Loin de la subversion anti-artistique, et en opposition avec les arts contestataires, toute une conception esthétique s'acharne à participer dans la construction du cadre de la vie. Ayant comme sources d'inscription le néo-plasticisme de Mondrian et le constructivisme russe, engendrée par l'abstraction géométrique, elle conçoit l'espace esthétique sans objets, un espace dans lequel s'agencent des formes ou des volumes géométriques, stables ou en mouvement. Un art mécanique Tandis que les arts contestataires donnent libre cours à l'expression qui s'exprime par tous les moyens disponibles, récupèrent l'objet quotidien, en lui donnant une signification nouvelle, et introduisent le corps humain comme support de l'expression, tout en se référant au concept et au message manifestés dans l'œuvre (ou l'anti-œuvre), les arts d'intégration annihilent tout: ni expression, ni objet, ni corps humain. Ce sont des arts impersonnels, vides de tout sentiment, dialoguant seulement avec les sens, tout en introduisant dans la recherche le mouvement, la lumière et le son. Disciples des productivistes et des maitres du Bauhaus, certains artistes, dès le début des années 1960, délaissent l'atelier pour réaliser leurs expériences dans l'usine, imprégnés par la vie industrielle. Voulant démocratiser l'art et le mettre à la disposition du grand public, ils lancent le mec art ou l'art mécanique qui, comme l'a souligné Jean-Luc Chalumeau dans son ouvrage Introduction à l'art d'aujourd'hui (1971), «contient en effet, par principe, la possibilité de multiplier des originaux et donc de permettre à chacun d'acquérir pour une somme modique une véritable «œuvre» est non plus une simple reproduction». Ces «artistes producteurs en série», comme ils se nomment avec la crise du marché de l'art qui s'annonce déjà, ont trouvé l'occasion favorable pour faire sortir l'art de son «statut artisanal confidentiel», voulant lui donner les dimensions d'une nouvelle «industrie culturelle». Cette initiative a été encouragée par plusieurs galeries qui se sont spécialisées dans l'exposition et la mise en circulation des «multiples», surtout à Paris, à partir de 1966. Etant donné que le mec art, par principe, se travaille en usine, en collaboration, parfois, de l'artiste et l'ingénieur, étant donné, aussi, que les ouvriers fabriquent les multiples, sous les directives de l'artiste qui veut garder l'anonymat, en rejetant toute intervention directe et toute expression artistique, ne se préoccupant qu'à conjuguer l'espace, le mouvement et la lumière, on présume que la plupart des expériences du mec art ont été réalisées par les artistes op et les cinétistes. Parmi les artistes qui ont lancé cette initiative, on cite Nicolas Schöffer, François Morellet et Takis. Un caractère collectif a pu rassembler ces artistes et d'autres dans un groupe éphémère, nommé Groupe de Recherche d'Art Visuel (G.R.A.V.). Un art en mouvement Avec l'op art et l'art cinétique, une nouvelle vision esthétique voit le jour; ses protagonistes ont voulu parvenir à une «nouvelle beauté plastique mouvante et émouvante», comme l'a exprimé Vasarely, par le biais de la technologie. Rejetant la toile et le pinceau qu'ils trouvent traditionnels, ainsi que l'atelier, ces artistes «technologues» travaillent dans des laboratoires et des usines, utilisant des tubes de néon, des matières plastiques, des moteurs et des gaz rares. Se vouant à l'art-spectacle et à l'art intégré dans l'architecture et dans l'urbanisme, ils envahissent les espaces publics et l'environnement, avec leurs créations mouvantes et leurs machines lumineuses, voulant transformer le cadre de la vie et le rendre «futuriste», d'où la naissance de l'esthétique de la communication et de l'environnement, une esthétique qui touche l'art vidéo, l'art informatique, l'art numérique et le bio-art. À ce stade, on ne trouve plus de différence entre l'artiste et le designer; les deux travaillent en collaboration avec l'ingénieur, de près les inventions scientifiques et industrielles; les deux, également, aiment utiliser dans leurs multiples et leurs prototypes des matériaux nouveaux. On ne doit pas s'étonner devant cette entreprise qui oriente l'art vers la science et l'industrie, puisque ces deux types de créateurs, l'artiste technologue et le designer industriel, ont une source d'inspiration commune: le Bauhaus. Avec les maîtres du Bauhaus, les théories, les cours et les expériences appliqués par les élèves, ont tendu vers l'analyse des couleurs, des formes et des volumes artistiques, ainsi que l'union des arts de la forme autour du bâtiment. L'épuration des concepts entre dans les recherches des maîtres théoriciens de cette école devenue mythique. Avec Kandinsky, Paul Klee, Itten, Moholy-Nagy et Albers, l'art abstrait, surtout dans son courant géométrique, trouve son épanouissement et son intégration dans l'architecture, le design, et surtout, dans la vie industrielle.