Le 14 janvier 2023 aura tout un autre goût depuis que le président tunisien a avancé au 17 décembre la date de célébration de la révolution. 12 ans après la chute du régime du président de Benali, cette date a perdu de son aura et n'enthousiasme plus outre mesure les Tunisiens, devenant même un sujet de frictions entre le président de la république et les partis de l'opposition qui ne cessent d'appeler au retour de la légalité constitutionnelle. Au regard de l'évolution de la situation politique, économique et sociale, il est vrai préoccupante, cet anniversaire qui n'en est plus un, est perçu avec un arrière-goût amer, de désillusion même. Le pays est plus que jamais pris dans un engrenage implacable, de divisions politiques, de fragilité économique et de tensions sociales latentes. Une tension entretenue par une crise économique à n'en plus finir, la précarité dans laquelle des centaines de milliers de Tunisiens vivent, avec une inflation galopante (10,2% en décembre dernier), des pénuries continues des produits de première nécessité et un mécontentement qui ne fait que grandir. Désenchantement, mais également forte déception et une colère qui ne cesse de gronder en ce mois de janvier d'ordinaire chaud sur le plan social. C'est dans cette toile de fond que le pays aborde la 13ème année depuis le changement intervenu le 14 janvier 2011. Un anniversaire qui sera célébré quand même dans la diversité, la désunion et la dispersion d'une opposition hétéroclite qui peine toujours à trouver un dénominateur commun ou à s'unir autour d'une même feuille de route. En effet, au moment où ces partis fourbissent leurs armes pour entretenir la pression sur le Président de la république qui l'accusent de confisquer tous les pouvoirs, une initiative de dialogue tripartite vient d'être lancée pour sortir le pays de la crise, pilotée par la puissante centrale syndicale, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), la ligue tunisienne des droits de l'Homme et l'ordre des avocats tunisiens. Pour le reste, la majorité des forces politiques en Tunisie continue son mouvement de protestations considérant les mesures d'exception du président Kaïs Saïed comme un « coup d'Etat contre la Constitution de 2014 et une consécration du pouvoir individuel absolu ». Pour cette raison, l'opposition s'apprête, en cette circonstance, à manifester massivement dans la capitale, pour marquer son opposition au projet du président tunisien de la gouvernance par la base qui, à leurs yeux, n'a fait qu'empirer la situation, exacerber les pressions annihilant toute lueur d'espoir. Lire aussi : Législatives en Tunisie : Risque d'un boycott massif Même si le Pôle démocratique moderniste (PDM), le Courant démocrate, Ettakatol, Al Jomhouri, Al Qotb et le parti des Travailleurs ont annoncé qu'ils organiseront une manifestation le 14 janvier 2023, à Tunis en vue de défendre les acquis démocratiques du peuple, d'autres partis, à l'instar du front de Salut national (qui regroupe cinq formations dont Ennahdha), du Parti Destourien Démocratique, ont été empêchés, par les autorités publiques de tenir leurs meetings. Le gouverneur de Tunis a donné une fin de recevoir au PDL d'Abir Moussi d'organiser une marche à Carthage (devant le palais présidentiel), considérant la zone sécurisée où il est interdit de manifester. Pris dans l'étau judiciaire après l'incarcération de l'une de ses figures et ancien premier ministre, Ali Larayed, le parti Ennahdha, plus que jamais affaibli, ne baisse pas pour autant les bras. Le parti islamiste a annoncé que, suite à l'appel du front du salut national, il appelle tous ses partisans à venir en masse pour manifester le samedi 14 janvier contre le pouvoir en place. La centrale syndicale qui, jadis se trouvait aux premières loges dans les mouvements sociaux, a fait, cette fois-ci, faux bond annonçant, sans trop convaincre, son intention de ne pas prendre part aux manifestations du 14 janvier. La raison invoquée est que cette date coïncide avec la réunion du bureau régional de Tunis. Le plus important des bureaux régionaux de l'UGTT. Les réactions des autres partis, organisations de la société civile ou des observateurs sont restées quelque peu timides, se contentant pour la plupart de dénoncer la dérive autoritaire du pays. A cet effet, le secrétaire général d'Attayar, Nabil Hajji, a indiqué, lors d'une récente conférence de presse que « Kaïs Saïed a échoué. Il n'écoute que lui-même, il n'entend ni ses soutiens ni ses opposants ni ses ministres et il ne faut pas espérer de lui une solution ». Mohamed Abbou, ancien ministre et dirigeant du parti Attayar, a considéré que le chef de l'Etat avait complètement échoué dans ses tâches estimant que le faible taux de participation aux législatives du 17 décembre 2022 démontre cela. Pour sa part, le bâtonnier des avocats tunisiens, Hatem Meziou, soutient que les avocats continueront à « lutter contre l'érosion démocratique », estimant que les avocats ne peuvent pas rester les bras croisés, lorsqu'on porte atteinte aux droits et aux libertés et qu'on s'attaque au pouvoir judiciaire. Entretemps, la centrale syndicale a orienté son action sur un autre front. La centrale syndicale, l'ordre des avocats et la ligue des droits de l'Homme ont lancé en décembre 2022, une initiative tripartite dans le but d'élaborer une feuille de route capable de sortir le pays de la crise. Les trois envisagent une initiative à trois dimensions (politique, économique et sociale) et qui pourrait se concrétiser sous la forme d'un dialogue national qui réunira d'autres organisations nationales et composantes de la société civile. Sami Tahri, secrétaire général adjoint et porte-parole officiel de l'UGTT précise que « L'initiative du dialogue national ne soutient pas le processus du 25 juillet ». Face à ce bouillonnement, la centrale patronale se trouve aux abonnés absents. Slim Ghorbel, membre du bureau exécutif de la centrale patronale souligne que le rôle de l'organisation était exclusivement économique et social et qu'elle n'avait jamais joué un rôle politique. Pour lui, « L'UTICA a toujours collaboré avec les présidents et les gouvernements. Ce président a été élu par le peuple et il est de notre devoir d'écouter ce que veut le peuple. Notre rôle est exclusivement économique et social ». Certains analystes ne sont pas de cet avis, tel est le cas du politologue Salaheddine Jourchi qui estime que malgré les voix des protestataires, le président tunisien continue à mettre en œuvre son programme, notamment en organisant le second tour des élections et en refusant de célébrer la date du 14 janvier, qui est un souvenir important pour Tunisiens.