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Mohamed Sassi : «Adopter un baccalauréat professionnel et revoir l'identité des branches littéraires»
Publié dans Albayane le 27 - 03 - 2012

Dans cet entretien avec notre journal, Mohamed Sassi, directeur du Centre national de l'évaluation et des examens, nous livre ses commentaires sur les chiffres du baccalauréat 2010, mettant l'accent sur les nouveautés ayant accompagné les préparations. Selon lui, il y a nécessité d'améliorer le système actuel du bac en adoptant un baccalauréat professionnel et revoir l'identité des branches littéraires. Al Bayane : Les statistiques relatives aux candidatures au Baccalauréat (Session de juin 2010), font état d'une hausse de 6,32 %. Mais l'élément frappant est le ralentissement de l'accroissement de l'effectif de jeunes filles (1,68 %) contre une hausse significative chez les garçons (10,85 %). Comment expliquez-vous cela ?
Mohamed Sassi : A vrai dire, on enregistre une grande évolution des candidatures des jeunes filles depuis l'année 2003. Cette année, il n'ya pas de recul, mais plutôt une stagnation chez les jeunes filles par rapport à l'année dernière. Le pourcentage de hausse est resté faible et l'évolution a plutôt bénéficié aux garçons, ce qui impacte la part des jeunes filles par rapport à l'effectif global. C'est un phénomène qui va à l'encontre de la tendance observée durant la période 2003- 2009.
Il faut dire qu'il s'agit d'un taux global qui comprend aussi bien les candidats libres que les candidats scolarisés.
Nous allons analyser ce phénomène pour voir s'il touche les candidats scolarisés ou les candidats libres, sachant que nous n'ayons aucune emprise sur les candidats libres. On va plutôt essayer d'en déceler les causes chez les candidats scolarisés.
Il faut aussi souligner que ces chiffres ne sont pas définitifs puisqu'ils concernent les candidatures seulement. Ce qui est définitif, c'est le nombre de candidats présents à l'examen.
Quel est alors le taux d'absence aux examens du baccalauréat?
Le taux global d'absence aux examens est surtout enregistré chez les candidats libres. Il peut atteindre jusqu'à 75 %. Il y a donc des cas où le quart seulement des candidats se présente à l'examen. Le nombre de candidatures est gonflé de manière artificielle chez les candidats libres. Cela engendre une déperdition des ressources allouées à la préparation des conditions de déroulement des examens pour l'ensemble des candidats, parce que dès qu'un candidat présente son dossier, on commence à prendre toutes les mesures pour lui assurer la passation des épreuves dans des conditions normales.
On se retrouve parfois avec un seul candidat libre présent dans une salle d'examen sur les vingt candidats prévus.
Chez les candidats scolarisés, le taux d'absence est très mince et observé plutôt dans la session normale.
Pourquoi ?
M. Sassi: Certains candidats scolarisés qui sont mal préparés aux examens, préfèrent s'absenter à la session normale, pour profiter du mois de décalage entre les deux sessions afin de mieux préparer la session de rattrapage. Leur participation à la session normale pourrait leur faire encourir le risque d'élimination des examens.
Question : Les statistiques révèlent aussi un recul des candidatures du pôle littéraire, notamment pour ce qui des sciences humaines. A quoi, peut- on imputer cela ? Ce résultat ne vous inquiète pas ?
Réponse : Les familles d'élèves sont conscientes de la faiblesse des perspectives et les aboutissements offertes par les études dans des branches littéraires. Il faut aussi dire que les élèves orientés vers les branches littéraires ne le font pas parce qu'ils en ont le profil. Mais ils ont été orientés parce qu'ils ont un amalgame de profil. Ils sont généralement des élèves très moyens qui ne veulent pas prendre le risque de s'orienter vers les sciences.
