Essentielle pour le développement, voire la survie du pays, la recherche scientifique occupe normalement une place de choix dans les priorités des gouvernements. C'est un pilier fondamental du nouveau modèle de développement, lui affecter les ressources nécessaires permettrait alors un modèle plus inclusif, producteur de richesses, et capable d'exporter. Mais le secteur se heurte depuis des décennies à de nombreux obstacles, notamment d'ordre structurel. « La science n'est pas faite uniquement pour développer de la connaissance, mais essentiellement pour résoudre les problèmes de la société », nous rappelle, le philosophe, Mohamed Smani, Directeur de l'association marocaine Recherche & Développement. Toutefois, cela n'est pas forcément pris en compte au Maroc où cet aspect de la recherche scientifique est malheureusement souvent négligé, nuance notre contact. Un constat que partage également El Moudafar Cherkaoui, Vice-Doyen chargé de la coopération et de la recherche scientifique à l'Université de Marrakech qui constate, quant à lui, « un réel problème au niveau de la stratégie et la vision, inexistants à ce jour ». Peu de moyens humains Le problème de la recherche scientifique au Maroc est surtout un problème de ressources humaines. En effet, les effectifs affectés à la recherche dans le public s'élèvent à près de 50.000 personnes (chercheurs, enseignants-chercheurs et techniciens de laboratoires compris), sur 35 millions de Marocains. Un retard visible si l'on compare ces données avec celles de la Tunisie qui compte 36.000 personnes sur 10 millions d'habitants. La limitation au niveau des postes budgétaires chaque année, est l'éternel problème du secteur remarque M. Smani « la loi de finance rectificative sabre au niveau des salaires et donc au niveau des recrutements. Sauf que si vous n'avez pas les hommes qu'il faut, là où il faut, vous ne pouvez rien faire ». Quant aux enseignants-chercheurs, ils sont environ 18.000, public et privé confondu, et se placent très mal en comparaison avec certains pays africains. Une faiblesse qui affecte par ailleurs le taux d'encadrement et la qualité de l'enseignement supérieur. Le doctorant : cheville ouvrière peu valorisée La situation des doctorants est également un indicateur déterminant dans l'état de la recherche et des RH en tant que relève et pérennité du système R&D explique M. Cherkaoui. « Le taux de diplomation est très faible (entre 6 et 10%) et le taux d'abandon très élevé (jusqu'à 90%). La durée moyenne de soutenance est de 5 à 6 ans ». Le manque de moyens explique ce taux de déperdition. Pour près de 30.000 inscrits, seuls quelques 300 par an parviennent à décrocher une bourse d'excellence. Une bourse qui s'élève à 3.000 dirhams par mois, insuffisante pour couvrir les besoins personnels, les déplacements à des colloques ou les enquêtes de terrain. Dans certains cas, c'est même l'enseignant qui doit financer de sa poche les besoins du doctorant. Les moyens matériels basiques et indispensables sont également quasi-inexistants selon une enquête du CSEFRS (2018) qui révèle que seuls « 29% des doctorants disposent de «matériel et consommables informatiques» dans leurs laboratoires ». 79% des enseignants-chercheurs estiment que « les moyens matériels pour la recherche » sont essentiels pour la réussite. La problématique budgétaire Le Maroc consacre à la recherche 0,8% de son PIB. Une part insuffisante par rapport aux pays de l'OCDE (2,3% en moyenne), d'autant plus que celui-ci n'a pas évolué depuis 2002. En effet, le Maroc est encore loin de l'objectif assigné dans la charte de l'éducation et de la recherche scientifique qui prévoyait 1% du PIB à l'horizon 2010, 1,5% en 2025 et 2% en 2030 regrette M. Smani. Par ailleurs, il explique que dans ces 0,8%, sont également compris les salaires du personnel, ce qui ne comprend pas les projets. En réalité, 60% devraient être attribués aux projets et 40% aux RH. Ce chiffre n'est toutefois pas si mauvais par rapport à beaucoup de pays mieux positionnés que le Maroc (Afrique du Sud, Egypte, Nigéria, Tunisie, Algérie, Iran, Turquie...) relativise M. Cherkaoui. Pourtant, certaines