Que de temps perdu ! Le ministère de l'éducation semble enfin mener une réflexion pour supprimer ce qui est devenu, de fait, une « aberration » dans notre système éducatif, par certains aspects discriminatoires qui portent atteinte aux principes d'équité, d'égalité de chances et de moralisation de la vie scolaire : le contrôle continu. Dans la mesure où les résultats des examens de baccalauréat pèsent pour une part essentielle sur le cursus des élèves, qu'ils déterminent largement leur orientation d'avenir à la sortie du lycée, et surtout qu'ils décident de la possibilité d'accéder aux institutions et aux filières les plus prestigieuses du supérieur, il est important de s'interroger sur la validité et la fiabilité de la sélection opérée, c'est-à-dire sur la manière dont ces évaluations si décisives sont conçues et pratiquées dans la réalité. Dans le système éducatif marocain, les élèves, au secondaire, subissent deux types d'évaluations: le contrôle continu, censé être une évaluation formative, donc appelant des interventions correctives et bien sûr l'examen normalisé du baccalauréat, qui est une évaluation à la fois certificative et synthétique. Si les évaluations certificatives, bien qu'elles soient discutables sur le plan pédagogique et didactique, surtout avec la récurrence des scandales de fuites et la persistante et l'ampleur de la triche, ne semblent pas poser de problèmes sur le plan de l'égalité des chances: le bac est le même pour tous les élèves et les corrections sont anonymes, les notes du contrôle continu soulèvent plusieurs interrogations d'ordre éthique, pédagogique et social. Ces notes qui comptent pour 25% diffèrent, d'une façon flagrante, entre l'enseignement public et les établissements privés. Les notes dans certains établissements du privé nous donnent l'impression que tous nos élèves sont des génies et, plus encore, dans toutes les matières. On se demande, d'ailleurs, puisque c'est une évaluation formative, si des corrections sont encore possibles. A quoi vont servir des cours de soutien pour des génies ? Des classes entières sont notées entre 17 et 20 sur 20, dans certains établissements. Imaginons qu'un élève ait obtenu une note de 7 sur 20 à l'examen régional du Bac. Avec un 19 au contrôle continu, il se retrouve avec 13 sur 20. Il lui suffirait donc d'obtenir un autre 7 sur 20 au bac pour décrocher son diplôme. Un bac obtenu avec un 7 sur 20, c'est aberrant, d'ailleurs on l'appelle dans certains établissements du supérieur « Le bac du contrôle continu ». D'où la question pressante: comment expliquer cette différence de performance entre les examens normalisés et le contrôle continu ? Comme cela est rarissime dans l'enseignement public, à moins là aussi que certains enseignants ne monnayent cette note par des cours particuliers, on se trouve, de facto, confronté à une problématique d'égalité des chances entre enseignements privé et public, ce qui pousse de nombreux observateurs du champ pédagogique à étriller sévèrement ce système à deux vitesses en manque de «cohérence» et qui aggrave les inégalités. Cette situation pédagogique plus que préoccupante. Des parents souffrent à l'idée de ne pas avoir les moyens d'inscrire leurs enfants dans des établissements privés pour bénéficier de notes de contrôle continu « favorables », gage d'une meilleure chance de réussite et de ne pas disposer d'assez de moyens pour payer ces cours supplémentaires, très critiqués par le ministère mais...pour garantir des largesses de notes du contrôle continu de certains enseignants en manque de déontologie. Il est certain que certains élèves méritent ces notes vu leur niveau de compétence et de performance mais il est difficile de nous faire avaler le fait que tous les élèves sont des génies, et dans toutes les matières. Ces premières informations que nous avons recueillies auprès de responsables et de parents d'élèves, montrent l'urgence d'une plus grande transparence et surtout une crédibilité et une fiabilité des notes de contrôle continu, afin de redonner confiance aux parents dans le système éducatif et remédier à cet état d'inégalités de fait. Le ministre a mis du temps pour soulever cette problématique préoccupante. Les grandes écoles commencent à se limiter à la prise en compte exclusif des résultats du bac normalisé, ignorant complètement le contrôle continu. Et pourtant personne n'a eu le courage de prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette injustice. Le fait de reconnaitre et de poser le problème est déjà un pas vers une plus grande transparence qui permettrait de donner à chacun le droit, au même titre que tout autre, de pouvoir prétendre à des parcours de réussite et des formations valorisantes. On ne peut accepter qu'un élève de milieu social modeste soit empêché de développer au mieux ses capacités, d'aller au bout de ses dons, de son courage, de son travail et ne puisse réussir aussi bien qu'un autre issu d'un milieu bénéficiant de certaines largesses dans l'obtention des notes. Cela s'appelle l'égalité des chances, un principe au cœur même de tout système éducatif. Supprimer carrément cette note, monnayée par divers subterfuges, est une nécessité pour donner un peu de crédit à un système éducatif qui en manque énormément en ces temps.