Ce fut pour nous, jeunes enfants d'une famille modeste, une nouvelle expérience, de recevoir parmi nous, une famille étrangère, venue de loin, s'installer au rez- de- chaussée de notre petite maison, sise au numéro 71 de la rue Boutouil, en médina de Salé. Il s'agissait du couple algérien Si Laareg Adda et sa femme Oummi Kheira, venus se réfugier dans notre pays, en novembre 1954, après avoir fui leur village quelque part en Algérie. La révolution du peuple frère contre le colonisateur français avait obligé des milliers d'Algériens à s'installer dans plusieurs villes du Maroc, afin d'éviter les persécutions de l'armée colonialiste, où ils ont été accueillis et soutenus sans conditions de la part de leurs hôtes. Je n'avais pas plus de neuf ans, quand mes parents m'envoyaient faire des courses au souk ou dans les boutiques du quartier. De retour, et sur instructions de mon défunt père, ma défunte mère me confiait un petit tagine à remettre à nos nouveaux voisins. Croyant être obligés de payer un loyer pour la chambre qu'ils occupaient, et que mon père refusait avec fermeté de l'accepter, nos amis du pays de l'est se sont vite familiarisés avec l'ambiance qui sévissait dans tout le pays, à la veille du retour triomphal de la famille royale de son exil. Les manifestations populaires se répétaient partout, du nord au sud et d'est en ouest, et les réfugiés algériens y participaient avec ardeur et enthousiasme. Nos instituteurs de langue française de l'époque étaient presque en totalité de nationalité française, alors qu'ils étaient de souche algérienne (Abrousse, Ben Ziane, Smahi, Latrach ...entre autres). Et à Salé, la famille Maammeri était connue par sa haute culture et sa dignité, en plus de son attachement au trône alaouite, vu que le chef de cette noble famille occupait un important poste au palais royal . Même notre directeur des colonies de vacances de Sefrou, en 1956, était algérien. Son épouse Madame Smahi nous apprenait à tisser des tapis pendant nos moments libres. Si Mostafa Latrach, notre professeur de mathématiques au cours complémentaire ouvert à l'école des fils de notables-Ecole des Remparts- qui avait rejoint son pays après l'indépendance, était venu à Rabat, rendre visite à son fils resté au Maroc. Par coïncidence, l'association des anciens élèves de cette école, apprit la nouvelle et lui rendit un vibrant hommage avant son retour dans son pays. En 1962, quand j'ai intégré le ministère de l'éducation nationale, en tant qu'instituteur de langue française, les responsables avaient fait appel aux agents bilingues, d'occuper des postes administratifs au siège des délégations régionales. J'ai été choisi par le conseiller français pour travailler à la délégation de Rabat-Salé sous la direction du professeur Si Djilali Fasla, un grand et illustre pédagogue qui nous avait appris beaucoup de choses dans ce noble métier avant de nous quitter à son tour pour occuper un important poste dans le domaine de l'enseignement dans son pays. En octobre 1973, ayant passé le concours d'entrée à l'Ecole Nationale d'Administration de Rabat, les cinq meilleurs étudiants de la deuxième année, étaient choisis pour participer à un cycle commun des E.N.A. du Maghreb en Tunisie. Les professeurs des trois établissements analogues dans les trois pays maghrébins venaient, tour à tour, professer des cours aux étudiants algériens, marocains et tunisiens, auxquels se joignaient quelques autres étudiants venus des pays francophones d'Afrique. A titre d'anecdote un ivoirien appelé Lawson nous jurait que dès son retour il deviendrait ministre ! Sa prophétie se réalisa. Pour revenir à nos amis algériens, parmi ses lauréats figurait une personne qui allait occuper des postes importants dans l'administration de son pays. Aujourd'hui, il est chef du gouvernement algérien...vous l'avez reconnu sûrement : il s'appelle Abdelmalek Sellal ! Après quatre décennies, entre 1973 et 2O15, se souvient-il des moments agréables qu'on a passé ensemble à Tunis, au quartier Belvédère tout près du Musée Bardo, ou bien à Bizerte ou à Sousse et à Kairouan ou Sidi Boussaid et au parc zoologique de la capitale tunisienne ...Que de souvenirs !