L'économie marocaine reprend peu à peu son élan après 2 années marquées par une succession de crises multiformes. Agriculture, industrie, tourisme…chaque secteur affiche une performance selon son degré de résilience. Dans ce contexte, les évolutions futures seront tributaires de défis conjoncturels et d'autres structurels que le Maroc doit relever. Mehdi Tazi, vice-président Général de la CGEM, analyse dans cette interview le comportement des entreprises marocaines face à la conjoncture. Il revient également sur les actions menées par la CGEM et le gouvernement pour surmonter les écueils futurs. Pour y arriver, le Vice-président Général de la CGEM soutient que « nous devons, plus que jamais, penser nos stratégies et nos politiques « mondialement » et agir « localement » pour préserver et améliorer notre positionnement sur les chaînes de valeur mondiales. » Maroc diplomatique: Comment se porte l'environnement des entreprises marocaines dans un contexte de crise multiforme ? A quel niveau estimez-vous l'impact ? Quels secteurs sont les plus touchés ? Mehdi Tazi: Le contexte mondial en évolution permanente a naturellement un impact conséquent sur l'économie marocaine, notamment un taux réel d'inflation atteignant 7,7% à fin juillet, soit le double des projections à fin décembre 2021. Cette inflation est principalement portée par la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires. Cependant, les prévisions de croissance du FMI pour le Maroc se maintiennent à +1,8% pour l'année 2022, malgré les répercussions de la crise sanitaire, de la sécheresse et du conflit en Ukraine, avec des ambitions plus optimistes pour l'année 2023. L'impact de cette conjoncture sur la performance des différents secteurs est, quant à lui, hétérogène. D'une part, le secteur agricole a enregistré une contraction de 14,3% de la valeur ajoutée, selon les données du Ministère de l'Economie et des Finances, là où pour les activités non agricoles, elle s'est améliorée de 2,5%. Nous renouons donc avec le même niveau de taux d'utilisation des capacités de production pré-crise dans l'industrie, et avec une croissance à deux chiffres pour les exportations. Toutefois, une tension reste latente sur les prix des intrants. Par ailleurs, malgré une baisse en volume observée sur le secteur des phosphates, ce dernier connait une surperformance en valeur, en raison de la rareté de la ressource au niveau mondial, et donc des prix à la tonne avoisinant les 320 dollars. Lire aussi: Finances publiques: regain de forme des économies Le secteur du tourisme a, pour sa part, enregistré des performances positives sur la période estivale, avec une hausse de plus de 300% en glissement annuel des arrivées de touristes à fin juin, portée par un élan de consommation, après 3 années de crises successives, et une bouffée d'air insufflée par l'opération Marhaba 2022. Enfin, les perspectives pour le secteur de la construction restent mitigées. Les ventes de ciment, principal baromètre de l'activité du secteur, se sont repliées de 7,4%, en glissement annuel, au terme des sept premiers mois de 2022. Ainsi, je dirais que les évolutions futures seront tributaires de défis conjoncturels et d'autres structurels que notre pays doit relever. Si nous ne pouvons agir sur des éléments conjoncturels mondiaux, nous pouvons et devons apporter des solutions à un ensemble de défis au niveau national, tous liés à la compétitivité de notre tissu économique. On parle de relance économique, est-ce que les mesures prises par le Gouvernement peuvent soulager les entreprises ? Quelles en étaient les vraies attentes ? Tout au long de la crise sanitaire, la CGEM et les pouvoirs publics ont travaillé de concert pour concevoir des mesures de soutien et accompagnement au tissu économique. Aujourd'hui, nous pensons que cette crise sanitaire est derrière nous. L'un des enseignements à tirer de cette pandémie est que nous devons, plus que jamais, penser nos stratégies et nos politiques "mondialement" et agir "localement" pour préserver et améliorer notre positionnement sur les chaînes de valeur mondiales. Dans ce sens, plusieurs chantiers structurants, qui ont fait l'objet des priorités de la CGEM, se concrétisent, notamment à travers la mise en place d'un écosystème de relance économique. La promulgation de la Charte de l'Investissement en est le premier exemple. Ce projet royal, pour lequel la CGEM est pleinement mobilisée, viendra conforter l'entrepreneur dans sa décision d'investissement, à travers des mécanismes incitatifs divers. La mise en place des décrets d'application est fortement attendue, notamment en termes de lisibilité et d'agilité des mécanismes de déblocage des primes à l'investissement. Cette charte doit aussi être accompagnée d'un travail plus large autour de l'environnement des affaires, avec un allègement de la fiscalité et une simplification drastique des procédures administratives, chantiers sur lesquels nous sommes très actifs. Sur un autre registre, la signature, la semaine dernière, de la convention R&D mettant à disposition un budget annuel de 300 millions de dirhams par an en faveur de la recherche et du développement industriels, est un bon signal pour les chefs d'entreprise. En effet, cette recommandation que nous avons portée en marge des négociations de la Loi de Finances 2022, viendra appuyer les opérateurs industriels dans leurs efforts d'innovation technologique et montée en valeur. Parmi les grands chantiers de la rentrée figure également le dialogue social. Comme vous le savez, un accord social tripartite a été signé en avril dernier, prenant en considération