Exportations agricoles : le Maroc conclut ses premiers accords à Singapour    Minerais stratégiques : Aterian lève 4,5 M$    Justice : Rabat et Riyad officialisent leur coopération pénale    Délits de corruption : Benalilou plaide pour un allongement des délais de prescription    Rétro-Verso : La longue Histoire des Rois du Maroc avec les Papes    Botola D1/J27 : Les Militaires filent vers la Ligue des Champions (Vidéos)    8e Edition du Marathon International de Rabat : Samedi 26 avril , la FRMA organise une conférence de presse pour présenter l'évènement    Liga : Brahim Díaz titulaire, le Real s'impose douloureusement face à Getafe    La Chine met en garde : Il n'y a pas de vainqueur dans les guerres commerciales... et le découplage mène à l'isolement    La Jordanie prend des mesures fermes contre les Frères musulmans : Qu'en est-il du Maroc ?    SIAM 2025 : L'agriculture forestière au cœur des enjeux climatiques en Afrique    Le ministre chinois des Affaires étrangères : Les pays d'Asie du Sud-Est refusent de céder aux pressions américaines    Tempête de critiques en Colombie : des appels à classer le "Polisario" comme organisation terroriste après la révélation de ses liens suspects    "Pour une école de l'égalité" : une mobilisation féministe contre les stéréotypes sexistes    Maroc – Arabie Saoudite : Les accords en matière pénale approuvés    Inwi accélère la démocratisation de la fibre au Maroc avec la gamme la plus complète du marché    Hammouchi reçoit le responsable du renseignement à la Garde civile espagnole    Code de procédure pénale : Le CNDH présente plus de 100 recommandations    Manœuvres navales coordonnées en Méditerranée : la frégate marocaine Mohammed VI intégrée au groupe aéronaval Charles-de-Gaulle    Energies renouvelables : l'ONEE muscle son ambition pour 2030    Reprise des travaux de la commission parlementaire sur le Plan Maroc Vert après une longue vacance    IAM 2025 : Maroc Telecom dévoile ses dernières solutions Agritech    Un ressortissant français interpellé à Mohammedia, soupçonné de produire des contenus illicites    Lancement d'une campagne nationale pour une éducation égalitaire au Maroc    Jidar : Dix ans et toujours le mur-mure des talents !    SIEL : le CSPJ lance une plate-forme numérique dédiée à l'information juridique    Un pâtissier marocain bat le record du plus long fraisier du monde: 121,88 mètres    Real Madrid : Le Marocain Anas Laghrari, homme de l'ombre et bras financier de Pérez (Marca)    Marathon de Boston. Lokedi et Korir signent un doublé kenyan historique    Akdital Innove en Santé : Une Nouvelle Ère Technologique se Dessine au Maroc    Elon Musk s'éloigne du gouvernement de Donald Trump pour s'occuper de Tesla    Al Ahly sans Yahia Attiat-Allah face aux Sundowns, retour prévu dans deux semaines    Arabie Saoudite : Un deal à 300 millions d'euros proposé à Raphinha    Le Printemps Musical des Alizés 2025 : Johannes Brahms à l'honneur    Marrakech : Le caftan et la gastronomie à l'honneur au musée de l'Art culinaire marocain    Togo. Le marché international de l'artisanat est ouvert    Le PJD ouvre les portes de son congrès à "Hamas", ignorant les voix critiques    La presse italienne met en lumière le soutien croissant de l'Espagne et de la communauté internationale à l'initiative d'autonomie au Sahara marocain    Leadership africain en IA : quelle trajectoire pour le Maroc ? – Une lecture stratégique du modèle français de Villani    Eloge d'Aimé Césaire    Patrimoine : vers une reconduction américaine de l'accord de protection des biens culturels marocains    Le Groupe OCP au SIAM 2025 : Une réponse aux défis agricoles et environnementaux    "Le navire de l'hypocrisie" : De Béjaïa à Ashdod... Quand les slogans de la "résistance" sombrent dans la mer des intérêts    PNARDI: 200 millions de dirhams alloués à la mobilisation des compétences des Marocains du monde    Tunisian fugitive wanted by France arrested at Casablanca Airport    Le Caire : Le Maroc prend part à la 163e session du Conseil de la Ligue arabe    Partenariat. Visa et Maroc Telecom unissent leurs forces pour l'inclusion financière en Afrique    Le Chef du gouvernement lance la session d'avril du dialogue social    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le conscient et l'accidentel
