Loin de décanter la situation compliquée que connaît la Tunisie, le deuxième tour des élections législatives du 29 janvier 2023, massivement boudé par les électeurs, risque de replonger le pays dans une nouvelle crise politique et d'accentuer les incertitudes. Le taux de participation qui n'a pas dépassé 11,3% a été considéré par la classe politique comme un désaveu clair au projet présidentiel de la gouvernance par la base. Avec la participation à ce scrutin, de 887.638 d'électeurs sur un nombre total d'inscrits de plus de 7,8 millions, le projet de la gouvernance par la base sort très affaibli et se trouve rejeté par la majorité des Tunisiens. Manifestement, la désaffection des électeurs n'a pas surpris outre mesure. En dépit d'une opposition très divisée et faible, son appel au boycott semble avoir été entendu. De ce fait, l'élection dimanche de 131 députés (sur 161 sièges dont 30 déjà pourvus) n'a pas permis de mobiliser la rue d'autant plus que la majorité des candidats sont inconnus et sans affiliation politique. Bien plus, affirment certains observateurs, le peu d'intérêt populaire vient de l'idée partagée que le nouveau parlement n'aura pas de légitimité, ni un rôle particulier à jouer, au regard des prérogatives limitées qui lui sont conférées par la Constitution de 2022 taillée sur mesure. Ce boycott massif équivaut, pour les observateurs et experts les plus avertis de la scène politique en Tunisie, à une fin de non-recevoir de la gouvernance par la base et met le pouvoir devant une situation inconfortable. Lire aussi : Second tour des législatives en Tunisie : Un taux de participation de 11,3 % Cet absentéisme record trouve sa justification dans l'incapacité à convaincre, à trouver des solutions aux difficultés qui n'ont pas cessé d'empirer, aux atteintes aux libertés qui se sont multipliées. Incapacité également à présenter des réponses au calvaire qu'endurent les Tunisiens qui ont vu leur pouvoir d'achat s'éroder, ni à trouver la voie pouvant contenir une tension sociale vive. Au lendemain de la proclamation des résultats préliminaires de ces élections et avant même que les nouveaux élus regagnent leurs sièges au parlement, l'avenir proche s'annonce plein d'incertitudes, de doutes et d'appréhensions, selon l'opposition. Le pays risque de vivre une nouvelle crise politique qui pourrait accentuer son affaiblissement, les tensions et les doutes. Dès la proclamation dimanche soir par l'instance des élections des résultats préliminaires du 2ème tour, l'opposition a considéré le camouflet du pouvoir comme un argument sérieux justifiant l'organisation d'élection présidentielle anticipée. Cette opposition, très divisée, est formée de trois blocs inconciliables, à savoir le Front de salut national, coalisé autour du parti islamiste Ennahdha, du Parti destourien libre (PDL) d'Abir Moussi et des partis de gauche. Lors d'une conférence de presse tenue dimanche soir, Nejib Chebbi dirigeant du Front de salut national a affirmé que le prochain parlement ne sera pas reconnu, ni par les citoyens, ni par les forces politiques du pays. Nejib Chebbi a estimé que « les résultats d'aujourd'hui représentent le jugement final et définitif attestant de l'échec des élections ». Pour leur part, les partis Attayar, le parti des Travailleurs, Al Qotb, Al Joumhouri et Ettakatol ont salué « le large boycott de ce processus défiguré ». Les cinq partis ont considéré que le Parlement issu de cette « mascarade » ne possède aucune légitimité, mais qu'il sera une des raisons de la crise. D'ores et déjà, quatre organisations, dont la puissante centrale syndicale, l'Union Générale Tunisienne du Travail, la Ligue des droits de l'Homme, l'Ordre des avocats et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux ont lancé vendredi « une initiative pour sauver le pays » face à la détérioration des conditions économiques et aux divisions politiques depuis le coup de force du président Kais Saied. Au regard de la multiplication des incertitudes et des risques, de nombreux experts se demandent si le pouvoir sera à même de retenir les leçons de ce scrutin et de revoir de fond en comble son approche de la gestion des affaires du pays.