Le Maroc représente pour Da'ech ce que cette entité terroriste représente elle-même pour les pays du Moyen Orient et d'Europe ; une menace ! Pas au même titre que l'aviation militaire russe, l'artillerie syrienne ou les miliciens du Hezbollah, bien sûr. La menace marocaine est moins directe, moins visible, mais elle n'en est pas moins d'ordre existentiel pour Baghdadi & Co. Car elle touche aux deux points forts de l'entité terroriste : la religion et le réseautage transfrontalier. Et contrairement aux ennemis naturels de Da'ech susmentionnés, les Marocains ne comptent pas parmi les alliés de Bachar, ni les amis de l'Iran. Quant à l'importante présence de ressortissants marocains dans les rangs de l'armée du faux calife, qui porte toutefois une vraie montre Rolex, c'est, en fin de compte, une lame à double tranchant, dont les dirigeants de Da'ech ne semblent voir qu'un seul côté. Un think-tank britannique, le « Royal United Services Institute for Defence and Security Studies », a récemment publié un rapport de 53 pages consacrés à Da'ech et aux politiques adoptées pour le contrer, où il est question d'un effet de confinement des gouvernements islamistes, dans tous les pays arabes où ils ont été ou sont encore au pouvoir, qui aurait entraîné déception et radicalisation au sein de leurs bases militantes, générant le flux d'adhésion à l'entité terroriste constaté. Les deux auteurs du rapport, Jonathan Eyal et Elizabeth Quintana, deux directeurs de recherche au sein dudit think-tank, semblent toutefois omettre le facteur socioéconomique dans leur approche, pour porter toute leur attention sur la partie politique visible de l'iceberg. En dehors du fait que supposer l'existence d' « Etats profonds » dans les pays arabes, où des partis islamistes ont été ou sont encore en tête du pouvoir exécutif, relève de la théorie du complot, puisque rien ne le prouve (argument que la presse occidentale ne manque jamais de braquer contre tous ceux qui osent exprimer des avis divergents aux discours estampillés médias mainstream), un aspect décisif des politiques mises en œuvre par tous les pouvoirs exécutifs d'obédience islamiste ne peut être passé sous silence. Tous les gouvernements islamistes, sans exception, se sont révélés plus ultralibéraux que les partis classiques les plus à droite de la scène politique arabe. Quand notre Benkirane local se plaint de « crocodiles » et autres « esprits malveillants » qui l'empêchent d'accomplir sa mission, comme promis à ses partisans et électeurs, il n'avoue jamais que c'est parce qu'il leur a cédé, bien avant même de prendre la tête du gouvernement, raison pour laquelle il s'est d'ailleurs attelé avec autant de vigueur à démanteler subventions à caractère sociale et scier les acquis des travailleurs. Jihadisme et mercenariat Jusqu'à quel point les politiques de libéralisation tous azimuts des prix, de rétrécissement des investissements publics, d'absence de lutte effective contre le chômage endémique, ont-elles ou pas influé sur les candidats à un jihadisme rémunérateur, qui tient beaucoup du mercenariat ? Da'ech n'est pas pauvre, du fait du pillage, rançonnage et trafics de pétrole et autres antiquités. Il paye assez correctement ses combattants et très bien les cadres techniques qui font fonctionner les infrastructures pétrolières et urbaines dans les zones qu'il contrôle. Pourquoi les Syriens se sont-ils révoltés contre le régime en place ? N'est-ce pas, en partie, la conséquence d'un épuisement des réserves de pétrole de ce pays, entraînant une réduction du financement public du filet de protection sociale, confrontant brutalement de larges portions de la population syrienne, longtemps habituée à la confortable protection d'un régime de tendance socialisante, à la dure réalité du libéralisme ? Les Sunnites irakiens n'ont-ils pas pris les armes avec Da'ech en raison de leur marginalisation dans la distribution de la manne pétrolière par l'ancien gouvernement du chiite Maliki ? Le cas libyen reste en dehors de la norme, puisque l'intervention directe et massive de l'aviation de l'OTAN contre les troupes de Kadhafi fausse tout raisonnement sur la maturité, effective ou pas, des causes objectives endogènes ayant entraîné le changement de régime et l'apparition de Da'ech de manière aussi dramatique dans ce pays maghrébin. L'entité terroriste da'echienne est une réalité socioéconomique qui semble