Après un long suspense, qui a suscité spéculations, interrogations et parfois un débat tendu, le contenu de la nouvelle Constitution a été dévoilé, dans la nuit de jeudi à vendredi, par sa publication dans le journal officiel. La présentation du projet final de Constitution enclenchera une campagne entre les 3 et 25 juillet, jour du référendum. D'ores et déjà, le président de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), Farouk Bouasker, a affirmé que l'autorité électorale est prête pour organiser cette échéance. Sans surprises, ce texte fondamental consacre, à travers ses grandes lignes, la vision et le programme politique du président Kaïs Saïed. Une fois adopté, il marque manifestement une rupture avec le texte de 2014 et le retour de la Tunisie vers un régime aux allures présidentialistes. En effet, tout en exprimant, comme le mentionne le préambule, la volonté du peuple et ses aspirations les plus légitimes de liberté, de dignité et de bien-être, le nouveau texte confère des pouvoirs étendus au président de la république et vient rompre totalement avec un régime semi parlementaire, à l'origine de l'effritement des pouvoirs et de la grande instabilité politique que le pays a connu depuis 2011. Ce projet marque indubitablement la volonté du président tunisien de jeter aux orties la Constitution de 2014 qui a attribué des pouvoirs forts à la fois au président élu au suffrage universel et au Parlement. → Lire aussi : Tunisie: Annonce d'un projet de Constitution qui sera soumis à référendum le 25 juillet Un système bicéphale, boiteux, accusé d'avoir contribué à paralyser la vie politique. D'autant que le Parlement très fragmenté- le mode de scrutin proportionnel « au plus fort reste » a favorisé les petits partis – était davantage accaparé par la recherche d'alliances entre partis que par l'avancée des réformes. La promulgation de ce texte survient dans un contexte particulier et mouvementé. Hormis la forte opposition qui s'est cristallisée contre le projet du président Saïed, le pays fait face à une accentuation des difficultés économiques et financières. La Tunisie est toujours suspendue à un accord avec le FMI qui lui éviterait de tomber dans une situation de défaut de paiement et connaît des tensions sociales récurrentes avec un retour en force de la centrale syndicale, l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) qui marque sa distance vis-à-vis du projet présidentiel, recourant à un bras de fer, en décrétant, une nouvelle fois, une grève générale dans le secteur et la fonction publique. D'une manière générale, ce projet de la nouvelle Loi fondamentale, publié au Journal officiel de la République tunisienne (JORT), est composé de dix chapitres et compte 142 articles. Outre les dispositions générales, ces chapitres concernent notamment les droits et libertés, la fonction législative, la fonction exécutive, la fonction judiciaire, les collectivités locales et régionales, l'Instance supérieure indépendante pour les élections, le Conseil supérieur de l'éducation et de l'enseignement... et les dispositions transitoires. Ce texte, qui sera soumis à référendum le 25 juillet, confirme la présidentialisation du régime en stipulant que le « président de la République exerce le pouvoir exécutif, aidé par un gouvernement dirigé par un chef de gouvernement » qu'il désigne. Ce gouvernement ne sera pas présenté au Parlement pour obtenir la confiance. Le président, selon le projet publié, jouira en outre de vastes prérogatives : il est le chef suprême des forces armées, définit la politique générale de l'Etat et entérine les lois comme il peut soumettre des textes législatifs au Parlement, « qui doit les examiner « en priorité. Outre le fait que le texte réduit considérablement le rôle et le pouvoir du Parlement, il prévoit également la mise en place d'une seconde chambre, « l'Assemblée nationale des régions ». Si le projet de Constitution ne comporte aucune mention de l'islam comme « religion d'Etat », ses dispositions apportent des garanties aux « droits et libertés individuelles et publiques » et affirme que les hommes et les femmes sont « égaux dans les droits et les devoirs ». Il stipule en outre que le droit de « rassemblement et de manifestation pacifiques est garanti ». La nouvelle Constitution doit remplacer celle de 2014 qui avait instauré un système hybride source de conflits récurrents entre les pouvoirs exécutif et législatif. Plusieurs forces politiques et organisations de la société civile accusent Kaïs Saïed de chercher à faire adopter un texte taillé sur mesure alors que d'autres les considèrent comme une « restauration du processus de la révolution de 2011 ». L'UGTT a refusé de participer aux travaux des commissions diligentées pour préparer ce projet, tout comme d'autres experts. Tous affirment que le dialogue était factice, la Constitution étant, selon eux, déjà écrite selon les souhaits du président. Les voix de l'opposition se font, en outre, de plus en plus entendre. Les magistrats ont reconduit leur grève pour la quatrième semaine consécutive en protestation de la révocation de 57 d'entre eux. L'UGTT a aussi organisé, il y a quinze jours, une grève générale dans les entreprises publiques. Les partis se mettent, de plus, en ordre de bataille pour la campagne référendaire. Vingt-quatre d'entre eux ont annoncé y participer. Le secrétaire général d'Attayar, Ghazi Chaouachi a considéré qu'il s'agissait d'une Constitution octroyant les pouvoirs suprêmes au président. De son côté, Jaouhar M'barek, leader du mouvement « Citoyens contre le coup d'Etat », a considéré que la Constitution se basait sur une tentative de règlement de comptes visant les opposants politiques. Il a estimé que le régime politique portait atteinte à l'équilibre entre les pouvoirs. Il a évoqué la mise en place d'un conseil des régions sans aucune prérogative en estimant que ceci pourrait conduire à plusieurs complications. Le député et ancien membre du mouvement Ennahdha, Samir Dilou a, également, critiqué les dispositions du préambule du projet de la nouvelle Constitution. Il a estimé que le projet soumis au référendum ne reprenait aucune des propositions de la commission consultative nationale pour une nouvelle République. La membre du comité des Affaires sociales et économiques de la commission consultative pour une nouvelle République, Fatma Mseddi a confirmé que le projet publié n'était pas celui présenté par Sadok Belaïd. D'un autre côté, Ridha Chiheb Mekki, dit Ridha Lénine, l'un des principaux partisans de Kaïs Saïed a exprimé sa joie quant à la publication du projet de la Constitution. Il a insinué que la publication du projet de la nouvelle Constitution était un pas de plus vers la fondation de la nouvelle patrie. En attendant le rendez-vous du 25 juillet 2022, le président tunisien a constamment justifié chacune de ses décisions par la volonté de rendre le pouvoir au peuple, lutter contre la corruption et l'incompétence politique. La tenue d'un référendum constitutionnel, puis d'élections législatives le 17 décembre, sont la preuve, selon les soutiens de Kaïs Saïed, que la Tunisie est restée fidèle à la voie démocratique.