Publié dans Maroc Diplomatique le 08 - 12 - 2016

[La peinture est un glissement vers l'inconnu en soi.] Bram Van Velde
Depuis de longues années, Amina Rezki se consacre à une peinture qui ne semble respirer à l'aise qu'en se saisissant du frisson de l'âme humaine. Avec une énergie impressionnante, elle construit une oeuvre hantée par la nuit, fixant la condition humaine d'un regard désenchanté, peuplée de personnages écorchés à l'acier de l'angoisse et de la solitude. Son approche cathartique de l'art place l'artiste parmi les peintres les plus authentiques de l'intériorité, ces créateurs tourmentés dont la maîtrise technique est mise au profit d'une expression tout individuelle du monde et de l'aventure existentielle de l'homme. Cette passion inconditionnelle de la peinture dit aussi la sensibilité exacerbée de cette femme prolifique dont le désir de créer, confie-t-elle, s'intensifie chaque jour un peu plus. A Bruxelles ou à Tanger, l'artiste trouve l'occasion de s'enfermer, au quotidien, pour donner naissance à un univers qui frappe d'abord par une vigoureuse diversité de factures. L'oeuvre recèle des tableaux abstraits aux portraits réalistes, en passant par la part considérable d'une peinture fulgurante donnant à voir des personnages ou des objets esseulés sur le blanc du support ou écrasés sous une avalanche d'ombres et de traces. Mais cette prolifération de manières a un dénominateur commun : non la recherche de l'émotion, mais sa capture.
Dans ces tableaux, l'expression d'une confidence s'accompagne d'un effort mimétique. L'empathie ne sacrifie ni la précision ni la ressemblance. Mais, ces hommages mis à part, la peinture de Rezki fourmille surtout d'êtres et de choses qui naissent du support lui-même.
Qu'il montre une figure humaine, un paysage ou des formes et des couleurs qui ne représentent qu'elles-mêmes, un tableau d'Amina Rezki est l'exécution véloce d'une émotion, la traduction frénétique d'une poussée intérieure. Même quand un motif non humain est un sujet autonome, une touffe d'herbe, une boule de laine, un arbre, une porte, il est porteur d'une sensation grise, empreint d'un accent de désolation, contaminé par ces êtres fatigués qui ont déserté la surface plastique en quête d'autres abris où dérober leur désespoir. Ces figures issues de l'abîme, où l'artiste les trouve-t-elle ? On connaît les portraits qu'elle réalise de son père à partir de photos. Des photos sont aussi à l'origine des toiles où elle exprime son admiration pour Jilali Gharbaoui. Dans ces tableaux, l'expression d'une confidence s'accompagne d'un effort mimétique. L'empathie ne sacrifie ni la précision ni la ressemblance. Mais, ces hommages mis à part, la peinture de Rezki fourmille surtout d'êtres et de choses qui naissent du support lui-même. Ils ne procèdent ni de modèles extérieurs ni de visions imaginaires. Ils ne sont pas non plus l'oeuvre d'une préméditation. Ils sont impulsés par les mouvements de la main sur la toile ou le papier. Ici et maintenant. La main provoque sur le blanc une giclée, un trait, une touche, qui arrête la peinture sur une image dont le peintre pourrait soigner l'apparence, qui impose d'arracher au vide un corps à suspendre dans un gouffre, un torse à écarteler entre deux murs, un nuage noir accrochant des silhouettes. L'artiste pratique un art de l'intuition. D'une trace ou d'une tache, d'un effacement ou d'un grattage, émerge non l'idée d'un sujet mais déjà son esquisse, la suggestion physique de son jaillissement futur. En entamant un tableau, l'artiste n'en connaît ni le parcours ni l'aboutissement. C'est la peinture elle-même qui décide que peindre. Si l'art de Rezki est à mettre en rapport avec celui de Francis Bacon, l'un de ses peintres de prédilection, c'est surtout en raison de cette oscillation du faire pictural entre la volonté et le hasard, entre le conscient et l'accidentel. Pendant même l'acte de peindre, un geste à la fois volontaire et désintéressé oblitère les données immédiates de la peinture pour l'orienter vers un nouveau destin.