C'est donc un choix lié aux candidats, mais aussi c'est un choix lié aux orientations de la politique d'enseignement, car la Charte nationale éducation formation a retenu comme objectif à la fin de la décennie, d'orienter deux tiers d'élèves vers les branches scientifiques et un tiers vers les branches littéraires. Aujourd'hui, nous sommes encore loin de cet objectif.
Cela veut-il dire que les élèves orientés vers les branches littéraires, l'ont fait contre leur gré ?
Réponse : Ils n'ont pas le choix. Nous devons nous interroger sur le baccalauréat lui-même. Est-ce qu'on va continuer à fonctionner avec un baccalauréat type enseignement général qui offre à l'élève quatre choix d'orientation seulement (Lettres, sciences, techniques, économie)
N' ya t il pas d'autres choix ? Moi, je dis qu'il y a d'autres choix avec l'adoption d'un baccalauréat professionnel comme il est le cas dans certains pays. Car, il y a des élèves qui n'ont le profil ni de faire des lettres, sciences ou techniques, mais ils ont le profil de maitriser une profession.
L'intérêt de ce baccalauréat professionnel est qu'il va permettre d'absorber les profils qui ne peuvent pas poursuivre leurs études dans les lettres ou sciences, pour leur permettre d'apprendre l'exercice d'une profession.
Il faut, à mon avis, ouvrir beaucoup d'issues devant les élèves qui ne peuvent pas poursuivre leurs études dans les branches existantes. Il ne faut pas que le baccalauréat soit figé de sorte qu'il impose aux élèves des branches qui ne concordent pas avec leur profil. Maintenant, ils sont obligés de choisir une branche donnée par ce qu'ils n'ont pas le choix.
Les branches littéraires sont ouvertes pour les élèves qui ne peuvent pas faire autrement, comment résoudre cette situation ?
La solution consiste à revoir l'identité des branches littéraires pour que, lorsqu'un élève s'oriente vers ces branches, il devra avoir le profil nécessaire pour poursuivre les études littéraires et avoir la possibilité de réussir au baccalauréat et donc poursuivre les études supérieures.
Il faut dire qu'avec la nouvelle ingénierie pédagogique, on a essayé de créer une nouvelle ventilation au sein du pôle littéraire en créant une branche des lettres avec dominance langues et une branche des lettres avec dominance des sciences humaines (Histoire géographie, philosophie et sociologie), mais il a été observé que le taux le plus élevé d'échec est enregistré en sciences humaines.
L'enseignement privé continue d'enregistrer une évolution importante en matière de candidatures à l'examen du bac qui s'élève à 15,43 %. Comment expliquer cela ? Avez-vous un objectif à atteindre à ce niveau?
Il faut d'abord souligner que l'enseignement privé est une partie intégrante du système national de formation éducation. La charte nationale considère que cet enseignement est un acteur essentiel pour répondre aux enjeux de la réforme du système, notamment pour ce qui est de la généralisation de la scolarisation et l'amélioration de la qualité de l'enseignement.
Ces dernières années, nous avons enregistré l'émergence d'établissements d'enseignement privé qui offrent des services de qualité et absorbent des élèves appartenant à des familles à pouvoir d'achat élevé.
Le nombre de candidatures provenant du secteur privé enregistre donc une hausse continue, mais l'effectif reste toutefois modeste par rapport à l'effectif global.
Il faut aussi souligner que le taux de réussite est très élevé dans l'enseignement privé. Ce sont là des indicateurs positifs.
L'enseignement privé est un partenaire essentiel pour atteindre les objectifs de réforme, mais sa part reste très modeste pour ce qui est du collégial et secondaire.
Il n y a pas d'objectif précis à ce niveau, la possibilité est ouverte au secteur privé pour investir dans la création d'établissements de qualité pour préparer des candidats au baccalauréat.
Quelles sont vos prévisions relatives à la réussite au baccalauréat ? Peut-on s'attendre à une amélioration cette année ?
