L'Arabie Saoudite envisage bien tourner la page de l'ère pétrolière et entend se préparer à bâtir une nouvelle économie en rupture avec celle qui a prévalu, jusqu'à maintenant, fondée sur la rente que lui procurait l'exportation de l'or noir. A cet égard, un plan baptisé «Vision 2030» a été annoncé. L'annonce officielle de ce tournant en a été faite, le 25 avril dernier, par le troisième personnage du régime saoudien, à savoir, le fils du Roi Salman ben Abdelaziz Al Saoud, le vice-prince héritier Mohammed ben Salman, qui est également vice-Premier ministre, conseiller spécial du souverain et président du Conseil des affaires économiques et de développement dont relève, notamment, la première compagnie productrice de pétrole au monde l'Aramco. Dans un entretien à la chaîne de télé- vision Al Arabiya, juste après l'adoption dudit plan par le conseil des ministres, le jeune prince, 31 ans, n'est pas allé par quatre chemins pour expliquer que le temps était venu pour l'Arabie Saoudite de porter les revenus non-pétroliers à plus de 266 milliards de dollars contre un peu plus de 43 milliards, actuellement. «Nous avons développé une sorte d'addiction au pétrole en Arabie Saoudite», a-t-il déclaré avant de souligner que le temps était venu de rompre avec cette addiction aux revenus, jadis, plus que confortables du pétrole. Pour ce faire, il a indiqué que son pays compte décupler les capitaux alloués à son fonds d'investissement souverain, pour les porter à 2000 milliards de dollars, soit le plus important au monde, en cédant quelque 5% du capital du géant pétrolier Aramco jusque là, détenu à 100% par l'Etat. Selon le vice-prince héritier, ce fonds souverain devra constituer le fer de lance des investissements internationaux saoudiens et fera passer ainsi l'Arabie Saoudite d'une puissance pétrolière à une super puissance financière. Fondé sur l'hypothèse d'un baril à 30 dollars, le nouveau plan devra permettre à l'Arabie Saoudite, selon les explications du prince, de pouvoir se passer des revenus pétroliers, dès 2020. Et comme pour donner le coup d'envoi au plan annoncé, des mesures visant la libéralisation du marché boursier saoudien ont aussitôt été rendues publiques. En effet, jusque-là difficilement accessible aux investisseurs étrangers, le marché financier méritait aussi un lifting que le régulateur boursier saoudien n'a pas tardé à annoncer. Aussi, une semaine à peine après l'annonce de la vision 2030, il a fait savoir qu'il allait assouplir ses règles, en faveur des investisseurs étrangers, dans le cadre de la diversification économique. Ouverture et libéralisation L'assouplissement des règles pour les investisseurs étrangers vise à «rendre l'environnement du marché financier plus stable, soutenir l'économie nationale et stimuler l'investissement», a souligné le régulateur Boursier. A vrai dire, ces annonces ne constituent aucune surprise. Pour de nombreux observateurs, l'économie saoudienne était sur une pente descendante avec la chute des prix du pétrole que Riyad alimentait, au sein de l'OPEP, refusant tout plafonnement de la production pétrolière sous prétexte de vouloir préserver ses parts de marché. Aux autres pays exportateurs comme l'Algérie et le Vénézuela qui voyaient sombrer leurs économies et les conditions de vie de leurs populations, Riyad avait, en effet, opposé un niet cinglant quant à la nécessité de plafonner la production pétrolière, malgré les nombreux déplacements à Riyad des responsables de ces deux pays en vue d'en convaincre les dirigeants saoudiens. S'agit-il réellement pour l'Arabie Saoudite de maintenir ses parts de marché? Beaucoup d'observateurs en doutent. En guerre contre le régime syrien de Bashar Al Assad et au Yémen contre les Chiites Houtis, l'Arabie Saoudite cherche à faire payer le prix fort aux deux autres géants pétroliers à savoir l'Iran et la Russie qui constituent les principaux soutiens à ses deux ennemis dans la région d'autant que Téhéran devra recouvrer, sous peu, sa liberté commerciale après avoir obtenu un accord avec les puissances occidentales sur son programme nucléaire contesté. Pour preuve, l'économie saoudienne connaît, elle-même, des difficultés, du fait de la chute des prix du pétrole. En effet, le déficit budgétaire du royaume saoudien n'a jamais été aussi bas. Il est même en chute libre. Il a atteint 98 milliards de dollars, en 2015, soit 15% du