régions attribuent une partie, bien qu'anecdotique et faible, de leur budget à l'Université, une approche peu pertinente selon M. Smani. « Plutôt que d'envoyer un budget à une université, une concertation devrait avoir lieu sur les sujets d'intérêt en amont du financement du projet, avec des livrables ». La production scientifique et les brevets En ce qui concerne la production scientifique visible à l'international (bases de données Scopus), le Maroc a produit 7.081 publications indexées en 2018 et environ 8.000 en 2019, ce qui constitue une contribution mondiale de 0,2%. Le Maroc est classé 6e en Afrique et 58e dans le monde, nous rappellent les intervenants. Une étude menée sur la production scientifique entre 2014 et 2018 (5 ans) des enseignants-chercheurs les plus gradés à l'université marocaine (Professeur de l'Enseignement supérieur, Grade C, Echelon 5) révèle des résultats choquants pouvant être résumés comme suit explique : –53% n'ont aucune publication scientifique indexée. –23% ont produit 5 articles maximum (moins d'un article par an). –9% ont produit entre 6 et 10 articles (un à deux articles par an). –15% ont produit plus de 10 articles (plus de 2 articles/an). D'ailleurs, l'Académie Hassan II des Sciences et Techniques dans son rapport de 2009 considère : « les critères d'avancement des enseignants-chercheurs comportent des aberrations qui n'encouragent pas les enseignants à développer les activités de recherche » ajoute le même intervenant. Pourtant, nos voisins n'ont pas de mal à faire mieux explique M. Smani. Les Tunisiens parviennent ainsi à se démarquer grâce à d'importantes mesures incitatives, comme des primes lors d'une publication et la participation à un congrès. Pour le dépôt des brevets, là aussi, le Maroc accuse un retard en comparaison avec d'autres pays. Un peu plus de 1.000 demandes de brevets sont déposées par an, mais près de 300 seulement sont déposés par les résidents. Le reste provient des multinationales ou d'entreprises dont le siège est à l'étranger. En Chine, le total peut se compter en millions, ce qui démontre de l'activité inventive du pays. Les principaux obstacles toujours le même problème, l'insuffisance des effectifs et des financements ajoute M. Smani. Une stratégie insuffisante À cela s'ajoute un contexte réglementaire à la traine. Le Maroc compte en effet parmi les rares pays qui n'ont pas une loi organisant la recherche scientifique explique M. Cherkaoui. La Loi 01-00, portant organisation de l'enseignement supérieur promulguée par le Dahir No 1.00.199 du 15 Safar 1421 (19 mai 2000), considère dans son article 3 que la recherche scientifique et technologique est l'une des missions principales de l'université marocaine au même titre que la formation initiale et la formation continue, mais sans pour autant légiférer à ce propos. Par ailleurs, il relève l'inexistence du statut d'enseignant chercheur, motivant et incitatif pour un système de recherche scientifique productif. De plus, la recherche scientifique au Maroc est menée de manière facultative. « Le salaire de l'enseignant-chercheur comporte 50% d'indemnités de recherche attribuées automatiquement à tous les enseignants-chercheurs même sans aucune activité de recherche. En outre, la réalisation de la recherche scientifique n'a pas beaucoup d'impact sur l'évolution des carrières basée essentiellement sur l'ancienneté ». Pour rendre le système de Recherche & Développement pertinent, M. Cherkaoui préconise un dispositif qui repose sur un environnement de recherche propice, un mode de gouvernance efficient, un ancrage et une visibilité à l'international de notre R&D, des structures de recherches permettant de bénéficier des meilleures opportunités en matière de coopération internationale scientifique et technique et un paysage R&D traduisant une bonne image attractive pour les meilleurs étudiants et chercheurs nationaux et étrangers. Enfin, il est primordial de revoir le mode de gestion financière. "Il est difficile même impossible de disposer d'un système R&D performant avec le mode de gestion financière actuel. Il est temps de passer contrôle à postériori".