Je me souviens d'un petit recueil d'à peine cinquante pages de Henry de Montherlant, paru en 1936 et dont le titre, Pitié pour les femmes, laisse imaginer le peu de respect que l'auteur portait non pas aux femmes réelles, mais aux fameuses et éternelles «valeurs» dites féminines. Pourquoi ai-je choisi de parler de celui-ci dans cette chronique alors que je suis une vraie convaincue de la cause féministe ? Parce qu'il définit en négatif une féminité universelle dans laquelle nous continuons à nous construire sans même le savoir. Cette féminité littéraire est celle du ressentiment, de la victimisation et de la vulnérabilité. Féminité jalouse, toujours souffreteuse, encouragée par l'éducation, les carcans moraux, etc. Dans cet étalage de figures féminines peu ragoûtantes, je me souviens pourtant d'un personnage de femme triomphal et joyeux. Une femme moderne dans son théâtre. Montherlant l'a nommée Dominique, un prénom qu'il a choisi sans sexe, ni genre, comme une pirouette de l'entre-deux, ni homme, ni femme, juste un être de grâce et d'intelligence, aimable, beau et fort. Une femme idéale. Un idéal féminin qui réunit dans la même personne les qualités attribuées aux deux sexes. Pour moi, un monde parfait. Dans un partage sympathique des caractéristiques physiques et morales de chacun et chacune. L'oeuvre de Montherlant fut l'une de mes premières lectures adolescentes et cela a compté. Il y eut d'abord Montherlant et je ne me suis pas privée de m'identifier au jeune auteur de La Reine morte, dans sa période torero. Puis, je suis passée à Tolstoï et j'ai cherché Dieu avec Lévine au lever du soleil sur les somptueuses terres de la campagne russe...Bref, je fus une adolescente nourrie de garçonneries et d'exploits littéraires virils. Je me rends compte, aujourd'hui, que la matière virile n'a rien à voir avec le sexe. Celle-ci m'apparaît juste comme une valeur cardinale partagée, indifféremment, selon des critères non hormonaux. Elle serait plutôt de l'ordre de la volonté et de la création. Je ne me suis jamais posé la question de savoir à quel sexe la matière virile est censée appartenir. J'en ai déduit que la lecture des auteurs classiques ne rend pas plus «femme», mais elle rend plus fortement vivante. Une femme qui lit me semble toujours prête à l'action, plus talentueuse à prendre sa vie en main. Ce que la presse appelle, faussement, dans un dérapage sémantique, la femme «puissante», je l'appelle moi, la femme «virile », celle qui manie la liberté comme qui rigole, consciente de sa douceur mais aussi de sa force. En gros, et pour résumer, je crois que sur ce coup, je rejoins Catherine Deneuve. Et par la même occasion, l'acteur Gérard Depardieu qui, à propos de Deneuve, confiait en riant que Catherine était en fait un homme... Nous sommes toujours dans les fameuses valeurs «viriles» indifférenciées sexuellement. C'est cela qu'il faut opposer aux walkyries mondialisées du néo féminisme parce que nous ne croyons pas à l'efficacité de tant de tapage médiatique sur les réseaux sociaux. Nous ne voulons ni dérapages, ni violence, ni outrance, ni haine à l'endroit des hommes. Ce que nous voulons ? Des femmes puissantes et rien d'autre. Pas celles du fric, des réseaux, de la bourgeoisie, non, tout cela n'est qu'enfumage des médias pour faire oublier que la femme puissante est ailleurs. C'est Deneuve certes, mais aussi Simone Veil et bien d'autres. Elles représentent la non vulgarité, la non injonction, la non-dénonciation... Mais la liberté, oui. La liberté, disent-elles. Deneuve en rajoute: « Je n'aime pas ces effets de meute, trop communs aujourd'hui. D'où mes réserves, dès le mois d'octobre sur ce hashtag ''Balance ton porc'' (... ) Je ne suis pas candide, mais en quoi ce hashtag n'est-il pas une invitation à la délation ? Qui peut m'assurer qu'il n'y aura pas de manipulation ou de coup bas ? Qu'il n'y aura pas de suicides d'innocents ? Nous devons vivre ensemble, sans ''porcs'', ni ''salopes''.» Hashtag, je suis Catherine Deneuve. C'est acquis. Je ne veux plus que l'on éduque les filles devant les princesses Disney, mais qu'on les place devant des livres, qu'on puisse les convaincre de grands avenirs professionnels dans nos pays où les universités ne coûtent presque rien, mais où, pourtant, nos étudiantes ne se voient jamais assez grandes. Nous avons besoin de cela, de filles puissantes et douces pour l'avenir. p style= »text-align: justify; » Et l'amour dans tout ça ? Celui des hommes et des femmes. Eh bien, parlons-en, parlons aussi du désir. De sa complexité qui exige la dualité et non la reproduction du même. Nous ne voudrions pas voir éclore une génération d'hommes qui soient des femmes comme les autres. Nous les voulons «hommes», c'està- dire issus de ce continent noir qui «hormonalement » nous échappe. Nous voulons poursuivre cette danse bizarre qui nous emmène dans leurs bras, en femmes «vraies». Danse peu orthodoxe, aux règles très folles, à faire bondir toute analyse puritaine de la situation. Balancement des profondeurs que nous dansons ensemble, l'un avec l'autre, l'un contre l'autre, sans mots ni vertu. Car entre nous, il y aura toute la palette qui va du soleil à la nuit, et dans cette sacrée confusion de ce qui est bien ou mal, nous chercherons toujours l'amour. Car, entre nous, couple improbable depuis des siècles et des siècles, nous ne saurions nous aimer autrement.