Les grands contrastes apparus dans la vision artistique, entre le Dada et le Bauhaus, se font sentir après la Deuxième Guerre mondiale, entre l'abstraction lyrique et l'abstraction géométrique, pour se faire distinguer encore plus entre les arts contestataires et les arts d'intégration. Le refus d'être artiste Les arts de subversion s'activent à partir de la libération totale donnée à l'expression et à l'imagination. Brandissant le flambeau de la culture, surtout souterraine et marginalisée par les systèmes établis, ils se fondent sur des comportements provocateurs, sur des renouveaux stylistiques, sur des brassages des cultures. Par contre les arts d'intégration s'activent à partir du contrôle de la pensée par la raison. Brandissant le drapeau de la civilisation et sa culture officielle, ils s'appliquent dans les recherches à suivre de près les inventions scientifiques et les nouveautés de la technologie. Dans ces deux tendances antagoniques, l'artiste refuse son rôle traditionnel ; il refuse même d'être nommé « artiste » ; dans les arts de subversion, il joue le rôle d'initiateur, de porte-parole de la société des marginalisés et des révoltés. Dans les arts d'intégration, il ne veut plus être cet artiste passéiste qui réalise des tableaux avec de la peinture à l'huile et des pinceaux en poils d'animal ; il veut être le « technologue » par excellence, futuriste dans sa vision, ayant accès aux formules physiques et chimiques, à l'électronique, à la cybernétique et à l'informatique. Certes, les deux tendances convergent dans l'art-spectacle, voulant faire participer la foule, délaissant parfois la galerie et le musée. Dans le happening, l'art conceptuel et la performance, le spectacle sort de l'ordinaire, en devenant souvent blessant et même obscène ; le spectateur, cherchant un moment de jouissance esthétique, n'y trouve parfois que de l'horreur en mouvement, que de la déchéance et des ruines. Dans les spectacles aux éléments mobiles, dans le cinétisme, l'art luminocinétique et l'art cybernétique, le spectacle sort aussi de l'ordinaire ; on entre dans une sphère étrange pleine de mouvement, de son et de lumière, mais lorsque cette émotion s'achève, on finit par comprendre que ce n'est qu'une application des formules scientifiques, sans aucune création qu'un bricolage inutile de la technologie. La glorification de la science Les plus réussies des oeuvres de cet art mouvant tendent vers une « poétique de la technologie », comme l'a souligné admirablement Michel Ragon lorsqu'il écrit : « S'il entre en concurrence avec le monde scientifique, avec le monde technologique, l'artiste joue perdant. Près des ouvrages extraordinaires de la technique, ses oeuvres apparaissent comme celles d'un bricoleur. Son domaine est ailleurs, dans l'intuition et non dans le calcul, dans la recherche de la connaissance et non dans la recherche de l'efficacité. » Ces tendances qui optent pour la glorification de la vie scientifique, mimant ses inventions connaît des directions très diversifiées. Les plus ludiques sont les mobiles. Après les Contre-reliefs libérés dans l'espace de Tatlin et les Constructions suspendues de Rodchenko, Cadler crée des sculptures formées de fils et pièces métalliques qui se mettent en mouvement par le déplacement de l'air. Plusieurs artistes en Angleterre, en Italie et aux Etats-Unis vont adopter cette expérience. Les premières oeuvres cinétiques liées à la machine sont dues aux dadaïstes Marcel Duchamp et Man Ray, aux constructivistes Tatlin et Gabo, ainsi qu'à Moholy-Nagy. A leur suite, Nicolas Schöffer met l'accent sur l'espace, la lumière et le temps, dans ses sculptures spatiales dans lesquelles il introduit la lumière artificielle (luminodynamisme), comme dans sa Tour spatio- dynamique et cybernétique, érigée en 1961 à Liège. Au sujet des mouvements lumineux, Schöffer invente ses Télélumières, murs de lumière, prismes et circuits vidéo ; Frank Malina et Nino Calos fabriquent des Tableaux mobiles ; Palatnik invente des oeuvres cinéchromatiques. Parallèlement, Kosice, Raysse, Kowalski et d'autres artistes américains tendent à utiliser dans leurs oeuvres des gaz rares. Dans la même voie, Nam June Paik travaille sur la déformation des images de télévision, et Tsai construit des sculptures cybernétiques. Dès les années 1980, des artistes, tendus vers l'art électronique, utilisent des rayons laser. Faire participer la foule Poussant dans l'art luminocinétique, des artistes s'engagent à utiliser la lumière directe, rasante, noire chromatique, polarisée ou sonore. Cet art futuriste par sa conception, pose des problèmes en ce qui concerne la spécificité de l'art lui-même. A ce propos, le critique d'art Frank Popper écrit : « Ce nouvel art qui aura ses propres catégories esthétiques, pose des problèmes intéressants : ceux de l'intégration dans l'architecture et l'urbanisme ; de la production industrielle ; de la multiplication des images à l'aide du cinéma, de la télévision et des ordinateurs. Une forme inédite de spectacle polysensoriel apparait dans ce nouveau contexte esthétique, marqué par l'absence de l'oeuvre, l'anonymat de l'artiste, l'action et la crédibilité du spectateur. » Dans ce nouvel art, dont les protagonistes confirment son adéquation avec la vie d'aujourd'hui, l'artiste ne crée que l'idée à travers les circuits dans des lieux publics. Il s'agit pour le spectateur d'agir dans l'oeuvre qui se prépare et qui se transforme par l'action d'autres spectateurs. Dans cette notion de participation et d'environnement, plusieurs artistes cinétiques s'engagent, comme Soto avec ses « Pénétrables », et Cruz-Diez avec ses cabines de conditionnement à la couleur (Chromo-saturations pour un lieu public). Dans le même contexte d'autres travaillent dans l'art numérique interactif, comme Daniel Rozin qui invente des installations interactives ayant la capacité de changer à la présence du spectateur.