L'instance Nationale de coordination des associations féministes a organisé dernièrement une conférence de presse à Rabat pour présenter le mémorandum "Pour le renforcement des conditions de prévention et de protection des droits des ouvrières saisonnières marocaines, dans les fermes de fraises, dans la province de Huelva en Espagne ». L'instance est une coalition de 4 associations : l'Union de l'Action Féminine(UAF), l'Association Marocaine de lutte contre la Violence à l'Egard des Femmes(AMVEF), Jossour Forum des Femmes Marocaines etla Fédération de la Ligue des Droits des Femmes. Deux témoignages de deux saisonnières, l'une de Ouazzane et l'autre de Souk Larbaa, qui ont travaillé dans des champs différents, ont été plus éloquents que des discours. Elles ne bénéficient d'aucun encadrement, ne connaissent pas leurs droits et le contrat est rédigé en langue espagnole. Selon les statistiques, elles étaient 12000 en 2014, 15000 en 2017 et il parait qu'ils vont prendre 18000 cette année. Il y a une grande demande et l'on voudrait que la féminisation du travail soit accompagnée d'autres mesures pour une protection optimale, insistent les militantes. Toutes les demandes de visa se font à Tanger et c'est l'ANAPEC qui s'en occupe. Il y a plusieurs intervenants dans ce dossier: le Ministre du travail et de l'insertion sociale, le Ministre des affaires étrangères et de la coopération, le Ministre délégué chargé des Marocains résidant à l'étranger et des questions de la migration ainsi que l'Ambassadeur d'Espagne au Maroc. Fatima Maghnaoui, membre de l'UAF et directrice du centre Annajda a tout d'abord parlé du travail, en synergie, de la coalition, que ce soit pour la Constitution, le Code de la Famille, la violence à l'égard des femmes, soit, sur plusieurs dossiers pour la promotion des femmes. Le combat pour les saisonnières de Huelva est en continuité de celui du mémorandum de1993, un travail de terrain de Injad et des centres Annajda qui font l'écoute de ces femmes au niveau de Larache, d'Oujda…Donc, au niveau national et en dehors du pays. Ce sont 15000 ouvrières en 2017 qui ont travaillé dans les champs d'Espagne, dans plusieurs fermes et champs dans des conditions désastreuses, et y ont connu discriminations, abus sexuels et de droits. Il y a même des disparités pour ce qui est des conditions de logement et de séjour. Le mémorandum-cadre élaboré, une sorte de document de plaidoyer a été présenté par Latifa Bouchoua, Présidente de la FLDF. La justice va certes donner son verdict sur les violences produites en été mais la protection de ces femmes devrait être tangible avant la compagne de recrutements qui se trame pour la prochaine saison, de la part des autorités marocaines et espagnoles, et pour un nombre encore plus grand. Si force est de constater que l'autonomisation financière est garantie pour un temps, pour ces femmes il n'en est pas question qu'on bafoue leur dignité et fasse fi de leurs droits. L'intérêt, en 2018, après les violences qu'ont subies certaines saisonnières de Huelva l'été dernier, avec les rapports de l'Espagne et des instances des droits de l'Homme, les rencontres avec les Ministres, de l'emploi, des affaires étrangères, de l'Intérieur et leurs promesses, la construction de ponts avec les institutions et les ONGs de différents horizons, c'est de leur assurer une meilleure protection. Le constat est alarmant. Les discriminations commencent à partir du choix même de ces femmes : l'âge doit être compris entre 18 et 40 ans, et elles doivent être soit veuves, divorcées, ou, mariées et ayant des enfants de moins de 14 ans, en vue de s'assurer de leur retour dans leur pays d'origine à la fin de la période d'emploi. Et il faut signer un engagement de retour au bercail. Le cadre législatif pour ces femmes, pour la plupart pauvres et précaires, est un contrat rédigé en espagnol et qui ne spécifie pas la date de la clause du contrat de travail. On leur confisque les passeports pour une présumée protection et les empêche de tout déplacement. Elles ne peuvent créer ou adhérer à aucun syndicat alors qu'elles font plusieurs heures supplémentaires non remboursées, subissent des violences et que certains champs manquent de bonnes conditions d'hébergement. Les militantes associatives appellent les autorités marocaines et espagnoles à plus de mécanismes de protection, de sensibilisation et de prévention, et à l'inspection des conditions de travail, en marge de cette nouvelle compagne d'emploi de saisonnières agricoles. Le Maroc est appelé à plus de renforcement et d'amélioration des conditions, conformément aux conventions internationales et nationales, d'élaborer des partenariats avec les ONGs de droits, la société civile et les syndicats et de revoir le contrat, pour plus de protection et de droits. La procédure de