Le World Resources Institute (WRI) indique que le Maroc atteindra un niveau de stress hydrique extrêmement élevé d'ici 2040. Or le royaume est déjà considéré en stress hydrique avec seulement 500 mètres cubes d'eau douce par habitant et par an, contre 2.500 mètres cubes en 1960. Cet éclairage nous rappelle que l'avenir de l'agriculture est en sursis, ce secteur étant le plus gros consommateur d'eau et aussi le premier pollueur, c'est une équation complexe. La campagne agricole 2022 a connu une baisse de la pluviométrie de 42% à seulement 188 mm par rapport à la moyenne des 30 dernières années à 327 mm, la production céréalières a été seulement de 32 millions de quintaux, une baisse de 69% par rapport à 2021. Ce n'est pas le cas des autres productions agricoles qui, malgré la pénurie, ont montré une forte résilience à mettre au crédit du Plan Maroc vert. Les exportations des fruits et légumes ont curieusement connu une augmentation de 1.5 million de tonnes soit une hausse de 16% par rapport à 2021. Les prix sont restés localement stables malgré la forte spéculation et la superposition de plusieurs intermédiaires entre l'agriculteur et le consommateur local. Ainsi la sécheresse et malgré un faible taux de remplissage des barrages, -seulement 26% à octobre 2022-, le Plan Maroc Vert (PMV), l'agriculture marocaine de plus en plus irriguée est entrée dans une ère de rationalisation et d'efficience qui vise en priorité l'économie de l'eau et l'amélioration du coût bénéfice en termes de productivité de chaque millimètre cube utilisé. A cela s'agrègent les appuis financiers et budgétaires de l'Exécutif qui se chiffrent en plusieurs milliards de dirhams qui cadrent avec une volonté de préserver la souveraineté alimentaire des Marocains sur la base de la pérennisation de l'emploi et de la production agricole dans les douze régions du royaume. On voit donc comment la variable eau s'insère dans la complexe péréquation de l'alimentation, l'emploi, la création de valeur et le bien-être du monde agricole. À cause de la sécheresse de 2022, le PIBA (PIB agricole) a connu une baisse de 14%, des milliers d'emplois perdus et son impact sur la croissance économique nationale a causé sa baisse d'au moins 1.7%. Quant au déficit budgétaire et celui de la balance commerciale, ils ont atteint 6.4% et 5.2% du PIB contre 5.6% et 2.3% en 2021. À l'inverse et c'est un des paradoxes du Maroc, le secteur agricole semble, et pour plusieurs raisons sociales, culturelles et organisationnelles être un adoucisseur de l'inflation. Faut-il réinventer la politique agricole ? Sans eau, pas d'agriculture, sans eau c'est l'exode rural massif vers les périphéries urbaines et les grandes villes. Ce n'est pas seulement la stratégie de rendements plus élevés pour s'assurer une souveraineté alimentaire et pouvoir exporter qu'il faut s'ériger mais c'est essentiellement celle d'une meilleure gestion de l'eau et de réinvention avec des mécanismes dits de revolving qui devront permettre à une goutte d'eau d'avoir plusieurs vies et d'assurer la vie des populations et des espèces animales et végétales. Il s'agit pour les agriculteurs de sécuriser leurs exploitations, d'améliorer leur productivité et de s'assurer de revenus de dignité -et au Maroc- de sanctuariser sa souveraineté alimentaire et sa paix sociale sous la contrainte du stress hydrique. Il est indéniable que la problématique de notre pays n'est pas vraiment celle de l'eau potable mais c'est celle de l'irrigation en faveur des cultures maraîchères, des fruits, des légumes, de l'alimentation des cheptels et de l'industrie agricole. Si les pratiques agricoles conditionnent l'utilisation de l'eau, en plus d'être une ressource de création de la valeur ajoutée, de la croissance économique, il faudra l'élever au rang de matières premières et de ressources énergétiques non renouvelables, comme le gaz et le pétrole. A ce titre, la construction de 20 usines de dessalement dans différentes régions du pays, avec un objectif de plus d'un milliard de mètres cubes par an, d'ici 2050, et les projets de traitements des eaux usées constituent un début de projection vers une agriculture d'avenir. Produire de l'eau douce ou réinventer l'eau sera au cœur de l'économie du futur et le meilleur exemple est Israël, pays désertique qui assure 87% de sa production agricole grâce aux ingénieries de l'eau, de la fertilité et des productions à forte valeur ajoutée. L'agriculture de ce pays dépend à 90% des centrales de dessalement des eaux de mers, du traitement des eaux usées et de systèmes de détection des fuites d'eau dans les canalisations, ce qui permet de récupérer les 30% de débits perdus. Quant à l'amélioration du rendement de la production agricole, le choix raisonné de la stratégie « Génération-Green » 2020-2030 vise, principalement, à améliorer l'inclusion économique des jeunes en milieu rural, en favorisant la transformation numérique des outils de production agricole pour améliorer la productivité et anticiper les futures carences en main d'œuvre. Cette transition devrait permettre aux agriculteurs d'être rémunérés au juste revenu de leurs sacrifices et aux consommateurs de payer le juste prix. Aussi, de rendre efficiente les techniques d'irrigation et d'économie d'eau et de soutenir les marchés d'exportation, en encourageant les produits à haute valeur ajoutée comme les fruits rouges et pas ceux riches en eau et à faibles teneurs économiques. * Economiste et spécialiste des politiques publiques