occultée par la cruauté d'une idéologie religieuse qui en a façonné l'image. Elle est également le reflet d'une lutte géopolitique gazière régionale, qui essaye de faire coller tracés de pipelines et territoires religieusement et ethniquement homogénéisés et confiés à dirigeants assujettis. Il est intéressant de relever, au passage, que les daéchiens sont devenus littéralement fous furieux et ont commencé à multiplier les attentats dès que leurs stocks et convois de pétrole, volé en Syrie et écoulé à l'étranger par l'intermédiaire de sombres et puissants trafiquants, sont devenus la cible des bombardements russes et américains. Ne touche pas à mon business... L'exception marocaine Les gouvernements de tendance islamiste, qui étaient ou sont encore au pouvoir dans les pays arabes, ont surtout offert les conditions socioéconomiques favorables pour les recruteurs de Da'ech et Al Qaïda. Des conditions socioéconomiques de plus en plus pénibles, générées par un libéralisme débridé, qui sont également le lot, depuis quelques années déjà, des couches sociales les plus défavorisées des pays occidentaux. Sauf que ce sont là des vérités désacralisantes, qui collent bien peu avec la volonté de transformer en prophétie auto-réalisatrice la fumeuse théorie du choc des civilisations. Le Maroc dérange Da'ech à plus d'un titre. Non seulement sa population n'a jamais été placée sous léthargie par une quelconque rente, dont elle viendrait à être privée, provoquant ainsi sa révolte, si ce n'est le maigre filet social de subvention des prix des produits de première nécessité, que les islamistes légaux se sont empressés de déliter, mais encore, son développement, aussi lent soit-il, est réel, palpable, nourrissant l'espoir de la majorité en des lendemains meilleurs. Son arsenal juridique, dont la Chariaa est l'une des sources fondamentales, respecte parfaitement les valeurs sacrées et les convictions socioculturelles de ses citoyens. L'institution de la Commanderie des croyants fait du Royaume un Etat confessionnel, sans être une théocratie. Toutes les cordes sur lesquelles Da'ech a l'habitude de jouer son hymne sanglant lui échappent en ce qui concerne le Maroc. Et comme le Royaume prône, par ailleurs, un Islam fortement imprégné d'orthodoxie malékite et de tolérance soufie, autant sur ses propres terres que dans les contrées d'Afrique et d'Europe, il constitue la parfaite antithèse de Da'ech et donc son adversaire par excellence. La parfaite antithèse Quant à l'établissement de réseaux de renseignements « humains » à des fins de lutte anti-terroriste, point faible des pays occidentaux, obnubilés par la technologie, il s'agit d'une spécialité des services spéciaux marocains, selon un récent article paru de la presse belge. Ceci ne met pas le Maroc totalement et définitivement à l'abri d'attaques terroristes, mais tout est fait pour sanctuariser le pays. Da'ech, pour les Marocains, est à l'image de la candidate kamikaze récemment arrêtée à Fès. Une mère célibataire qui comptait expier ses pêchés en commettant beaucoup plus graves. Ou encore ce commerçant de la même ville, recruteur de Da'ech, mis, il y a quelques mois, sous les verrous pour vente de produits alimentaires périmés, avec des étiquettes falsifiées, qui finançait de la sorte l'envoi au Proche Orient de candidats au jihad. Problèmes socio-économiques et/ou socio-psychologiques des uns, malveillamment exploités par quelques autres, avec pour unique perspective une tyrannie ultralibérale sous couvert religieux, sachant que le mercenariat, les conquêtes territoriales et le pillage des ressources qui va avec ne sont pas faits pour durer, calculs géopolitiques et sectaires cruels de courte vue des marionnettistes qui tirent sur les ficelles, Da'ech est prompt à métastaser partout, sans aptitude à s'enraciner durablement nulle part. Sur ces gardes, le Maroc poursuit son bonhomme de chemin et, tel l'eau qui sait toujours se frayer un chemin, avance là où il y a un vide à remplir, grâce à la bonne réputation qu'il entretient sur la scène internationale. Il y a, d'ailleurs, une bien belle occasion qui vient de se présenter, celle d'un marché russe en quête de produits agricoles qui ne puent pas le Sukhoï 24 calciné et de touristes russes en quête de nouvelles destinations à explorer, depuis qu'ils ont été gentiment priés de s'éloigner des rives du Bosphore. La caravane passe, les da'echiens...