travail doit être transparente et précise, sans discrimination en matière d'emploi, sous le contrôle de l'état marocain, sans intermédiaires et que tous les ministères de tutelle jouent leurs rôles. Le contrat devrait être rédigé aussi en langues arabe ou amazighe, selon la région, dans la langue qu'elles comprennent. Mais aussi assurer accompagnement et sensibilisation, depuis les premières clauses du contrat jusqu'à la fin, d'autant plus que certaines aides sociales ont été formées par l'entraide nationale. Sans oublier l'envoi d'inspecteurs de travail dans les champs de fraises, d'oignons, et de tomates et a l'appui social pour une meilleure intégration, même en si peu de temps. Ces femmes devraient bénéficier aussi de la CNSS, de jours fériés et être remboursées pour des heures supplémentaires. Au-delà de ce contrat, ces femmes demandent une reconsidération de leurs conditions, une fois au Maroc, pour une forme d'autonomie matérielle, des aides sociales ou autres. Et enfin, créer un mécanisme commun au Maroc et à l'Espagne pour le recueil de plaintesdes saisonnières. Côté Union Européenne, la société civile appelle au renforcement du respect des droits de l'homme et à l'élimination de toute discrimination envers les saisonnières de Huelva, conformément à la politique de la migration et de l'OIT, organisation internationale du travail. En vertu du droit international, les Etats d'accueil ont l'obligation de fournir une protection aux migrants à toutes les étapes du processus de migration, de leur permettre d'accéder à la justice et obtenir leurs droits en cas de tout traitement discriminatoire ou de violations des droits humains dont ils pourraient faire l'objet. Pour Rhizlaine Benachir, Vice-présidente de l'association Jossour Forum des Femmes Marocaines, la coalition a l'habitude de travailler sur toutes les thématiques concernant la question de l'égalité homme-femme, d'abord sur le Code de la Famille, puis sur le Code Pénal, sur la violence à l'égard des femmes... Le travail sur le programme des ouvrières saisonnières marocaines dans le champ des fraises en Espagne est un programme mis en place, il y a plus de 10 ans, pour une meilleure protection de la part des gouvernements marocain et espagnol. Mais la situation des femmes est restée la même, et encore, elle ne fait que s'endurcir. Ces femmes analphabètes sont emmenées dans des conditions très précaires et difficiles, ce sont des jeunes qui ne connaissent pas leurs droits, signent un contrat avec l'ANAPEC dont elles ne connaissent pas le contenu. Même l'hébergement n'est pas dans les normes. Après les violences de l'été dernier, certaines femmes ont porté plainte ce qui a fait ressurgir ce dossier. On interpelle depuis des années les responsables pour améliorer leurs conditions et la conférence de presse rentre dans ce cadre. « Nous avons procédé selon plusieurs étapes, à des rencontres avec des ministres nationaux, le responsable de l'ANAPEC, nous avons interpellé l'ambassade d'Espagne. Ils disent qu'ils sont en train de mener une enquête et une étude…il n'y a rien de concret ». C'est l'entreprise espagnole qui gère le tout. Espérons que le recrutement pour la prochaine saison se fasse de façon adéquate et précise. Les témoignages de Badia de Ouazzane et de Fatima de Souk Larbaa, qui ont fait plus de 4 saisons, ont donné plus de lucidité au dossier. Après l'enregistrement à l'ANAPEC, un certificat médical et le visa payé par elles au consulat d'Espagne, on leur donne une feuille (contrat) écrite en espagnol et plus aucun encadrement en Espagne. Elles sont 6 par chambre et 12 qui se partagent une cuisinière (plaque pour se faire à manger). On leur parle de 400 dhs la journée alors qu'on leur prend une partie pour l'hébergement et le transport. En cas de maladie, aucune prise en charge, elles payent médecin et médicaments. Les horaires de travail sont de 8 h à 18 heures pendant 2 mois et demi ou 3 mois. D'autres, dans d'autres champs, travaillent de 7H à 14 heures, et 5 autres heures qu'on ne comptabilise pas. Elles travaillent 3 heures le dimanche, sans être payées en retour. Tout dépend des sociétés espagnoles. L'expert, M. Ammor, a parlé des intermédiaires dans le cadre de l'agriculture, des Art 84 du Code de travail marocain, de la violation des lois dans ce dossier et des aspects personnels, du non-respect des principes de l'égalité dans le code du travail, sans discrimination, de la protection contre les abus sexuels, et du travail, les jours fériés, prohibé par l'OIT. Et aussi des articles 11 et 590 de la convention de l'OIT qui parlent de la liberté syndicale des ouvrières agricoles. Il a appelé la société civile à œuvrer pour la mise en application des lois marocaines et internationales et à une protection diplomatique du citoyen marocain. Bouteina BENNANI