Dix mois après son adoption par le Conseil de gouvernement, le 21 juillet 2018, la Loi n° 97-12 relative à la lutte contre les produits dopants dans le domaine du sport, tarde toujours à se concrétiser sur le terrain. En effet, la très attendue Agence Marocaine Antidopage dont on parle depuis plusieurs années et qui aura pour mission d'appliquer cette loi, n'a pas encore vu le jour. En attendant et depuis le début de l'année 2019, le sujet du dopage dans le milieu sportif est revenu avec force aux devants de la scène nationale. Plusieurs affaires se sont succédées durant les deux derniers mois, ressuscitant l'intérêt du public pour ce sujet plus que jamais d'actualité. Dernière affaire en date, celle de la marathonienne française Clémence Calvin qui se serait dérobée au contrôle antidopage auquel devait la soumettre, à Marrakech, une commission de contrôle de la très puissante Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), spécialement dépêchée au Maroc. Cette affaire qui est actuellement instruite par la justice française, a eu pour conséquence l'annulation d'un stage de l'équipe de France d'Athlétisme qui était programmé à Ifrane durant ce mois. La raison invoquée, en off, par un membre de l'AFLD contacté par « L'Opinion » serait «le manque de garanties et de conditions pour la gestion des contrôles antidopage sur les sites marocains d'entraînement». Une autre raison citée dans le journal «Le Monde» expliquerait ce boycott du site d'entraînement d'Ifrane réputé dans les milieux sportifs internationaux, par l'existence au Maroc d'un véritable réseau de trafic de produits dopants. Notre pays qui a produit plusieurs champions olympiques d'athlétisme de par le passé, serait-il devenu une plaque tournante de ce trafic ? Abdeslam Ahizoune, Président de la Fédération royale marocaine d'athlétisme, balaie ces accusations d'un revers de la main: « il y a un problème de dopage en France, comme ailleurs et nous pointer nous, fédération étrangère d'un pays ami, c'est faire diversion. Ça aurait pu se passer dans n'importe quel pays », s'est-il indigné dans les colonnes du journal sportif « L'Equipe », tout en défendant le site d'Ifrane. «Ifrane est une des villes les plus propres au monde, ce n'est pas une bourgade, comme j'ai pu le lire ailleurs. Je sens dans tout ça des relents colonialistes », a t-il ajouté. Des mots très forts qui attestent de la tension qui pourrait naître entre les deux fédérations. D'autant plus que les révélations anonymes des officiels français dans le quotidien «Le Monde», suite à l'affaire de la marathonienne française, accablent le site d'Ifrane en le désignant comme un «paradis du dopage». «Ifrane, c'est la catastrophe. C'est une épine au pied de l'AFLD et une petite zone de non droit qui nous inquiète…», pouvait-on ainsi lire, entre autres commentaires en off de responsables de l'AFLD, dans l'édition du « Monde » du 9 avril. Dans ce contexte, l'entrée en jeu de l'Agence Marocaine Antidopage, dont le lancement serait d'après nos informations imminent, paraît plus que jamais urgente. Cet organisme étatique dont les missions couvrent également la coordination et la coopération avec des instances internationales homologues telles que l'AFLD ou encore l'Agence Mondiale Antidopage (AMA), pourrait contribuer à atténuer, par son action, le feu nourri dirigé contre le Maroc en matière de lutte antidopage. Car en l'absence d'un ONAD (Organisme National d'Antidopage), ces instances internationales en sont réduites à coordonner leurs actions avec l'ORAD (Organisme Régional d'Antidopage) dont le siège se situe certes à Rabat, mais dont l'action couvre l'ensemble de la région, Algérie et Tunisie y compris. Et c'est certainement de cette semi-vacation que résulte la crise de crédibilité en matière de lutte antidopage dont le Maroc subit dernièrement les conséquences. C'est du moins l'avis du docteur Oussama Boughaleb, président de l'Association Marocaine de Médecine du Sport, qui nous a déclaré : «Dans son organisation, l'Agence Mondiale Antidopage ne doit avoir de contact qu'avec une Agence nationale qui doit être indépendante de tout ce qui est étatique et du Comité olympique. Au Maroc, l'absence d'une Agence nationale antidopage se fait sentir sur l'efficacité de cette lutte, même si c'est le CNOM qui s'en occupe. A part la Fédération Royale Marocaine d'Athlétisme, nul ne se soucie du phénomène