La télévision marocaine a levé un tabou en diffusant une émission sur la vie de Mehdi Ben Barka, ancien opposant au roi Hassan II enlevé à Paris en octobre 1965, estiment des militants des droits de l'Homme, tout en appelant à un débat public sur cette affaire "emblématique". Cette émission qui comporte une deuxième partie prévue le 10 février, a été diffusée dans la nuit de mardi à mercredi. Béchir, fils de Mehdi Ben Barka et Abdellatif Jebrou, militant socialiste, ont notamment retracé dans cette première partie la vie de l'ancien chef de la gauche marocaine depuis l'école primaire jusqu'à la veille de l'indépendance, proclamée en mars 1956. S'exprimant au nom de la famille, Béchir a souligné la nécessité de faire la vérité sur le sort de son père. "Il est de notre devoir de continuer à enquêter. Ma grand-mère est morte paralysée en 1970, sans qu'elle ait pu se recueillir sur la tombe de son fils", a-t-il dit. Mehdi Ben Barka a disparu le 29 octobre 1965 devant la brasserie Lipp à Paris, lors d'une opération attribuée aux services marocains du roi Hassan II avec la complicité de policiers et de truands français. Son corps n'a jamais été retrouvé. "C'est une très bonne chose, on est en train d'avancer car la diffusion de l'émission, c'est déjà une décision de l'Etat", dit à propos de l'émission Amina Bouayache, présidente de l'Organisation marocaine des droits humains (OMDH). "Le plus important, c'est de saisir cette occasion pour déclencher un débat public sur ce cas emblématique des atteintes graves aux droits humains", ajoute-t-elle. Cet avis est partagé par Abdelhamid Amine, vice-président de l'Association marocaine des droits humains, qui attend toutefois la deuxième partie devant traiter de l'enlèvement. "La télévision aura-t-elle le courage de soulever les vraies questions: quelle est la responsabilité du roi Hassan II, de ses proches collaborateurs et de l'Etat français?", s'est-il demandé. "Il est important que les citoyens connaissent leur histoire vue de différents angles", estime de son côté Seddiq Lahrach, un responsable du Forum vérité et justice (FVJ). Des images ont montré notamment Mehdi Ben Barka à l'école, en exil dans la région du Tafilalet (sud), sur le siège arrière d'une voiture conduite par le prince héritier Moulay Hassan, futur roi Hassan II, ou en discussion avec le président cubain Fidel Castro. Cette première partie a présenté les activités scolaires puis nationalistes de Mehdi Ben Barka, qui s'est affirmé très tôt comme un grand dirigeant de l'Istiqlal, parti nationaliste ayant dirigé la lutte pour l'indépendance. Dans un communiqué, Béchir Ben Barka a indiqué, avant la diffusion de l'émission, que l'entretien accordé à la TVM datait de plus de trois ans, s'étonnant que ni lui ni sa famille n'aient été contactés depuis. "Même si on peut souligner la démarche de la première chaîne de présenter la vie d'une des figures les plus marquantes du mouvement national et progressiste marocain, il est inadmissible que cela se fasse en commençant par tenir délibérément à l'écart sa famille et ses proches", a-t-il écrit. "L'émission aura donc osé mettre un terme à un black-out qui s'est éternisé sur 44 longues années, depuis le lâche enlèvement et la disparition, à jamais, de l'opposant marocain le plus connu", écrivait mardi le quotidien socialiste Libération, sous le titre "Ben Barka à la télé officielle".