Il est évident que les médias de masse, particulièrement la télévision, dominent la conscience et les perceptions de la société moderne. D'ailleurs, cette dernière est l'interface par laquelle les gens apprennent ce qu'ils savent du monde et c'est à travers elle qu'on véhicule ce qu'on pense de l'actualité. Aussi cet outil a-t-il une sorte de monopole de fait sur la manipulation d'une grande partie de la population. De ce fait, il est comme une sorte de miroir qui reflète l'image de la société moderne et trône dans plusieurs endroits stratégiques de la maison à tel point que le son qui en émane est devenu un rituel, dans la majorité des foyers, peu importe qu'on regarde ou non, l'essentiel est qu'il y ait cet écho et ce bruit de fond agréable pour meubler l'espace comme pour rassurer la personne et lui donner l'impression qu'elle n'est pas seule. Par conséquent, la place de la télévision dans la vie d'une grande tranche de la société a fait d'elle une sorte de témoin de notre société. Un miroir qui traduit nos craintes, nos priorités, nos préoccupations et nos rêves. Ceci dit, peut-on dire que les télévisions nationales marocaines sont le reflet de la vraie société marocaine? Il était une fois la TVM Force est de rappeler que le Maroc était pionnier dans le domaine de l'audiovisuel puisque déjà, dans les années 50, la société française TELMA qui voyait en la communauté européenne un public potentiel avait obtenu le permis d'exploitation et de diffusion qui ne commençait qu'en 1954. Toutefois, l'expérience a dû s'interrompre suite aux événements politiques houleux provoqués par le mouvement nationaliste qui secouaient le pays à cette époque-là. Suivant l'évolution politique et historique du Royaume, la chaîne publique marocaine devait débuter le jour de la célébration de la première année du règne de Feu le Roi Hassan II, le 3 mars 1962, émettant en noir et blanc (la couleur n'étant introduite qu'en 1972). Le statut de la TVM est passé successivement du régime de la capacité juridique et de l'autonomie financière à celui de l'établissement public, puis à son intégration à l'Administration centrale du Ministère de l'Information (aujourd'hui ministère de la Communication), avec un budget annexe. La TVM assure alors son équilibre financier moyennant une subvention de l'Etat en plus d'une contribution indexée sur la consommation d'énergie des foyers. A partir, du 3 mars 1993, la télévision marocaine passe au numérique et les programmes sont transmis par le satellite européen Eutelsat2F3 pour permettre à la communauté marocaine à l'étranger une certaine proximité avec le pays et donner l'image d'un Maroc moderne sur le plan international. Le 3 avril 2005, la Radio Télévision Marocaine devient société anonyme sous le nom de la SNRT. Une transformation de taille qui fait naître l'espoir chez les Marocains qui espéraient une télévision indépendante, responsable et de proximité. 2M : première chaîne privée dans le monde arabe L'expérience de 2M est pionnière en son genre. Elle acte donc sa présence édifiante par son démarrage le 4 mars 1989 en diffusant des émissions en crypté avec deux plages en clair et en sélectionnant, de prime abord, son public via un abonnement mensuel. 2M était gérée par l'ONA (Omnium Nord Africain, aujourd'hui SNI ) premier groupe industriel privé d'Afrique en association avec la chaîne française TF1, la SOFIRAD, le groupe canadien VIDEORON et les institutionnels marocains. L'élite médiatique dé- couvre, avec joie, une nouvelle alternative pour fuir le conformisme de la première chaîne et les téléspectateurs, tels des moustiques attirés par la lumière, étaient épatés par cette chaîne thématique et ses programmes élitistes et de haut niveau. Seulement et après quelques années, souffrant de piratage et de concurrence déloyale, elle se travestit en chaîne de proximité et se généralise. Pourtant, face aux difficultés financières, l'ONA, l'actionnaire principal, préfère se retirer de la gestion de la chaîne qui fait vite faillite et c'est l'Etat qui vient à la rescousse. Il prend le contrôle de 2M, en juin 1996, avec une participation de 68% dans le capital pour la placer sous