103 ans – jour pour jour – le protectorat français s'instaurait au royaume du Maroc. Tu parles d'hospitalité légendaire des autochtones... ? Passionné d'histoire et autres biographies, Mohamed Benzakour – pédiatre de son état – ne s'en préoccupe pas autant pour jeune patients que pour ses hobbies documentalistiques... voire éditorialistiques. Et comment ne pas suivre les traces d'un père – Feu Hadj Driss, ex-président du Conseil Municipal qui trouvait le temps d'entretenir une bibliothèque personnelle qui répondait à toute sollicitation... ce qui concernait chose locale ou, plus encore, chose nationale... Il n'en fallait pas plus pour que Dr Mohammed se prenne à farfouiller dans les péripéties préalables à l'avènement d'un protectorat étranger au Maroc. Entre autres, les événements qui ont mouvementé sa propre cité... A remarquer que l'ouvrage présent fait partie de la collection « Hadj Driss Benzakour raconte Fès ». Pour s'expliquer le phénomène général du protectorat (dont celui du nôtre), Dr Benzakour remonte au 18ème siècle où la « révolution industrielle » induit la technologie qui devient un outil majeur de suprématie. Et de citer le cas d'un empire Otoman qui rata le train du progrès et donc de la puissance – pour laisser chemin libre aux puissances d'Europe avides de conquête de nouveaux territoires... Dans le détail, l'auteur conçoit trois périodes clés : conquête militaire à dégâts humains et matériels, phase d'exploitation industrielle et agricole, et phase d' « assimilation » : à savoir induire mentalité et valeurs morales à la population autochtone pour l'ancrer à celle de la métropole. Processus on ne peut plus clair et... efficace... mais qui n'induit pas forcément le religieux comme reconnu par l'écrivain De Foucauld : « On craint le conquérant bien plus qu'on ne hait le chrétien... » D'ailleurs, remarque notre concitoyen : Tel comportement tire probablement ses racines du long conflit opposant, siècles durant, catholiques d'Espagne aux Andalous... Au même registre des cas cocasses ont fleuri durant le protectorat. Ainsi de cet agent des services de renseignements qui réussit à se fondre dans la population locale tel un vrai citoyen marocain sous le nom de... Jaâfar El Wazani... étudiant à illustre Université Karayouine. Toute aussi malicieuse l'attitude de médecins français profitant de l'impact salvateur de leur métier pour agir sur le patriotisme de locaux invertis. Ce qui fit dire à un Maréchal Lyautey « un médecin valait un bataillon « ! Faut-il rappeler à cet égard que la France « mange » du Maroc depuis le 17ème siècle. Ainsi, ce dernier avait signé 11 capitulations dont la 1ère remonte à 1630... Dans le sillage, le territoire marocain est l'objet de convoitises... souvent au gré du système « Fifty-fifty » quand ce n'est pas la « Touiza » au tout-venant ! Dans cette soif de Maghreb, tous les pions sont de mise. Le correspondant du célébrissime « Times » - auteur du livre « Le Maroc disparu » (déjà enterré ?) jouait au conseiller du Sultan Moulay Abdelaziz... au point d'insister pour la légation de la ville de Tanger à la couronne britannique pas moins... D'ailleurs après la conquête de l'Algérie, le Maroc est courtisé par Espagne, grande Bretagne, Allemagne, Italie,... Tellement harcelé par tant de pressions, le Sultan Moulay Abdelaziz signa le document de ratification (M. Torris ayant refusé de le signer) synonyme de protectorat international (à prédominance franco-espagnole) prenant acte dès ce 7 avril 1906... mais qui n'augurait rien de bon. D'ailleurs le vizir chérifien d'alors – Abdelkrim Benslimane – confia au Consul français à Fès M. Henri Gaillarde sans ambages : « Le vieux Maroc est perdu, sans espoir. La conférence ne s'est occupée que de Tanger et des ports où résident des européens (jouissant de protection et divers services). Ce qualificatif du Dr Benzakour dévoile une époque mouvementée qui nuit en scène divers acteurs aux envies aussi brulesques que dramatiques... de 1907 à 1911. Echantillons : Le cas d'un Sultan de ... 14 ans proclamé par un chambellan. Mal préparé, le Sultan Moulay Abdelaziz en question troque la politique au festif jusqu'à ruiner le trésor public avant de céder le « pouvoir » au frère Moulay Hafid par la loi des armes. Effacé de la scène, le nom restera d'actualité... Echantillon : se faisant passer pour le frère ainé du Moulay Abdelaziz, un certain Jilali Zerhouni – plus connu à ce jour « Bouhmara » - harangue orientaux et rifains contre la présence colonialiste. Peine perdue – celui qui briguait la couronne sera arrêté puis exécuté après avoir été exhibé au grand public dans une cage sous les ordres du Sultan Moulay Hafid. Pendant ce temps, les Sahraouis tentent la résistance contre l'envahisseur français sous les ordres de cheikh Ma El Ainine. Las, ils doivent se replier vers le nord. De même en Chaouia où Casablanca est encerclée. Le tour de Fès adviendra mois de mai 1911 avec une armée française qui outrepassait l'acte d'Algésiras. Lecteur invétéré, l'ami Benzakour rechigne aux temps