Depuis la mise en œuvre du système actuel d'examen, on ne cesse de constater que les taux d'admission au bac connaissent une certaine stagnation qui devient inquiétante, malgré les efforts déployés par le ministère pour améliorer les conditions d'enseignement et d'apprentissage et pour agir sur les variables qui déterminent le rendement du système de l'éducation formation. Le taux d'admission oscille entre 45 et 47 %.
Il faut rappeler que le système actuel des examens prévoit des mécanismes qui permettent essentiellement une vérification assez précise des apprentissages avant la certification. Avant ce système, le baccalauréat était complètement régional.
Comment expliquer cette stagnation ?
Cette stagnation peut être expliquée par des données liées aux nouveautés introduites par le système dont une prise de conscience insuffisante par les élèves de l'importance de l'examen régional qui se déroule au terme de la première année du baccalauréat et intervient à hauteur de 25 % dans les résultats définitifs du baccalauréat. Les résultats de l'examen régional restent non satisfaisants.
Les interventions programmées dans le cadre de la réforme n'ont pas accordé suffisamment de temps pour permettre une stabilité du système des examens et donc, garantir une amélioration de son rendement.
Et pour éviter toute interprétation simplifiée, il faut aussi évoquer le rendement du système d'examen et qui est lié à l'efficacité de l'opération d'enseignement elle même.
Le Programme d'urgence prévoit de nombreux projets visant l'amélioration du système d'examen. Une étude diagnostique sera lancée dans la perspective d'élaboration d'un nouveau système qui ne sera pas un système d'examen mais un système d'évaluation des apprentissages. Cette évaluation ne comporte pas seulement la fonction examen sanction, mais aussi une fonction diagnostique et une fonction formation. Ces fonctions doivent se croiser pour accroître les chances de succès au stade final de certification.
Quand cette étude sera-t-elle lancée ?
Elle sera lancée dès la rentrée prochaine. Nous avons établi les termes de référence de l'étude et nous sommes dans le stade de validation. Le bureau d'étude qui va nous accompagner, sera sélectionné.
L'étude devra nous permettre d'élaborer ce nouveau système d'évaluation des apprentissages à l'horizon 2012, soit après la fin du Programme d'urgence. Il doit prendre en compte tous les aspects visant l'amélioration des apprentissages dont l'examen final et doit garantit une articulation entre toutes les fonctions d'évaluation : fonction diagnostic, fonction formative et fonction sommative. Ce système doit aussi être global.
Qu'entendez-vous par le qualificatif global ?
Le système d'examen est un système qui couvre la fin des cycles d'enseignement seulement. Le responsable d'examen dispose d'informations sur la performance des élèves qui concernent la fin de cycles seulement, alors que les informations relatives à leur performance pendant les étapes transitoires, restent aux soins des classes et des enseignants.
Nous ne disposons pas d'indicateurs au niveau de l'établissement, de la région ou de la délégation, qui nous permettent d'initier des interventions de corrections pour améliorer les apprentissages pendant les phases transitoires et avant les phases certificatives.
Dans le cycle primaire par exemple, l'élève ne passe l'examen qu'au terme de sa sixième année d'étude.
Donc, il faut prévoir des périodes pour la vérification des apprentissages chez les élèves, avant l'arrivée des périodes certificatives.
Quelles sont les nouveautés apportées par le Programme d'urgence en matière d'examens et évaluation ?
Le Programme d'urgence prévoit une série de projets dont celui relatif à l'amélioration du système de l'évaluation et des examens certificatifs, aussi bien l'évaluation sommative que l'évaluation à sanctions.
L'objectif du Programme d'urgence est de doter le système éducation formation d'un système global d'évaluation des apprentissages qui prend en compte deux objectifs essentiels : Faire de l'évaluation un mécanisme d'amélioration de l'apprentissage scolaire. L'évaluation ne doit pas venir à la fin pour prononcer des sanctions, mais doit devenir un mécanisme d'accompagnement pour le diagnostic des lacunes et des difficultés d'apprentissage au moment opportun. L'évaluation doit être, aussi, un mécanisme pour la remédiation aux lacunes.