son giron. C'est alors que la deuxième chaîne passe à la diffusion en clair, en janvier 1997. Désormais reçue par près de 70% de la population, 2M se repositionne et constitue une fenêtre du Maroc sur le monde extérieur. Par ailleurs, la SNRT, se dote d'un bouquet de chaînes qui enrichit le paysage audiovisuel marocain à savoir Al Maghribia, Arriyadia, Arrabiâ, Assadissa, Aflam TV, Tamazight et Laayoune. Plusieurs chaînes mais a-t-on une vraie télévision ? Il est bien regrettable qu'on parle des télé- visions nationales marocaines avec beaucoup d'amertume et surtout de nostalgie. Si elles sont critiquées voire décriées aujourd'hui, il faut bien avouer qu'elles ont connu leur heure de gloire. Eh oui, les téléspectateurs se sont bien délectés de nombreuses émissions et séries de grande facture. Il fut un temps où le public guettait « Wajh wa hadat » de la regrettée Malika Malak, « Emergence » de Réda Benjelloun, « Entretien » de Touria Souaf, « L'homme en question » de Samira Sitail et de Fatima Loukili dans sa version arabe, Arts et Lettres de Omar Salim, « Polémiques » de Fedwa El Hassani, « Rihanat moujtamaâ » de Meriem El Faraji, « Namadij » de Maria Latifi, « Marocains du monde » de Mustapha Bouazzaoui. La télévision marocaine avait aussi ses animateurs et ses programmes prestigieux et de vrais débats sociaux, économiques et politiques qui maintenaient le téléspectateur en haleine, l'instruisaient et le grandissaient. Aujourd'hui, comme au lendemain d'un changement radical, les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. Les deux télévisions publiques sont aspirées par la médiocrité comme par des sables mouvants. 2M perd son identité de chaîne de débats avant-gardiste et prend le ton et le même son de cloche que la RTM, assoupissant et conformiste. A part des programmes qui se comptent sur le bout des doigts, les chaînes marocaines rivalisent dans les clichés, la platitude et la banalité et font montre de manque de professionnalisme, de véracité et de réalisme. Médias de la superficialité par excellence, elles sont incontestablement les productrices de débats simplistes et stériles (à quelques exceptions près). Ce qui nous fait dire que finalement avoir une panoplie de chaînes ne veut pas dire ipso facto qu'on a une vraie télévision qui réponde aux attentes des gens. De facto, et dans un contexte où l'information s'accélère et se multiplie grâce aux nouvelles technologies, les chaînes marocaines font fuir un public qui a besoin de voir au-delà du décor et de son simple regard. Depuis qu'elles se sont lancées dans une course effrénée pour avoir un maximum d'audimat, l'intelligence, la qualité et la sélection sont jetées au fond du tiroir. Et c'est la course, pas au scoop mais à l'abrutissement où le spectateur n'est qu'une part de marché. Paradoxalement, Maroc Métrie, l'organe spé- cialisé dans la mesure d'audience des médias audiovisuels au Maroc, publie toujours des taux d'audience estimés satisfaisants par les responsables. Mais il n'y a pas lieu de s'étonner quand on sait que les séries turques doublées en darija viennent en tête du podium, suivies par un large public puis des programmes tels que « Akhtar al moujrimine » ! C'est dire que les émissions traitant de crime sont très suivies par les jeunes téléspectateurs, d'après la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Tant et si bien qu'elle a appelé dans son rapport à la mise en œuvre de « commissions déontologiques dont la mission est le visionnement et l'évaluation de cette catégorie d'émissions, ainsi que leur diffusion à des plages horaires adaptées avec le changement des signalétiques d'âge sur l'écran qui passe de -12 ans à -16 ans pour les émissions de reconstitution de crimes ». Au nom de la proximité, les programmes sont de plus en plus insipides, lourds et abrutissants. Des séries supposées drôles sont plutôt pathétiques, manquent cruellement de consistance avec toujours les mêmes acteurs, les mêmes histoires et le même humour. Et le fait est que la responsabilité de cette médiocrité ambiante est partagée entre ceux qui font la télévision et ceux qui la regardent. On critique la qualité des