l'impact du contexte actuel de crise mondiale sur le pouvoir d'achat des ménages et le poids sur la compétitivité des entreprises. Pour le secteur privé, il s'agit d'une avancée importante car cet accord prévoit un agenda précis de concrétisation des engagements des parties prenantes, avec une mise en application totale et non partielle. D'ailleurs, la première augmentation de SMIG a été récemment adoptée par décret, marquant le respect des engagements du secteur privé dans le cadre de cet accord. Le deuxième round du dialogue social a démarré, la semaine dernière, portant à présent sur l'évolution de la législation de travail, avec dans un premier temps un projet de loi relatif à l'exercice du droit de grève à introduire dans le circuit législatif en janvier 2023. Par ailleurs, la CGEM et les pouvoirs publics ont travaillé de concert pour actualiser le décret relatif aux marchés publics. Son adoption permettra de renforcer la préférence nationale à travers la justification systématique d'achats publics et de donner une chance aux jeunes et petites entreprises en supprimant les critères discriminants, omniprésents dans les appels d'offres. Comme vous le savez, les marchés publics représentent une locomotive du développement économique et social du Royaume et l'équivalent de 200 milliards de dirhams (MMDH). Sur un autre plan, notre pays entreprend le chantier de la généralisation de la protection sociale. Ce chantier structurant nécessite l'implication de toutes les parties prenantes et le secteur privé est prêt à jour son rôle, à travers des PPP en matière d'infrastructures, de formation ou encore de digitalisation du système de santé. Tous ces chantiers sont de taille et nécessiteront des financements importants. Ainsi, et pour préserver l'équilibre budgétaire de l'Etat, l'élargissement de l'assiette fiscale, dès cette année, devra être une priorité. Dernièrement, il y a les accords du dialogue social, en plus de l'inflation, est-ce que les entreprises sont bien armées pour faire face à tous ces changements ? Qu'en est-il de la résilience des entreprises dans une conjoncture volatile ? Il est vrai que les entreprises ont montré une grande résilience sur les 3 dernières années, mais face à l'arrivée à échéance des crédits garantis par l'Etat, à l'allongement des délais de paiement et à la hausse des coûts des intrants, les entreprises se trouvent dans une situation de forte tension sur leur trésorerie. Dans ce sens, nous pensons primordial de mettre en place des solutions de conversion des dettes de trésorerie en haut de bilan, et de démocratiser des solutions alternatives de financement, à l'instar du reverse factoring. D'autres défis conjoncturels subsistent. Le niveau critique de sécheresse, illustré par un taux de remplissage des barrages de 25,90% actuellement vs. 33% il y a 6 mois, et un niveau record de déficit de précipitations, combiné à la multiplication par 4 des prix des engrais azotés sur le marché mondial, provoquent une baisse de la production agricole nationale, pouvant atteindre jusqu'à -50% sur la filière des fruits (p.ex. agrumes, olives, amandes). De surcroit, les coûts élevés d'importation des matières premières (p.ex. céréales, maïs, soja) ont un impact considérable sur le prix de l'alimentation du bétail, avec des conséquences à moyen terme sur la filière bovine. Face au défi d'approvisionnement durable en eau, nous préconisons d'accélérer notre politique de dessalement de l'eau – avec le lancement imminent d'appels d'offres pour les unités prévues et la création d'unités de plus petite taille, d'activer les leviers réglementaires permettant le retraitement des eaux usées pour usage agricole et de nouer des partenariats public-privés dans ce secteur vital. Par ailleurs, l'ensemble des parties prenantes ont consenti des efforts importants en faveur de la diversification et de la maîtrise de nos sources d'approvisionnement énergétiques dans un contexte mondial défavorable. Cependant, malgré un léger tassement observé sur les 3 derniers mois, les coûts de produits énergétiques importés restent élevés. A titre d'exemple, le charbon se situe autour de 365 $/t par tonne en Août 2022 vs. 70 $/t pré-crise, contribuant à l'envolée de la facture énergétique de notre pays. Ce phénomène, conjugué aux conditions favorables dont dispose notre pays, nous forcent à accélérer le lancement des appels d'offres annoncés en faveur de la production d'énergies renouvelables – avec la mise en service d'un peu plus de 6,1 gigawatts (GW) de sites de production d'énergie éolienne et solaire – et de nous positionner en tant que précurseurs de la mobilité électrique et durable. Enfin, le coût du transport maritime poursuit son recul, passant en dessous de la barre des 10,000 USD pour un conteneur de 40 pieds provenant de Chine, mais reste élevé face à la moyenne constatée pré-crise. Par ailleurs, nous continuons de manquer de compétitivité logistique face à des pays comme l'Espagne, en raison notamment de contraintes imposées au transport routier international, pénalisant le produit d'origine marocaine. Des solutions d'accompagnement aux exportations, comprenant des subventions pour financer le gap de compétitivité, sont à déployer rapidement. Au final, j'aimerais souligner que les entreprises marocaines ont su démontrer la résilience nécessaire pour dépasser ces crises successives. Les attentes sont fortes. Nous sommes appelés à mettre en œuvre des solutions adaptées, de manière accélérée, pour soulager les opérateurs économiques et leur apporter la visibilité dans un contexte qui reste toujours incertain.