morts. Et va pour la chasse aux classiques, aux ténors. Et de nous pêcher ce morceau de sagesse de Paul Valery. « La guerre est un massacre de gens qui ne connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas ». Plus limpide que ça ? suicide ! Bref... Sur le terrain, Sultan Moulay Hafid est dans le pétrin face aux puissances étrangères qui posent conditions draconiennes pour garder son trône, les finances sont au plus bas d'où l'envoi d'un émissaire à Paris. El Mokri en l'occurrence, obtient un emprunt gagé sur produits de douane,... et le monopole du tabac et du... kif !! De tels arrangements s'avèrent finalement inopérant, voire stériles... Le coup d'envoi de ladite « Expédition de Fès » prit en fait naissance chez les tribus Beni Mtir, Mejat Zemmour et Guerouan (Sud de Meknès). Or, des cherardas apprenant que des cavaliers du Glaouis commirent viols sur des femmes locales prirent l'initiative immédiate d'entrer en dissidence. La rébellion gonfla peu à peu de diverses directions. Le palais du Sultan est désormais la cible des révoltés. S'en suivit Bordj Sud et Dar Dbibagh.Aït Youssi et Oulad Djamaa rejoignent les insurgés.De nature paisible, la population fassie se rebelle à son tour devant des conditions de vie de plus en plus précaires. Progressivement, Fès devient le point noir et le foyer d'insurections armées. « Le guêpier Marocain », dira Jaurès... Ledit « guêpier » va même émigrer pour faire la « Une » de presse française. « Sans nouvelles de Fès » se lamente « L'Echo de Paris » alors que « Le journal » parle de « guerre sainte ». Faut pas rêver, dirait l'autre... Le « traité de Fès » est une quasi photocopie de celui d'Algésiras de 1906 eu égard le doute entachant la validité juridique d'un document paraphé sous la contrainte... auréolé de la présence d'une vingtaine de hauts dignitaires de l'hexagone dont quatre collègues journalistes relevant de maisons huppées : Agence Havas, Le « Matin » et « Le Temps » de Paris ainsi que la consœur « La dépêche marocaine de Tanger ». La caravane emporte avec elle un tas de bagages et provisions de bouche pour les réceptions qui les attendent à la ville de Moulay Idriss. De leurs côté, les habitants du Mellah leur réservent un accueil hautement festif qui tourna incidemment au gag Lesorches très israélites jouèrent » « La Mère Michel » qu'ils confondirent avec... l'hymne national français. Quelques cérémonies plus tard – au fatidique 30 mars 1912 et ultimes négociations, le Sultan marocain appose son sceau sur le satané traité néanmoins fêté à satiété y compris une sortie du Sultan et cortège pour une chasse au faucon à Ras-El-Ma. Tu parles de faucons à Ras-El Ma de daba ?! Eminemmet avisé, docteur Benzakour cherche et trouve les sources fiables tel le récit de Dr Weisgerber dans son écrit « Au seul du Maroc moderne » où il traite du lendemain du « Traité », glacial fut l'accueil de la population fassie à l'Ambassadeur... « De Bab Dkaken à Boujloud, le vide ! En aval de la mosquée, un troupeau de prostituées, commandées de service par le pacha poussait des you-yous destinées à nous l'illusion d'une manifestation spontanée des femmes de Fès. De là à l'entrée du quartier Douh boutiquiers et clients habituels nous jettent des regards en dessous ou feignent de se désintéresser complétement... ». Il était clair que le rejet était unanime. Pour la population fassie – déduit notre auteur – le traité équivalait à un « Acte de vente du Sultan, commandeur des croyants « Ya Hassra ! » « Les journées sanglantes de Fès » prédies par Hubert Jacques (journaliste) n'étaient pas loin... Les Askris (soldats chérifient) allumèrent la mèche les premières. A la base l'insigne rémunération et autres brimades assénées par les instructeurs français. La révolte est on ne peut impitoyable les massacres n'épargnent ni officiers, ni instructeurs. L'émeute intra-caserne se répand à travers les quartiers de la ville.L'armée française riposte à partir des hauteurs de Dhar El Mahrez... Plusieurs mots sont à déplorer de part et d'autre y compris le Mellah, rapporte Hubert Jacques (Imprimeries réunies, Casablanca 1926) en ces journées d'avril 1912. Parmi les vivants, un heureux gradé alias un général Lyautey nommé Résident Général qui donnera, des années plutard, son nom à l'actuelle place de Florence au centre de la ville nouvelle de Fès. A peine installé, Lyautey se retrouve assiégé dans sa résidence et soumis aux tirs nourris des dissidents. Finalement l'attaque n'eut pas lieu à la faveur du repli des insurgés derrière Jbel Zalagh et Oued Sebou. Le rideau tombe finalement avec le départ du Sultan Moulay Hafid alors que Fès perd son statut de capitale. Ce qui n'empêche pas le général Becker de « réhabiliter » celle-ci : « Fez est l'âme du Maroc. Qui veut policier le Maroc doit d'abord policier fez ». Puisse la concordance 30 mars 1912 et 30 mars 2015 susciter une nouvelle ère d'attachement et de dévouement à « La ville où tout y est » telle cette généreuse contribution de D. Benzakour à la conscience de tout compatriote !