programmes et pourtant l'audience de certaines émissions décriées a de quoi étonner plus d'un. Dans son illusion de regarder la télé, le téléspectateur est mis sous la loupe. Tout compte fait, c'est lui qui est scruté et recensé. Et la télévision, pour mieux vendre, abaisse davantage le niveau pour se mettre au même diapason de la masse qu'elle fidélise et manipule. Ainsi, les télévisions nationales marocaines ne reflètent pas la réalité sociale mais plutôt l'idée que se font d'elle les responsables de l'audiovisuel, ceux qui croient deviner les attentes d'un public qu'ils sous-estiment pensant qu'ils lui offrent ainsi ce qui l'intéresse et ce qu'il est prêt à recevoir. Les programmes sont creux et sans aucune consistance émanant de sociétés de productions qui monopolisent le marché parce qu'elles sont bien introduites. Celles auxquelles profitent les budgets des chaînes publiques et auxquelles des sommes faramineuses sont consenties pour des programmes qui ne méritent pas, et ce grâce à leur complicité interne. Ce qui ferme toutes les portes devant de jeunes sociétés qui pourraient apporter un plus à la qualité de production par un esprit neuf et vif et qui puisse développer le concept de la créativité et de l'innovation… Non-assistance à une télévision en danger Bien que la télé soit en concurrence avec d'autres médias, la compétition n'élève, malheureusement, pas le niveau et l'acculturation transcende au moment où, même à l'heure de l'internet, le seul instrument qui puisse aider dans l'éducation de la jeunesse avec le peu de temps qui nous reste est la télévision. C'est plutôt grave quand on compare les chiffres enregistrés avec ceux des téléspectateurs qui suivent «Mais encore», «Eclairage» ou encore «Annaqid», «Des Histoires et des Hommes», «Macharif », «Marhabane bikoum», «Kadaya wa ara'e» et ce sur les deux chaînes «Sada l'ibdaa», «45 minutes», «Macharif», pour ne citer que ces cas, des programmes qui méritent d'être regardés. De quoi désespérer de l'intelligence du public marocain. Et pourtant, Ce n'est pas la créativité qui manque ni les compétences. Le problème réside surtout dans la gouvernance. Il y a quelques années de cela, Feu Larbi Messari, ancien ministre de la Communication, avait dit que les Marocains étaient des « immigrés audiovisuels » qui passaient leur temps à regarder les télévisions étrangères. Aujourd'hui, les Marocains ou plutôt la grande majorité, ont quitté leur télévision pour de bon et ne répriment plus leur mépris à l'encontre des télévisions publiques non seulement pour la médiocrité des produits mais parce qu'ils estiment qu'elle porte atteinte à leur intelligence et à leur dignité. En somme, loin de jeter l'anathème total, c'est devenu une urgence de ressusciter le paysage audiovisuel marocain qui se blottit dans la banalité et dans la décadence surtout que les performances sont là mais étonnamment marginalisées. Or vu les gros budgets mis à sa disposition, en plus de la redevance prélevée et des recettes publicitaires engrangées, le citoyen lambda a droit à une télévision publique de qualité. Toujours est-il qu'il faudrait avoir une politique télévisuelle et une vision stratégique claire. Heureusement qu'il reste encore quelques programmes qui méritent d'être vus mais là encore ils sont recalés à des plages horaires où l'audience est en baisse pour une raison que seuls les responsables saisissent. Seulement dimanche dernier au grand bonheur des téléspectateurs, un vent de fraîcheur sembleavoir soufflé sur la deuxième chaîne qui nous a, agréablement surpris par une nouvelle émission «Confidences de presse» à la hauteur de nos attentes. In fine, comme tout outil, la télévision n'est que l'usage qu'on en fait. Peut-on alors aspirer un jour, à l'apport de la télévision marocaine, à l'évolution de la société, à la formation des esprits, à l'accompagnement des jeunes, à l'éducation populaire, à la culture ? Espérer qu'une nouvelle politique médiatique sera mise en oeuvre et appeler à la maturité des médias serait utopique dans le contexte actuel où, dans le dilemme entre télé- vision commerciale et télévision éducative, la première l'emporte sans conteste.