Depuis sa création en 1995, l'association Casamémoire tente de développer ses actions communautaires pour la sauvegarde du patrimoine architectural de la capitale économique et sa mise en valeur. Par Mostafa Nazih Pour Abderrahim Kassou, architecte et président de "Casamémoire", Casablanca "recèle toujours un riche patrimoine architectural unique au centre-ville et dans la médina-ancien centre au 19è siècle-, ainsi qu'à la périphérie", d'où l'intérêt d'oeuvrer à la valorisation de ce patrimoine et l'encouragement du tourisme culturel, reflet de sa mémoire collective. Quand on l'interroge encore sur le fait que Casablanca est plus connue à travers le monde par le film américain qui porte son nom, réalisé en 1942 par Michael Curtiz avec comme têtes d'affiche Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, plutôt que par son architecture, M. Kassou réplique que c'est là encore une raison de plus pour que "Casamémoire" intensifie son action et consolide ses relations avec organismes, institutions et associations à l'international pour davantage de rayonnement du patrimoine casablancais à l'international. Baptisée jadis Anfa puis Dar El Beida, cette ville continue également de s'accaparer la part du lion en matière de livres qui lui sont consacrés, dont le dernier en date est celui du reporter-photographe Abdeljalil Bounhar : " Anfa, Dar el Beida, Casablanca : trois noms, une seule ville " (janvier 2010), illustré de 700 images d'archives dont certaines sont léguées par des photographes tels que J. Boussuge, Bertou, Alhambra, Flandrin, Maillet, Levy et Neurdein. Pour découvrir sa beauté architecturale, tels les bâtiments abritant le tribunal, la grande poste, la wilaya et la douane ainsi que les habous, la médina, les cités d'Ain Choq, Hay Mohammedi, Hay Hassani et Riviera, ou encore la grande mosquée Hassan II, instituts, universités du Maroc, des écoles d'architectures étrangères, ou des membres d'associations ou de spécialistes étrangers sollicitent constamment "Casamémoire" pour des visites guidées. Ces visites sont encadrées par des spécialistes de cette association qui travaille également sur un guide et un inventaire pour répertorier les bâtiments, monuments ou zones et paysages, à sauvegarder dans la cohérence de la ville et la qualité de vie de ses habitants et visiteurs. Pour son président, le patrimoine de Casablanca est unique au monde, pas uniquement grâce à la valeur de ses bâtiments, pris individuellement, mais aussi par leur cohérence et leur nombre qui avoisine les 800, reflétant un tissu urbain homogène, ce qui a incité l'association à oeuvrer à ce qu'elle soit inscrite comme patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que ville moderne. Pour lui, l'inventaire, qui constitue un exercice de longue haleine et qui prendra encore deux ans est un travail technique préparatoire devant servir à alimenter la demande marocaine, laquelle est du ressort du ministère de la Culture qui oeuvre de concert avec l'association pour atteindre cet objectif. +Adapter l'architecture moderne au contexte local+ Il n'est pas question d'opposer l'ancienne médina au centre-ville, parce que la médina de Casablanca est considérée comme moderne depuis la destruction de la ville par un tremblement de terre au 18è siècle, tient-il à préciser dans un entretien à la MAP. Cette médina date du 19è siècle et les premiers émigrés européens et marocains s'y sont installés, contrairement à d'autres villes où les autochtones étaient en médina alors que les nouveaux arrivants étaient à l'extérieur. Au 19è et au 20è siècle, rappelle-t-il, les consulats étaient dans la médina de Casablanca qui était moderne et cosmopolite. Une médina unique au monde et dont le tissu urbain est de type traditionnel et l'architecture (façades, balcons...) ainsi que le quotidien constituaient un tissu de cosmopolitisme et de communauté qui fonctionnaient ensemble sans aucune opposition, a-t-il dit. Le "risque et l'erreur", fait-il remarquer, est qu'on veut voir en la médina un tissu arabo-andalou, à l'image de la grande porte construite au milieu des années 90 sur la place Mohammed V, insistant, à ce propos, sur le fait que l'histoire de la ville et de son architecture doit être prise en charge par l'université, les historiens et les chercheurs. "C'est un travail d'historiens, alors que nous, en tant qu'architectes, sommes à la limite en train de déborder de champ et de dire par défaut ceci est juste ou faut historiquement ", dit-il, soulignant que "c'est aux historiens de faire ce travail de mémoire". La spécificité de Casablanca découle également, relève-t-il, de certaines anciennes expériences architecturales dans sa périphérie telles que la cité d'Ain-Chok, construite au milieu des années 40, ainsi que les cités de Hay Mohammedi, étudiées mondialement dans les universités d'architecture, de Hay Hassani et du Riviera, qui constituent des modèles de logement social et reflètent un cadre d'habitat non seulement agréable, mais historiquement intéressant pour les architectes qui pensent "construire selon une culture marocaine". Cependant, de la sensibilisation au militantisme pour la sauvegarde du patrimoine architectural et culturel de la ville, il n'y a qu'un pas à franchir. C'était chose faite, au sein de l'association, en février 2010, quand ses membres ont organisé un sit-in de protestation contre certains projets de démolition et appelé à la promulgation d'une réglementation de protection et à la sauvegarde des monuments, marquant, ainsi, cette évolution dans le parcours de "Casamémoire", et dont l'effondrement d'une partie de l'hôtel Lincoln, sur le boulevard Mohammed V, à l'époque, était le déclic de naissance. Tout en se réjouissant de la prise de conscience générale quant à la protection des monuments historiques et de tout le patrimoine architectural de la métropole, M. Kassou souligne que l'action de "Casamémoire" s'inscrit dans un cadre culturel global pourvoyeur de richesses, l'association étant convaincue de la nécessité de replacer la culture- qu'on ne peut percevoir comme un luxe- dans l'éducation.