« Le livre blanc sur le terrorisme au Maroc » est bien plus qu'un énième ouvrage sur le sujet. La démarche adoptée par les chercheurs du « Groupe de Recherche International des Études Trans-régionales et des Zones Emergentes » se distingue par sa rigueur scientifique. Ils ont planché sur toutes les affaires de terrorisme qui ont été jugées par le tribunal de Salé le long des 15 dernières années. Leurs conclusions ont été bâties sur les tendances observées sur le long terme. L'éclairage apporté au phénomène terroriste au Maroc est édifiant à plus d'un titre. D'abord, la croyance en un lien causal entre pauvreté et terrorisme est erronée. Les kamikazes des attentats du 16 mai 2003, pour la plupart des bidonvillois casablancais, constituent la partie minoritaire des effectifs terroristes marocains. Dans leur majorité, ils sont aisés, voire riches ! Ensuite, le passage du militantisme islamiste « soft » au radicalisme et à la violence terroriste est fréquemment constaté chez les terroristes. Au commencement fût la « Chabiba islamya », la mère de toutes les organisations islamistes terroristes marocaines, qui prônait déjà le takfirisme, dans les années 70. Son démantèlement a donné naissance au Mouvement des Moujahidines au Maroc, au Groupe islamique combattant marocain, à l'Option Islamique, qui ont elles aussi procréé d'autres organisations terroristes. Le fond idéologique étant commun à toutes les organisations islamistes, des plus « pacifiques » aux plus « jihadistes », les futurs candidats au terrorisme commencent d'abord par faire leurs classes au sein de mouvements islamistes « tolérants » et « tolérés », avant de verser dans l'application effective des idéaux par lesquels ils ont été endoctrinés. Que ça plaise ou pas, il devient évident que même s'il existe des entités islamistes différenciées dans leur mode d'action, du fait de leur proximité idéologique, les unes servent de tremplin vers les autres. Ça commence par la volonté de punir soi-même les comportements jugés déviants, pour finir par le sacrifice de soi dans le but de porter nuisance à d'autres. « Le livre blanc sur le terrorisme au Maroc » apporte un autre élément important pour nourrir la réflexion sur le phénomène. Du fait de l'efficacité des services de sécurité marocains, les jihadistes marocains optent pour des champs de bataille extérieurs, mais toujours dans l'objectif d'acquérir formation et expérience, qu'ils escomptent exploiter à leur retour au pays. Des anciens d'Afghanistan et de Bosnie ont stimulé des cellules terroristes dans le Royaume et encadré des jihadistes en herbe. Nombre de cellules terroristes démantelées projetaient, par ailleurs, de créer des maquis dans des zones montagneuses ou rurales. Les jihadistes partagent la population mondiale en deux, ceux qui sont avec eux et tous les autres, qu'ils considèrent comme des ennemis à combattre. Aussi bien par idéologie que par nécessité, ils ne croient en aucune frontière. Face au phénomène terroriste jihadiste, transnational par essence, les efforts anti-terroristes déployés par chaque pays de son côté ressemblent à des coups d'épée dans l'eau. Le Maroc l'a bien compris et coopère activement avec les services de lutte contre le terrorisme de pays alliés et amis. Il est même parvenu à prévenir des attentats terroristes dans d'autres pays, ses spécialistes du contre-terrorisme réussissant ainsi à se forger une réputation d'efficacité auprès de leurs homologues étrangers. Sauf que les considérations de politique étrangère des uns et des autres alliés du Maroc font qu'ils ferment les yeux sur certaines évidences, ou adoptent des solutions en demi-teinte, qui renforcent avec le temps les groupes terroristes, après les avoir temporairement affaiblis. On ajouterait à ce sujet, en dehors des faits énoncés dans l'ouvrage consacré au terrorisme au Maroc, que les Européens continuent à appliquer la politique de l'autruche, même avec le déferlement de migrants clandestins à bord de vieux rafiots sur leurs côtes méditerranéennes. Risible fût d'ailleurs la décision des pays de l'Union Européenne de combattre les passeurs en mer, alors que, de toute évidence, les groupes terroristes qui sévissent en Libye, où l'État a concrètement cessé d'exister, en ont fait sciemment une autoroute de la migration clandestine. Le mal ronge une large partie de la sous-région du Sahara et du Sahel, où les terroristes jihadistes trouvent refuge et se financent à travers les trafics de drogues et d'êtres humains. Aussi puissante que peut l'être l'armée française, comparativement à des groupes jihadistes, les chercheurs qui ont élaboré le livre blanc sur le terrorisme au Maroc en ont souligné autant les acquis que les limites. Si le Royaume a réussi à se montrer aussi performant en matière de lutte anti-terroriste, c'est d'abord grâce à son approche multiaxiale, joignant le sécuritaire au religieux et au socioéconomique. Comment d'ailleurs songer à sécuriser la sous-région du Sahara et du Sahel alors qu'on n'ose même pas désigner les camps de la honte de Lahmada, en Algérie, pour ce qu'ils sont, une prison à ciel ouvert pour des milliers de familles sahraouies séquestrées, mais également des repaires pour les terroristes qui les contrôlent, sous la protection de leurs parrains algériens. La présence de combattants polisariens au sein de groupes jihadistes, tels le MUJAO et AQMI, a été étayée par plusieurs experts étrangers de la sous-région. Les auteurs du « Livre blanc sur le terrorisme au Maroc» sont clairs dans leurs conclusions, tous les pays doivent assumer leur responsabilité dans la lutte contre le terrorisme jihadiste, qui ne se reconnaît, pour sa part, aucune frontière. Avec tous les effets démultiplicateurs sur le plan de la propagande que lui procure l'usage intensif du web et des réseaux sociaux.