Les élections législatives organisées chez notre voisin ibérique sont toujours un événement au Maroc. Suivis, analysés, voire même anticipés, les résultats de ces scrutins suscitent l'intérêt des médias et des observateurs marocains. Ceci compte tenu du fait de leur impact politique, social et économique certain sur l'ensemble de la région du pourtour méditerranéen, en général, et sur le Maroc, en particulier. On sait désormais que les élections anticipées qui ont eu lieu le dimanche 28 avril ont abouti à une victoire «numérique» du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE). Ce dernier a raflé 123 sièges à la Chambre basse (contre 84 dans le parlement sortant) sur un total de 350 sièges, soit 28,7 % des voix. «L'Espagne a choisi de voter pour la défense des droits et libertés, de l'égalité et de la justice sociale… Merci pour les 7,3 millions d'Espagnols et Espagnoles qui ont fait confiance aujourd'hui au PSOE», s'est empressé de tweeter le Président du PSOE et actuel chef du gouvernement socialiste en Espagne, Pedro Sanchez. Mais cette victoire reste toute relative, étant donné que le PSOE devra constituer une majorité gouvernementale à travers le jeu des alliances. Loin de la majorité absolue, le PSOE cherche désormais des alliés. Dans ce registre, deux options se profilent. La première et la plus probable serait une alliance avec son allié de la gauche anti-austérité, Podemos. Mais même cette alliance reste insuffisante pour constituer la majorité. Avec à peine 42 sièges obtenus par Podemos, il manquera en effet onze sièges pour atteindre le seuil de la majorité absolue, fixé à 176 sièges. Le PSOE pourrait de ce fait dépendre des nationalistes basques et aussi peut-être, mais moins probablement, de partis indépendantistes catalans pour gouverner. "Un gouvernement dominé par les socialistes et soutenu par Podemos semble l'issue la plus vraisemblable", a déclaré à ce propos l'agence de notation DBRS dans un rapport. "Ce type de coalition nécessite le soutien parlementaire de formations plus petites", ajoute l'agence de notation. Dimanche soir, un deuxième scénario se profilait avec des bruits sur une possible alliance entre le PSOE et les centristes de Ciudadanos, qui ont obtenu 57 sièges à la faveur de la déroute électorale du Parti Populaire (PP) qui n'a obtenu que 66 sièges, soit son pire score depuis les années 1980. Le lundi, ces rumeurs se sont dissipées suite à l'annonce de Ciudadanos de sa volonté de siéger dans l'opposition. En plus de la débâcle du PP, l'autre grande surprise de ces élections est l'entrée au Parlement du parti d'extrême droite Vox, du jamais vu depuis la fin de l'ère Franco. On rappellera que l'un des ténors de ce parti, Santiago Abascal, résolument inspiré par Donald Trump, avait récemment appelé à la construction d'un mur de béton entre le Maroc et les enclaves occupées de Sebta et Mellilia… aux frais du Maroc ! L'élection du dimanche va – t –elle impacter les relations entre le Maroc et l'Espagne ? En plus de l'Histoire multiséculaire qui lie les deux pays, leur proximité géographique leur impose de maintenir un flux de dialogue et de partenariat soutenu, en vue notamment de traiter les nombreux dossiers épineux qu'ils partagent. Il s'agit notamment de la crise migratoire, du trafic de drogue et bien sûr des accords maroco-européens en matière de pêche maritime et d'agriculture, dans lesquels l'Espagne se positionne en tête des pays partenaires. Dans ce contexte, la victoire du PSOE, dont le président Pedro Sanchez vient de publier en fin de semaine dernière une tribune plus qu'élogieuse envers le Maroc, constitue incontestablement un point positif pour la quiétude de ces relations et leur continuité dans un climat de respect mutuel. Dans cette tribune publiée sur la prestigieuse revue espagnole Politica Exterior, le chef du PSOE a ainsi déclaré : "Le progrès et la prospérité du Maroc constituent un élément décisif pour la stabilité de la Méditerranée occidentale et en particulier pour l'Espagne". Ces propos s'inscrivent en droite ligne de la politique internationale du PSOE envers son voisin du Sud, marquée par la lucidité et une volonté de surpasser les mésententes. Elle traduit aussi les positions de ce parti, relativement avantageuses, dans le fond, vis-à-vis du Maroc en ce qui concerne sa cause nationale au Sahara. Ceci malgré quelques sorties périodiques hostiles relevant plus de la forme et de l'effet de manchette. Les craintes marocaines concernant ce dossier se focaliseront sans doute sur les futurs alliés du PSOE parmi les ultra gauchistes de Podemos et accessoirement ceux issus de la mouvance séparatiste catalane, connus tous les deux pour leurs positions pro-polisario. Gageons toutefois que la realpolitik primera encore une fois dans ce dossier, certes vital et sensible pour le Maroc, mais qui n'a eu de cesse durant les dernières années de descendre dans la hiérarchie des «contentieux» qui animent des relations maroco-espagnoles de plus en plus marquées par le pragmatisme, tant les deux nations sont liées par un destin commun. Lionel ATOKRE