du dopage». Quelques semaines avant l'éclatement de l'affaire Clémence Calvin, en février, le pays s'était déjà retrouvé sous les feux des projecteurs en raison d'un quiproquo médiatique autour des performances de l'ancienne gloire de l'athlétisme marocain et actuel détenteur du record du monde du 1500 mètres, Hicham El Guerrouj. Tout a commencé avec un article qui relate des faits concernant le dopage. L'article en lui-même n'apporte rien de nouveau. Il cite, uniquement, ce que l'IAAF (International Association of Athletics Federations) a relevé, il y a plus d'un an. Cette instance internationale y exprimait son scepticisme concernant tous les records réalisés par le passé et ses doutes à propos de ceux qui les détiennent, sans même les nommer. Yahya Saïdi enfonce le clou en faisant allusion sur sa page Facebook au champion olympique marocain Hicham El Guerrouj qui venait de perdre son record du monde du 1500 mètres indoor. Il n'en fallait pas plus pour que ce dernier monte au créneau, démentant violemment, ces allégations et déversant dans la foulée sa colère sur Abdeslam Ahizoune qu'il a accusé d'être «la cause de la faillite de l'athlétisme marocain». Cette crise qui concerne un champion olympique réputé mondialement n'est cependant que la partie apparente de l'iceberg. Les affaires relatant des faits de dopage dans des disciplines moins médiatisées telles que le culturisme par exemple sont légion. La plus récente concerne le décès à Marrakech, il y a quelques jours, de deux adeptes de cette discipline en raison de l'utilisation de produits dopants. Abderrazak Haidane, champion du Maroc de culturisme en 2017, est l'une de ces deux victimes. Abattue par son décès, sa famille a décidé de saisir la justice et d'interpeller l'opinion publique à travers la section marrakchie de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme (AMDH). Cette dernière a, à son tour, décidé d'interpeller les autorités compétentes en la personne du ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Talbi El Alami, ainsi qu'en la personne du Procureur Général du Roi près la Cour de cassation, Président du Ministère Public, M. Mohamed Abdennabaoui. Dans sa missive, l'AMDH demande l'ouverture d'une enquête approfondie concernant la propagation du trafic de produits dopants importés illégalement au Maroc et qui entraînent chaque année le décès de dizaines de jeunes sportifs. Contacté par «L'Opinion» en vue de savoir les suites qu'il allait de donner à la requête de l'AMDH, ainsi que la date d'entrée en action de l'Agence Marocaine Antidopage qui sera soumise à sa tutelle, M. Talbi Alami qui était en déplacement à l'étranger, n'a pas donné suite à nos sollicitations. Toutefois, des informations glanées auprès de plusieurs décideurs actifs dans le domaine de la lutte antidopage font état d'un véritable branle-bas de combat contre le fléau du dopage au Maroc, suite à l'affaire Clémence Calvin. «Cette affaire surmédiatisée a fait beaucoup de tort au Maroc. Ce qui a eu pour effet de précipiter le lancement durant les prochaines semaines, voire les prochains jours, de l'agence antidopage. Les derniers réglages sont en cours», nous a ainsi révélé l'une de nos sources et de préciser : «Le Maroc qui s'apprête à postuler à l'organisation de compétitions sportives internationales subit de plus en plus la pression des instances internationales. Il ne peut plus se permettre cette vacation». Plusieurs départements seront impliqués dans les missions de la future agence antidopage, dont la DGSN et la Gendarmerie Royale qui, comme en France, auront pour charge le volet judiciaire et sécuritaire de la lutte antidopage. D'importants moyens sanitaires et technologiques seront également mis en œuvre pour garantir l'efficience des actions de l'Agence Marocaine Antidopage. Parmi ces moyens, un logiciel de traçabilité et de géolocalisation des sportifs soumis aux contrôles et calqué sur le modèle du logiciel Adams qui permet de localiser les sportifs français où qu'ils se trouvent dans le monde, doit ainsi être mis en place. Sans oublier l'arsenal juridique et les instances juridictionnelles qui devront suivre pour instruire et sanctionner les affaires de dopage. Gageons que la mission s'annonce des plus colossales et des plus périlleuses, mais il en va de la crédibilité de notre sport, et surtout, plus que tout, de la santé des nos futurs champions.