire ce qui est. Ce que j'ai fait en fouillant les passés lointains et plus récents, notamment en citant les grands observateurs marocains ou européens et même américains. Et bien sûr, Hubert Lyautey qui nous permet de voir que le protectorat n'a pas été une colonie, du moins jusqu'à l'après-guerre de 40. J'insiste beaucoup sur les marques. Seuls les aveugles ne peuvent les voir. Ce qui me permet de dire dans le livre que les Sahraouis sont ici marocains, mais là mauritaniens, là maliens, plus loin nigériens, comme les Européens sont ici français, là allemands, là encore espagnols. * Le Royaume du Maroc accorde-il les droits fondamentaux d'une démocratie, aux Sahraouis vivant sur les territoires du Sud ? – Que sont ces droits ? Théoriques, ils sont inscrits dans la nouvelle Constitution de 2011. Mais un droit n'a de signification que dans sa traduction concrète. J'insiste donc beaucoup sur la réalité actuelle de ces territoires. Lors de mes nombreux voyages, j'ai constaté : – La scolarisation très élevée des enfants et des adolescents, – L'existence de nombreux services publics sanitaires, sportifs, culturels et cultuels disposant d'importantes infrastructures matérielles et de personnels compétents, – Un développement très dynamique de l'économie des territoires, avec de nombreuses entreprises dirigées par des Sahraouis et la place importante accordée aux femmes, – Une activité artisanale dans la pêche côtière, très innovante, car étrangère à la culture nomade, – Une vie associative très dynamique, dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle, – La très forte participation citoyenne aux élections politiques aux plans national, régional et local, – Le rôle très concret joué par les instances de médiation et tout particulièrement des instances locales du Conseil national des droits de l'homme (CNDH). Ces constats sont traduits par un Indice de développement humain qui est supérieur à la moyenne nationale. Autant de marques modernes de la marocanité. * Venons-en au procès. – Observateur au titre des droits de l'Homme, comme je vous l'ai dit, j'ai suivi le procès avec une extrême attention tant au point de vue de la procédure formelle qu'à celui du fonctionnement des audiences. Ma carrière de professeur de droit, aujourd'hui, ma fonction d'avocat au Barreau de Paris, me permettent d'affirmer, solennellement, que j'ai procédé en suivant le principe scientifique et moral qui impose qu'aucun a priori n'intervienne dans le raisonnement. J'ai constaté les données essentielles suivantes et j'y insiste: – La procédure pénale marocaine est plus influencée par les principes anglo-saxons que par le modèle français, en raison de la place qu'elle accorde au contradictoire. – La pollution des audiences par les défenseurs des prévenus, qui ont politisé les débats, négligé les moyens de défense sur les faits ouverts par la procédure très contradictoire et le grand libéralisme du président de la Cour. – Les droits de l'Homme les plus abstraits et idéologiques ont envahi le prétoire. – Les défenseurs et les associations spécialisées dans les droits de l'Homme ont usé d'affirmations qui ne peuvent être qualifiées que de mensongères, comme je l'ai dit au sujet de la prison d'Ajarte où étaient détenus les prévenus. Je peux affirmer, en conséquence, que ce procès a été parfaitement équitable. Mais j'ajouterai que la discussion sur les droits de l'Homme ne peut être envisagée seulement du point de vue des auteurs des faits criminels et à leur seul bénéfice. Il m'est apparu, ainsi qu'à de nombreux autres observateurs indépendants, que le débat a été occulté, à deux autres points de vue, celui de l'intérêt des prévenus eux-mêmes et celui des victimes. – La stratégie de défense retenue par les défenseurs, parce qu'elle a été toute entière dirigée au seul bénéfice de la cause politique du polisario, n'a pu qu'être préjudiciable aux prévenus. De sorte que se pose la question de savoir si cette option n'a pas bafoué leur droit fondamental d'être défendus par un avocat totalement engagé dans la défense de leurs seuls intérêts directs et personnels. Les droits de l'Homme doivent aussi être vus sous cet angle. – Les 13 jeunes gens assassinés dans des conditions indignes et leurs familles, ont été ignorés et méprisés par les défenseurs des prévenus, ce qui permet d'y voir une atteinte à leurs droits fondamentaux. Les familles ont toute légitimité pour condamner ces pratiques au nom des droits de l'Homme.