Issu d'un petit village enclavé dans le nord du Soudan, Tayeb Saleh a atteint l'universalité grâce son génie littéraire. Néanmoins, de Markaz Marawi, son village natal, à Londres où il a rendu l'âme il y'a un peu plus d'une année, se trouve un maillon fort de l'histoire que certains méconnaissent toujours. Ce maillon est Assilah. -Par Ali Hassan Eddehbi- Certains de ne le savent peut être pas encore, mais Tayeb Saleh était tombé amoureux de "Zayla" une trentaine d'années avant son décès. Un amour auquel il est resté fidèle jusqu'à son dernier souffle. "Je me suis fortement lié à Assilah et à ses habitants. C'est le seul endroit où tout le monde vient me saluer. Dans cette ville, je renoue avec mon enfance", écrit un jour le romancier dans une lettre adressé au journaliste Talha Jibril que ce dernier a révélée lors du colloque organisé à la mémoire de Tayeb Saleh, dans le cadre du 32è Moussem culturel d'Assilah. "J'ai rencontré Tayeb Saleh pour la première fois en 1972 à Doha où je m'étais rendu spécialement pour le voir et c'est lors de cette entrevue que je lui ai parlé du projet du Moussem culturel d'Assilah et il a fait part d'un enthousiasme autant que le mien", raconte avec nostalgie Mohamed Benaïssa, secrétaire général de la Fondation du Forum d'Assilah". "En 1979, il avait visité la ville d'Assilah pour la première fois et le Moussem coïncidait avec Aïd Al Adha. Nous avons accompli la prière d'Al Aïd ensemble dans l'ancien Msallah de la ville, devenu aujourd'hui un jardin baptisé en son nom", se souvient M. Benaïssa. Depuis le temps, l'amour que vouait Tayeb Saleh à Assilah est resté intact. Un attachement indéfectible et une fidélité qui ne sont certainement pas étrangers à un homme de la trempe de feu Saleh. Un "monstre sacré" de la littérature et un intellectuel universel qui est toutefois resté intrinsèquement lié à ses origines soudanaises", comme en témoigne son frère Béchir. "En Angleterre, il a vécu et y est décédé étranger", a fait savoir Béchir. Homme de lettres universel et chantre de la tolérance et des valeurs de respect de l'autre et de la diversité, Saleh ne pouvait en réalité se sentir "étranger" au stricto sensus du terme, mais il avait plutôt ce sentiment d'enracinement profond dans le monde où il a vu le jour puis grandit. D'ailleurs, c'est en s'inspirant de ces origines qu'il a pu concocter des histoires aussi merveilleuses que "La saison de migration vers le Nord", traduite dans plus d'une trentaine de langues, et qui ont exporté, de la plus belle des façons, aux lecteurs des quatre coins du globe ce qu'est la culture et le mode de vie des Soudanais. Ceux qui l'ont côtoyé et qui étaient présents ce vendredi après-midi à Assilah, s'accordaient à souligner que l'homme avait derrière lui une expérience humaine d'une richesse rarissime. Il a sillonné le monde entier, rencontré les grands et les petites gens et c'est qui lui a permis, entre autres, selon eux, de "pondre" les petits bijoux que sont ses Œuvres. "Quand on me demande de présenter le Soudan, je réponds tout simplement que Tayeb Saleh l'a déjà fait avec son chef-d'Œuvre +La saison de migration vers le Nord", raconte Talha Jibril. Mais au-delà de cet attachement aux sources, Tayeb Saleh était de ces écrivains à l'imagination si fertile qu'il pouvaient toucher un lecteur quelle que soit la culture d'où il vient. Loin de cantonner son talent de narrateur à l'expérience personnelle peut être "trop autobiographique", Tayeb Saleh inventait des personnages qui ne lui ressemblaient pas. Des personnages profonds et complexes qui ne ressemblent qu'à eux-mêmes, sinon à rien. "J'ai lu +La saison de migration vers le Nord+ des dizaines de fois, et le jour où j'ai eu le privilège de rencontrer l'auteur en chaire et en os je cherchais en lui l'héro Mustapha Saïd, en vain!", confesse Inaam, écrivain irakienne, qui a témoigné lors du colloque. "Comment un homme à l'humilité et à la gentillesse de Tayeb Saleh puisse inventer un personnage comme celui de Mustapha Said, qui lui est diamétralement opposé mais tout aussi convainquant?". C'est le génie de l'auteur, dira-t-on en guise de réponse.