Aujourd'hui, le Maroc va faire un bond dans le 3ème millénaire, un saut vertigineux qui permettra à nos trains poussifs de doubler, voire tripler la vitesse de pointe grâce au TGV. Même si cet exploit n'est pas le fruit de nos ingénieurs et de notre industrie, nous serons le premier pays africain et arabe à se doter d'un train à grande vitesse. Pour un pays aux modestes moyens (excepté la Mauritanie, notre PIB par habitant est le plus faible d'Afrique du Nord), le choix a du être compliqué pour décider d'investir 33 milliards de dirhams (3 milliards d'euros) pour se payer cette coquetterie. 29 septembre, date de la fête du TGV au Maroc Oui coquetterie car la question que tout le monde se pose est la suivante : quelle clientèle pourra se permettre de se payer un ticket Tanger-Casablanca en TGV ? Alors qu'aujourd'hui un aller simple pour ce trajet en train coûte 125 DH la place en deuxième classe. A combien devra s'élever le ticket pour que le TGV soit rentable ? Le ministre de l'Equipement et du Transport, Karim Ghellab assure dans une interview publiée aujourd'hui dans le quotidien l'Economiste, que le prix du TGV « sera un peu plus cher que le train actuel ». Admettons ! Même en fixant un prix moyen de 200 DH avec les 6 à 8 millions de voyageurs annuels escomptés on se retrouverait avec un chiffre d'affaire de 1,2 à 1,6 milliards de dirhams. Pour amortir seulement le coût initial de ce TGV (rames et rails), il nous faudrait plus de 30 ans ! Comment alors donner de la crédibilité au 8,5% de taux de rentabilité avancé par le ministre ? Si la France dont le revenu médian des foyers s'élève à 2400€ n'a pas réussi à rentabiliser son TGV, comment allons-nous réaliser cet exploit au Maroc avec un revenu médian de 3 500 DH (soit 320€) ? Un TGV pour Michlifen ? Mais parler de 33 milliards de dirhams n'est pas très significatif. Pour vous rendre compte de l'ampleur de l'investissement, il faut savoir que cela représente plus du double du budget de l'ensemble de toutes les autoroutes en chantier ou en projet d'ici 2015 (14 milliards de DH). Ce qui signifie qu'en lieu et place du TGV nous aurions pu tripler nos projets autoroutiers d'ici 2015. Ainsi Fès aurait pu être reliée à Tanger, Safi à Essaouira, Agadir à Laâyoune ! Et si l'ONCF ne veut pas voir son budget profiter à ADM, il peut très bien déployer les lignes de chemin de fer pour relier plus de villes avec le fameux Train National Rapide (TNR). Agadir attend toujours sa ligne de chemin de fer depuis 1970. Mais les habitants de la capitale du Souss ayant patienté 40 ans, peuvent bien attendre encore 25 ans, puisque le TGV ne devrait arriver chez eux qu'en 2035. A l'ONCF on a le sens des priorités et on sait rester cohérent. Un peu comme pour l'hôtel le Michlifen appartenant à l'office. Il est tout de même cocasse de voir sur le site de l'ONCF une publicité pour son hôtel de luxe situé à Ifrane, alors que cette ville n'est même pas reliée par le rail. C'est comme si Atlas Hospitality (filiale de la RAM) ouvrait un hôtel dans la ville de Taounate ou Chefchaouen, qui ne possèdent pas d'aéroport. 2015 : Quand l'avion rame face au TGV L'ONCF et la RAM risquent d'ailleurs de s'affronter sur un autre terrain que l'hôtellerie. En France, la SNCF est directement en concurrence avec Air France sur les liaisons entre les grandes villes. Elle profite de son avantage qui réside dans la connexion centre ville à centre ville comme par exemple Paris-Marseille. L'avion doit se contenter d'aéroport très éloignés du centre ville ce qui le rend moins pratique. Au Maroc, il n'est un secret pour personne que la RAM est en très grande difficulté. La compagnie est en train de mettre en place un douloureux plan de restructuration et l'Etat est appelé à mettre la main à votre la poche. Plus grave, RAM Express la filiale pour les vols intérieurs a été mise en place en 2009 afin justement de relier les différentes grandes villes marocaines au hub de Casablanca. Que deviendra dans 4 ans la liaison Casablanca-Tanger qui est déjà déficitaire ? Si l'ouverture des liaisons autoroutières récentes (Agadir, Oujda) a rendu l'avion moins attrayant, il est fort à parier que le TGV signe la fin des ambitions de RAM Express. Car en plus de la liaison directe Tanger-Casa, le TGV a l'avantage de pouvoir s'arrêter pour desservir plusieurs grandes gares comme Kenitra ou Rabat. Ni vainqueurs, ni… que des vaincus ! Mais la victoire du TGV ne serait qu'une victoire à la Pyrrhus. En plus de mettre en difficulté la RAM (quoiqu'elle n'ait pas vraiment eu besoin de l'ONCF), le TGV restera difficile à rentabiliser. En Europe, seuls les riches pays de l'Ouest possèdent des lignes à grande vitesse. Tous les pays de l'Est, y compris la Pologne bien plus riche que nous, ont fait l'impasse sur cette coquetterie. Car il y a un paramètre incontournable pour ce type de transport : le volume de passagers. Autant dire que la population marocaine, couplé à son faible pouvoir d'achat risque de peser sur les prévisions optimistes du ministre. Et si il y a bien une chose qui caractérise le Marocain moyen c'est qu'il a tout son temps. Il suffit de voir les terrasses de café et ce, quelque soit le moment de la journée, pour comprendre la difficulté pour un Marocain de payer plus cher pour gagner 2 heures. Aujourd'hui déjà, le train classique est concurrencé par les autocars légèrement moins chers. Demain, sans prix du ticket subventionné, une grande partie de la clientèle actuelle de l'ONCF se reportera sur l'autocar. L'Etat n'a donc pas le choix puisque la ligne TGV devrait mettre fin à la ligne de train classique entre Tanger et Kenitra. La farine ou le TGV, il faudra choisir Et oui, souriez chers Marocains, après la farine, le sucre, le gaz et le carburant, on vient de rajouter le TGV comme nouveau produit subventionné par la caisse de compensation. Et en 2020, nos technocrates devront réfléchir sur le moyen de limiter les dépenses liées à la caisse de compensation devenues insoutenables. Il s'agira alors d'arbitrer pour l'éviction de la farine ou du sucre du panier des produits subventionnés, car entre temps, le TGV sera devenu un produit de première nécessité. Vous pensez que je délire ? Pourtant il y a quelques années nous avons bien eu droit à la sortie de l'huile pour préservez la subvention aux produits pétroliers. Par Mohamed Ezzouak Ya Biladi