produit intérieur brut (PIB) alors que le budget 2016 prévoit un déficit encore plus important se chiffrant à 121 milliards de dollars. Certes, le royaume possède d'énormes réserves financières, estimées à quelque 680 milliards de dollars, mais les autorités ont préféré, cette fois, réduire leurs dépenses, en décidant même d'opérer des coupes dans certaines subventions. L'engagement de l'Arabie Saoudite sur les fronts yéménite, syrien, voire irakien, a ainsi un coût comme l'illustrent les dépenses consacrées à la défense qui ont grimpé à 58,8 milliards de dollars, soit plus du quart du budget 2016. Mesures impopulaires En ce sens, dès fin décembre, le gouvernement avait ainsi annoncé qu'il allait revoir les prix de certains services de base comme l'eau et l'électricité. Résultats : les premières augmentations sont tombées là où le consommateur saoudien ne s'y attendait jamais; une augmentation de 50% du prix de l'essence sans plomb 95 et de 67% de l'essence 91, passant respectivement à 0,23 dollars et à 0,20 dollars, au pays où l'automobile reste le moyen de déplacement privilégié. Au plan social, la situation est, de moins, en moins rose. Le chômage touche surtout les jeunes; la fonction publique, qui constituait, jusque-là, un refuge pour de nombreux lauréats universitaires, étant arrivée à saturation. Le temps de l'Etat employeur est révolu. Pour y apporter une solution, le jeune prince, en présentant son plan, n'a pas manqué de souligner la volonté de son pays de faire passer la part du secteur privé dans l'économie de 40 % à 60 %, et à ramener le taux de chômage de 11% à 7,6%. Il faut dire que le travail en Arabie n'est pas le fort des Saoudiens habitués au confort que leur procurait la rente pétrolière. Sur les 29,2 millions d'habitants que compte le pays, 9,4 millions sont des étrangers venus, essentiellement, des pays asiatiques (Pakistan, Afghanistan, Philippines...) et de pays arabes voisins (Egypte, Yémen, Syrie, Liban...) pour travailler en Arabie Saoudite. Ils sont domestiques, chauffeurs, épiciers...mais aussi ingénieurs, médecins ou hauts cadres d'entreprises. Selon le FMI, en 2012, le taux de chômage touchait 5,5% de la population globale et 12,1% des Saoudiens. Avec une population constituée à 75% de jeunes de moins de trente ans, c'est un tiers des jeunes qui est au chômage. Ils sont d'ailleurs quelque 300 000 jeunes saoudiens qui arrivent, chaque année, sur le marché du travail. Le chômage touche encore plus les jeunes femmes dans un pays où la gente féminine ne dispose pas encore de certains droits, même élémentaires comme celui de conduire une voiture. Certes, des réformes ont été engagées par les responsables saoudiens comme, en témoignent l'entrée de trente femmes au Parlement (le Majlis), en janvier 2013, l'élargissement des catégories d'emplois auxquelles elles peuvent prétendre et la modernisation du système éducatif. Mais le chemin reste encore très long, pour elles, de jouir des mêmes droits que les hommes. Toutefois, pour nombre d'analystes, il serait peu probable que les réformes annoncées soient à même de contribuer à la création d'emplois qui reste tributaire de la nature des investissements qui seront réalisés par le fonds souverain envisagé. Car, estiment-ils, le défi à relever pour l'économie saoudienne réside dans sa capacité à développer un appareil productif, donc un secteur privé qui soit capable d'exporter autre chose que du pétrole. Un choix politique Pour Riyad, le choix ne se pose pas, cependant, uniquement en termes économique et social, il est surtout politique. Car, au-delà de l'économie, il s'agit pour l'Arabie Saoudite de préserver et de renforcer son leadership, dans la région. Sa position de puissance régionale dans une partie du monde, en proie à de nombreux conflits, fait qu'elle ne peut pas se passer d'investir dans sa défense et son rayonnement aux plans arabe et international. L'engagement de l'Arabie Saoudite sur les fronts yéménite, syrien, voire irakien, a ainsi un coût comme l'illustrent les dépenses consacrées à la défense qui ont grimpé à 58,8 milliards de dollars, soit plus du quart du budget 2016. Selon un rapport publié, récemment, par le cabinet d'experts IHS Janes, basé à Londres, Riyad est devenue, en 2014, le premier importateur mondial d'équipements militaires, avec des achats à l'étranger qui ont atteint 6,6 milliards de dollars.