Reconnu comme l'un des peintres figuratifs marocains les plus influents de sa génération, Rachid Sebti réussit à imposer un art quasiment une école en soi et à lui seul. On peut assurément évoquer chez lui un style « sebtien », grâce à une touche limpide autant que dense, qui provoque ce plaisir permanent pour les yeux et les sens, ce qui est le propre de toute peinture qui approche de la noblesse. Issu de l'Académie des Beaux-arts de Bruxelles, ce belgo-marocain a su rester un homme et un artiste marocain dans l'âme et la palette, plus pur que dur, fidèle à lui-même jusqu'à une saturation que l'on croit imminente, mais dans laquelle Rachid Sebti trouve un plaisir insoupçonnable. D'ailleurs, s'il se revendique de peintres majeurs comme René Magritte, Lucien Freud ou l'américain Hopper, il se refuse de tourner le dos à ses origines et ses sources purement et solidement marocaines. De son propre aveu, presque étonné, sa source d'inspiration, notamment la femme et le corps féminin, ce sublime tabou, s'avère inépuisable, peut-être monotone ou monochrome aux yeux de certains néophytes, est, en fait incommensurable Ainsi, on ne peut excuser à un poète ce qu'on peut défendre à un peintre, c'est-à-dire puiser à sati été dans un thème de prédilection, cette femme à laquelle l'artiste dédie sa palette, dira-t-on, pour la vie, inlassablement, avec un amour platonique autant que pléthorique. *Aimeriez-vous, comme le font déjà des proches, qu'on vous appelle Maître Sebti ? Ils ne sont pas loin de la réalité, puisque la fin de mes études a été couronnée par l'obtention du diplôme de Maîtrise de l'Académie Royale des Beaux- Arts de Bruxelles. Cette maîtrise se retrouve dans mes œuvres et non dans un titre que l'on m'attribue. *Votre exposition, « Ode à la femme », inaugure ce nouvel espace d'art, « Rivages », affilié à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'Etranger (Av. Ibn Sina, Agdal, Rabat). Comment trouvez-vous le concept de cette galerie ? La création de cette galerie par la Fondation facilite le reflet culturel des créateurs marocains résidant à l'étranger, toute tendances confondues, ce qui vient très bien compléter la tâche de la Fondation qui, au départ, avait pour rôle de résoudre certains problèmes que pouvaient rencontrer nos compatriotes. Cet espace, bien aménagé, a tout d'une salle professionnelle et tiendra une place importante à Rabat, puisqu'il permettra aux autochtones de faire connaître les valeurs des artistes marocains d'ailleurs. *Encore une fois vous dédiez votre palette à la femme, un thème et une inspiration qui semblent, chez vous, inépuisables ! Je fais partager à travers mes créations mes sentiments et l'amour que j'ai portés à la femme depuis toujours. Je peux plastiquement changer la manière de le traiter, mais je suis encore loin d'avoir tout exprimé au sujet de ce corps de femme qui est le fil conducteur de mes œuvres. Ce que je cherche, ce n'est pas le réel ni l'irréel, mais le beau. *A propos de votre œuvre, M. Omar Azziman, président de la Fondation, évoque un mélange de pudeur et d'audace. Faut-il encore de l'audace pour représenter le corps féminin dans le Maroc d'aujourd'hui ? Absolument, la représentation du corps reste encore fort tabou et les interprétations sont très diverses. Nous ne pouvons pas parler d'un réel progrès dans cet univers, la femme, sous le dictat de l'homme, n'étant toujours pas maître de son corps et de sa beauté. *Vous êtes, d'ailleurs, l'un des rares artistes peintres marocains à travailler à partir de modèles vivants, une sorte de peinture « live ». Est-ce, là aussi, un choix tabou chez nous ? Oui, bien sûr ! C'est un choix tabou et difficile dans notre société. Le modèle me sert de plateforme pour la réalisation de mes inspirations et non comme copie du modèle lui-même. Cela va de soi... *On remarque votre insistance à reproduire, dans les publications qui vous sont consacrées, d'infimes détails de vos toiles plutôt que leur intégralité Pourquoi cette attitude peu commune chez vos compères ? Pour l'édition, j'insiste à reproduire des détails de mes œuvres afin d'éviter les risques de copies de celles-ci par des faussaires qui pullulent dans notre univers. *Vous faites vous-mêmes partie de la fameuse école de Tétouan. Cette institution ne semble plus avoir son aura d'antan. Comment l'expliquez-vous ? Je fais effectivement partie des lauréats les plus connus de cette illustre école. Je suis d'accord avec ce constat ; cet établissement a perdu énormément de son poids. Les maîtres qui l'ont auréolé ont disparu et nous assistons, d'après ce qui circule dans le milieu de l'art, à une baisse de niveau certaine. Je ne sais pas si c'est dû au programme ou aux enseignants.. *A propos du marché de l'art au Maroc, on parle tantôt de crise, ou d'anarchie, d'invasion du faux, de fausses expertises... Quelle est votre vision des choses ? Cette fièvre artificielle qui a régné sur le marché de l'art ces dernières années ne pouvait pas perdurer. On a préfabriqué des noms pour gonfler des prix artificiellement en méconnaissant la réelle valeur artistique de ces noms. Cet effondrement était logique et je m'y attendais. La priorité a été donnée à la spéculation financière, au gain facile, parfois indécent, plutôt qu'à la qualité des artistes et de leurs œuvres. Cette atmosphère a fait jaillir des faussaires aidés par quelques galeristes et marchands qui les ont utilisés pour le gain facile et rapide, mais pas pour leur valeur artistique. S'il y a des faussaires, il y a bien entendu également des fausses expertises. N'oublions pas que certains noms comme Cherkaoui, Chaïbia, Gharbaoui et Saladi sont très faciles à reproduire. Je rappelle qu'en Occident, du temps de l'impressionnisme par exemple, il y a aussi eu des faussaires mais l'histoire de l'art occidentale était tellement riche et difficile à reproduire de par la maîtrise de leur plasticité que cette tendance a vite disparu. Je profite enfin de l'occasion pour pousser un « coup de gueule » vis-à-vis de tout amateurs d'art pour leur dire de se rendre directement chez les créateurs, dans leurs ateliers, pour avoir un contact direct avec eux et être certains de l'authenticité de leurs œuvres.