S'il est vrai qu' »en Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle », comme le disait l'écrivain malien Amadou Hamapate Ba (1901/1991), le décès, ce vendredi soir à Rabat, de feu M'hamed Boucetta est ressentie, à bien des égards, comme la perte d'un monument. Difficile en fait d'esquisser le portrait de quelqu'un qui, comme feu Boucetta, a très tôt fait du brouillage des frontières une ligne de conduite, un style de vie, un credo. L'homme est d'une épaisseur telle qu'il échappe au classement, le personnage est si dense qu'il se joue de toute indexation. Aussitôt son décès confirmé, la nouvelle a fait le tour des rédactions embrasant au passage blogs et réseaux sociaux où l'on déplore la perte d'un sage dont le parcours, loin d'être un fleuve tranquille, se confond avec celui du Parti de l'Istiqlal et, par ricochet, avec une période charnière de l'Histoire du Maroc contemporain. Tous ceux qui l'ont côtoyé ou connu de plus près garderont de lui l'image d'un homme d'une taille moyenne alternant avec élégance djellaba et costume-cravate, d'autres se rappelleront de ces yeux étincelants d'une intelligence impressionnante. Mais d'aucuns n'oublieront la stature imposante de l'homme qui irradie d'une épaisseur hors du commun, combinée à la simplicité d'un enfant qui refuse de grandir. C'est que derrière ce regard à la fois profond et pénétrant se cachent l'avidité d'un chercheur, la curiosité d'un journaliste, la précision d'un historien, la rigueur d'un juriste, la finesse d'un diplomate, la dextérité d'un écrivain, bref…la grandeur d'un homme politique, un commis de l'Etat. Du haut de ses 90 ans, l'œil vif et l'esprit alerte, feu Boucetta, toujours aussi lucide et clairvoyant, revenait amplement dans une série d'interviews fleuves de l'émission « Achahid » sur son enfance à Marrakech, où il est né dans une famille ayant servi auprès des sultans Moulay Hassan Ier et Moulay Abdelaziz, ses premiers contacts avec le Mouvement national, la mobilisation ayant précédé et suivi le Dahir berbère en 1930. Dans un Maroc sous Protectorat, le jeune M'hamed, à l'instar de nombre de ses semblables à l'époque, a fait la taule en raison de ses activités politiques et culturelles au moment où montait l'étoile du Parti de l'Istiqlal. Suivront alors d'interminables pérégrinations qui allaient le propulser vers d'autres espaces autrement plus vastes et plus insondables dès le jour où il mit les pieds à Paris pour suivre ses études universitaires à la Sorbonne, en droit et philosophie, avant de revenir au bercail pour entamer une brillante carrière d'avocat, à côté de ses activités politiques. En mai 1958, il est nommé secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, puis ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative de mai 1960 à mai 1961. Reconduit au même poste de février à juin 1961, il est désigné ministre de la Justice de juin 1961 à janvier 1963, puis ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères et de la coopération entre octobre 1977 et mars 1979, poste qu'il allait conserver de 1979 à 1983, avant d'être nommé ministre d'Etat de 1983 à 1985. Dans l'entre-temps, à la suite du décès de Allal El Fassi en 1974, il prend les rênes du Parti de l'Istiqlal jusqu'en 1998. Président de la commission consultative chargée de la révision de la Moudaouana, feu M'hamed Boucetta a été décoré du Wissam Al Arch en 2003. Le défunt sera inhumé à la zaouia Sidi Belaref à Marrakech, la ville qui l'a vu naître et grandir, la ville qu'il a tant chérie. Adieu, Maître !