La nouvelle série que montre la Galerie Rivages est entièrement réalisée sur papier. Elle est représentative de cette diversité de procédés connue à l'artiste. Des peintures abstraites figurent des entrelacs de formes et de lignes qui semblent rageusement se superposer les unes aux autres pour empêcher le réel d'y percer, pour étouffer toute allusion au monde. Mais la série propose notamment des images trempées dans la déréliction humaine. D'abord, des portraits du père, personnage obsédant, constamment évoqué dans des tableaux qui, d'une facture presque vériste, tiennent à en restituer la présence et le regard. D'autres portraits ne cherchent à identifier personne mais, défigurés, triturés sous la violence des traits, expriment le désarroi d'une humanité pourchassée. Les autres papiers réactualisent cette démarche qui constitue la force majeure de cet art, à savoir le surgissement de la figure humaine, inachevée et tordue, des marécages et des ombres qu'étale la peinture. Représentés dans des postures douloureuses, des personnages atones se détachent à peine du fond, ployant sous le poids du monde, réduits à des contours flous qui paraissent vidés du corps qu'ils cernent sans montrer. De la nuit noire, une gestualité débridée fait poindre des personnages au buste imposant mais au visage lacéré de traits agressifs, transformé en amas de cendres. Parfois, un souci de composition se fait jour, une soigneuse mise en espace cale les êtres entre deux mondes, un bloc de terre auquel s'accouder et une porte qui semble s'apprêter moins à accueillir qu'à engloutir. Un tableau donne à voir une silhouette enfermée dans un cube. A regarder de près, rien ne permet de reconnaître un être humain dans ces formes qui résistent aux larges traces noires évoquant la cage, car c'est l'enfermement lui-même que peint l'artiste et non l'homme enfermé. L'émotion se passe des preuves du réel. Un autre tableau figure un personnage allongé les bras en avant, entourant une source au pourtour rouge où se désaltérer. L'homme est rendu dans une masse de fumée et de suie qui lui donne l'apparence d'un animal préhistorique, d'un être de cauchemar. Habité d'une sombre vision de l'homme, l'art de Rezki confine-t-il au monstrueux ? Jamais. La peinture se meut dans l'angoisse mais sans verser dans l'horreur. La démarche de l'artiste ne serait expressionniste qu'à la condition de déposséder le mot de sa tendance à signifier la figuration d'une imagerie de la catastrophe et de l'abject. Ce qui heurte le regard devant ces tableaux, c'est moins le drame des personnages que la manière dont il est tu sous l'agitation des formes. C'est là une différence de taille par rapport à l'univers de Bacon. L'artiste britannique peint des entrailles animales, des bouches démesurément élongées, des pansements et des seringues hypodermiques. Quant aux êtres frileux de Rezki, on ne les entend jamais crier, on ne voit jamais le sang de leurs blessures. La peinture dit la poisse sans tomber dans l'insoutenable. Quand ils sont d'une physionomie précise, ramenés à leur nette visibilité anthropomorphe, ces personnages vous fixent sans ciller, vous toisent même, comme pour vous donner la certitude qu'ils sollicitent votre regard et non votre compassion. Les êtres accablés qui traversent l'oeuvre d'Amina Rezki sont des éclopés stoïques.
Youssef Wahboun
Ecrivain et professeur d'esthétique
comparée et d'histoire de l'art


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.