L'examen viendra ensuite pour sanctionner et prononcer des décisions définitives. Le diagnostic doit porter sur tous les variables ayant un grand impact sur l'opération d'apprentissage.
Parmi les nouveautés de cette année, il y a lieu de souligner aussi l'encadrement de la préparation des candidats à l'examen régional à travers l'institutionnalisation de l'examen blanc, l'encadrement de l'organisation de cet examen, en plus de l'actualisation et édition des cadres de références relatifs à la conception et élaboration des épreuves d'examens certificatifs.
Est-ce que l'envoi par ligne sécurisée est possible pour vous aujourd'hui ?
Bien sûr, c'est possible. Il faut avoir un réseau de distribution sécurisé.
Le Programme d'urgence prévoit un projet structurant qui concerne la rationalisation de la gestion des examens et d'opérations qui sont très lourdes. Cette année, nous devons mobiliser 2 millions 660 milliers de copies d'examen. Vous imaginez la masse énorme de travail et de moyens logistiques que cela nécessite pour fournir, transporter, corriger, saisir les notes et vérifier l'opération de correction de ces copies.
Si on n'introduit pas les nouvelles technologies, l'organisation et gestion des examens par les moyens traditionnels vont devenir à un moment donné, presque impossible.
La dématérialisation du processus de préparation et de gestion des examens sera envisageable pour quand alors ?
On a prévu, cette année, d'amorcer une opération pilote avec l'Académie de Casablanca relative aux transferts en ligne des copies des examens. Mais on l'a reporté pour l'année prochaine faute de réception du matériel nécessaire.
Nous allons donc procéder à une opération pilote et au terme du Programme d'urgence, le système sera mis en place.
Nous pensons maintenant aux autres opérations liées à la gestion des examens, comme la correction sur écran, saisie des notes, vérification…
Ces pratiques ne relèvent pas de la science –fiction, elles sont en vigueur en Angleterre, France et dans d'autres pays…
Qu'en est- il de la lutte contre la fraude ? Le phénomène est-il préoccupant ?
Pour le responsable de la gestion du dossier des examens, la fraude est un phénomène qu'il faut gérer parmi les composantes du processus de l'examen. Il faut traiter ce problème, sans en faire une question centrale.
La fraude est un phénomène inhérent à tout système d'examen quel que soit son contexte. Il ne nous inquiète pas, le nombre de cas enregistrés l'année dernière s'élève à 1300 cas qu'il faut comparer au nombre de candidats estimés à 315 milliers.
Le phénomène n'est pas inquiétant, mais ne doit pas avoir lieu. Par ce qu'il relève de la responsabilité de la structure en charge de la gestion des examens, d'assurer l'égalité des chances pour tous les candidats et garantir la crédibilité des résultats des examens.
Toutes les mesures que nous prenons alors, vont dans le sens de réduire l'impact de la pratique éventuelle de la fraude sur les résultats de l'examen. Ce qui est sûr, est que la fraude n'a aucun impact sur les résultats, ce qui signifie qu'elle n'est pas une pratique utile.
Nous préférons traiter ce phénomène dans sa dimension naturelle, selon une approche éducative portant sur la sensibilisation des élèves en leur disant qu'au lieu de penser à la fraude, qu'ils se penchent sur la préparation des examens qui ne sont plus un coup de chance. Les épreuves d'examen ont connu une transformation qualitative qu'on ne peut traiter en apprenant par cœur.
Outre la sensibilisation, nous procédons à la mise en œuvre de mesures disciplinaires et répressives prévues pour faire sanctionner les fraudeurs qui portent atteinte au contrat censé lier tout élève à son établissement et à ses collègues.
Je dois dire aussi que la fraude n'est pas l'apanage de quelqu'un, elle est l'affaire de tous. C'est un indicateur de dysfonctionnement du système de valeurs. Le remède à ce dysfonctionnement est une affaire de toutes les parties concernées dont la famille.


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