Les écueils auxquels se bute l'immigration au Québec (haut taux de chômage, difficile francisation, impossible régionalisation, délicate intégration, seuils à atteindre, quotas à respecter…) ont une source. Elle se résume en une ligne, celle que l'on trouve en page 15 du document La Planification de l'immigration au Québec pour la période 2012-2015, présentement discuté en commission parlementaire: «L'immigration se présente comme un marché.» C'est le triomphe de l'économisme, déconnecté d'une approche identitaire et sociale et particulièrement pernicieux pour le Québec. Ce qui préoccupe présentement le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, c'est la pénurie de main-d'oeuvre: 740 000 postes à pourvoir d'ici 2014. Pour attirer les meilleurs, le Québec entre en concurrence avec les autres pays développés et les provinces canadiennes, tout en étant contraint de puiser dans des bassins d'immigration francophiles. Le ministère tente donc d'évaluer, et beaucoup au pifomètre comme l'expliquait samedi notre collègue Robert Dutrisac, combien devront être nos prochains immigrants, à quelle tranche d'âge ils devront appartenir et de quelles parties du monde ils devront venir. Sur le terrain, ces calculs ne marchent pas. Evidemment, puisque le facteur humain et le contexte particulier du Québec sont ici passés à la trappe. Des exemples, les organismes communautaires qui se présentent devant la Commission des relations avec les citoyens (qui reprend ses travaux ce matin à Québec) en ont des dizaines à donner. Restons économique et prenons les camionneurs: il y a un besoin, la formation existe, des immigrants s'y inscrivent, la réussissent. Arrivent les employeurs: ils ne veulent pas d'un Français ou d'un Maghrébin, ils veulent quelqu'un qui connaît les routes du Québec, quelqu'un né en région. Le beau modèle mathématique — un manque ici, un travailleur là —, vient de s'effondrer. D'autant que les PME, grands employeurs du Québec, n'ont pas de service de ressources humaines pour s'adapter à la nouvelle donne et que seuls quelques organismes communautaires essaient de faire le pont, mais à coups de projets-pilotes et de financement insuffisant. Mais l'intégration, c'est bien davantage que de dire: «La personne trouve du travail en français, c'est réglé», comme l'illustrait le président du Conseil supérieur de la langue française, Conrad Ouellon. Une fois sortis du boulot, Québécois de souche et nouveaux arrivants, à quelques exceptions près, s'ignorent superbement. Qui en parle? Qui prend à bras-le-corps la méfiance des gens d'ici et «l'entre-soi» de ceux qui arrivent? À quoi s'ajoute le défi de la langue: il est invraisemblable que la loi 101 ne s'applique pas aux entreprises de moins de 50 employés, où se retrouvent pourtant une foule d'immigrants à qui l'on finira par reprocher leur anglicisation — belle façon pour la société de s'en laver les mains. Enfin, ce qui complique la donne de l'immigration au Québec, c'est qu'il est un pays sans le nom, sans le pouvoir d'imposer tous ses choix, sans une histoire assumée. L'immigrant se perd dans ces paradoxes, s'en tient loin. Ce n'est, paraît-il, plus la mode d'en parler, mais l'arrière-fond de ce débat s'appelle toujours souveraineté. Josée Boileau 6 septembre 2011 le devoir