L'Orchestre de musique andalouse de Fès de Feu Haj Abdelkrim Raïss, dirigé par maître Mohammed Briouel s'est produit récemment à Rabat, offrant le temps d'une soirée au public R'bati le legs d'une tradition musicale andalouse Al-Ala, qui continue à porter invariablement à travers les siècles l'imagination et la ferveur du public. -Par Roukane El Ghissassi- Décidément des textes imperceptiblement formant des rides mais ô combien pleins de fantaisie, de jeu et de joutes oratoires improvisées, ont été interprétés au cours de cette manifestation organisée à la Villa des Arts de Rabat, cette belle demeure, aux murs d'un blanc immaculé et conçue dans le pur style art déco. Incroyable postérité que celle de la musique andalouse Al-Ala. Plusieurs siècles de l'histoire des textes durant lesquels foisonne une myriade d'interprétations musicales, mais malheureusement pas suffisamment de traduction des textes de ses Noubas qui sont une suite de la musique arabo-andalouse et chacune d'elles est interprétée sur un mode bien défini et à une heure déterminée de la journée. Lorsque la formation orchestrale attaque la première Nouba "Madh Fi Rassoul" (louanges à l'adresse du prophète Sidna Mohammed), où l'amour de Dieu est sublimé, glorifié, supplié et loué, le public réalise bel et bien qu'il se trouve dans le berceau de la musique andalouse que lui présente Briouel, preuve encore vivante de l'attachement de son ensemble aux valeurs musicales d'Al-Ala comme les avait conçues et les lui avait transmises son maître, Abdelkrim Raïss. Le jeu des musiciens s'enchaînait alors que le rythme cadencé pouvait à tout moment entraver cette continuité. Loin s'en faut ! La grande ligne l'emportait toujours en dépit de certaines interprétations périlleuses, mais domestiquées par les musiciens. Une flamboyance par moments, mais aussi des couleurs sombres et denses dans les morceaux interprétés par les instrumentistes, qui reposaient surtout sur l'exécution des violonistes, exceptionnelle de justesse et d'homogénéité, et que venait relancer au moment opportun le jeu scintillant de l'instrument "TAR" par des attaques fermes et puissantes. Cet instrument "joue un rôle fondamental dans la musique Al-Ala dans la mesure où c'est grâce à lui que le chef d'orchestre peut orienter le rythme ou la cadence (rapide ou lente)", a tenu à préciser, dans une déclaration à la MAP, Maître Briouel. Aucun répit n'est permis aux musiciens qui enchaînent sur une 2-éme Nouba "Hijab El Kabir". Tout l'enjeu est de transmettre au public le naturel non dénué de profondeur de la beauté de l'écriture musicale d'Al-Ala et plus particulièrement dans celle "Hijab El Kabîr". De toutes ces formes qui visent à provoquer le Tarab (l'ivresse) de l'auditoire, le mounchid Abderrafie Bennouna, à peine âgé de 25 ans, était le maître incontesté. Le timbre de sa voix de ténor, d'une beauté sensorielle, s'est incorporé à l'ensemble musical avec une grande aisance : sa fantaisie juvénile mais créatrice y étant pour beaucoup : Rayonnant était ce soir le mounchid Bennouna, un ange sur scène ! Jouant tout en douceur, Briouel a su imposer une exigence à chacune de ses interprétations au moment où il cherchait sans cesse à s'intégrer à la masse orchestrale qu'il dirigeait sans ostentation. Du coup, l'exécution, d'entrée de jeu, maîtrisée, vigoureuse et passionnée des artistes, est devenue, au fur et à mesure que les interprétations se succédaient, plus puissante, le but étant de gagner l'adhésion totale du public. Le jeu entier et concentré des artistes jusqu'à se dématérialiser presque, sans perdre pour autant une expression intense et une extrême fidélité à l'esprit des œuvres anciennes de la musique andalouse Al- Ala, sont les marques du style de Briouel à son meilleur, qui a pu faire croire à son auditoire à l'aube d'un monde heureux.