L'attention de millions d'Africains reste focalisée sur le procès en cours contre l'ancien président du Tchad, Hissène Habré, même si l'acte en justice en question est reporté au 7 septembre prochain. Aujourd'hui âgé de 72 ans, Habré est en détention depuis deux ans au Sénégal, où il avait trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno. La répression sous son régime, de 1982 à 1990, a fait 40.000 morts, à en croire les estimations de la commission d'enquête tchadienne diligentée à cet effet. Présenté devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé par l'Union africaine en vertu d'un accord avec le Sénégal, le président déchu du Tchad fait face aujourd'hui à ses victimes. Qui aurait pensé qu'un tel jour arrivera sur le continent où un ancien chef d'Etat serait appelé à répondre de ses actes une fois qu'il a quitté le pouvoir ? Ce procès, qui n'est autre que rendre justice aux milliers de victimes d'un régime totalitaire et brutal, est une première dans les annales de l'histoire politique africaine post colonial. Il est aussi le résultat de la détermination et de la patience d'un collectif d'hommes et de femmes pour qui les crimes d'Hissène Habré ne devraient pas rester impunis. Quand on sait que plus de 4.000 victimes directes ou indirectes se sont constituées parties civiles et 100 témoins devront être entendus par le tribunal spécial, il y a de quoi comprendre toute la portée de ce procès historique. Mais le bourreau d'hier du Tchad ne l'entend pas de cette oreille. Un déni de justice et un mépris pour les victimes. Déjà il a été amené de force au box des accusés pendant que ses avocats claironnent et parlent de parodie de justice sans égards ni considération pour tous ceux qui ont perdu des proches sous son régime sanguinaire, encore moins ces milliers de Tchadiens qui ont été emprisonnés pour un oui ou un non. Ces victimes qui se sont battues pendant 25 ans pour arracher ce procès, ont, sans aucun doute, envie de regarder enfin Hissène Habré les yeux dans les yeux, de demander pourquoi ils ont souffert et pourquoi leurs proches ont été abattus comme du bétail ? Hissène Habré devra demander pardon à ses victimes. Un espoir qui est mince car cet homme, dans l'aveuglement et l'enfermement, se dit être détenteur de la vérité, au service d'un idéal, qui l'a conduit à ces massacres et ces emprisonnements. Mais d'ores et déjà, ce procès inédit est une victoire pour le droit et la démocratie sur le continent. Il permet à l'Afrique, où la Cour pénale internationale est fréquemment accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l'exemple donnant ainsi la preuve qu'elle est capable de juger ses propres enfants pour que d'autres ne le fassent pas à sa place. Enfin, ce procès montre que les dirigeants accusés de crimes graves ne devraient pas supposer qu'ils pourront indéfiniment échapper à la justice. Alors les chefs d'Etat autoproclamés, adeptes du tripatouillage de la Constitution, pourfendeurs des droits humains et responsables de crimes et de viols, doivent savoir que désormais après le pouvoir, il y a la justice. Celle-là même qu'ils ont bafouée en étant au sommet de la magistrature suprême.