L'un des premiers pays européens "exportateurs de jihadistes" vers la Syrie, la Belgique prend chaque jour un peu plus conscience de l'ampleur du phénomène de radicalisation de ses jeunes. Sans céder aux sirènes du "tout répressif", les responsables, aussi bien fédéraux que des entités fédérées, le tissu associatif ou encore les plates-formes citoyennes semblent privilégier la voie de la prévention. Même s'il reste extrêmement difficile d'avancer un chiffre précis du nombre de jeunes belges partis combattre aux côtés de "l'Etat islamique", le Centre international des études de radicalisation et de violence politique (ICSR) estime qu'ils seraient aujourd'hui 440 à avoir quitté le territoire belge. Un chiffre qui signifie que la Belgique occupe la "première place du classement mondial" si l'on évalue le nombre de "jihadistes" par rapport à la population. Un constat qui fait froid au dos des responsables belges en raison de la menace que représentent les "revenants", dont certains seraient tentés de commettre des attentats dans le plat pays. C'est ainsi qu'après les attentats de Paris, en janvier dernier, et la vaste opération anti-terroriste menée, juste après, dans toute la Belgique, le premier réflexe était de rassurer la population en annonçant des initiatives "fortes" destinées à lutter à la fois contre le terrorisme et la radicalisation des jeunes. Une douzaine de mesures portant sur "l'extension des infractions terroristes et l'adaptation de la législation pour une sanction plus effective" ont été ainsi décidées par le fédéral, dont la plus spectaculaire reste la déchéance de la nationalité pour les ‘'jihadistes''. Toutefois, le durcissement des sanctions ne peut donner seul les résultats escomptés, estiment de nombreux observateurs, qui prônent l'éradication du mal de ses racines. A commencer par l'école. Les appels s'élèvent dans ce sens pour remplacer la totalité, ou une partie, des cours actuels de religion par des cours d'éducation à la citoyenneté. Même si la proposition ne fait pas l'unanimité, de crainte de la stigmatisation d'une frange de la société, certains y voient un moyen de rompre avec un certain "repli communautariste" à l'école en privilégiant des cours dans lesquels tous les élèves étudient les mêmes valeurs. Sur ce champ de l'éducation, la fédération Wallonie-Bruxelles est déjà passée des paroles aux actes. A partir de ce mois-ci, des formations de prévention du radicalisme ont été ainsi lancés en faveur des éducateurs et des acteurs sociaux. Il s'agit essentiellement de formations sur le processus de radicalisation et de prise en charge des jeunes qui reviennent de terrain de guerre. Une cellule dite de "prise en charge post-traumatique" sera dédiée à la déconstruction des discours radicaux portés par ces jeunes. Dans le cadre de ce processus de déradicalisation, les responsables belges cherchent aussi à s'imprégner des expériences internationales qui ont fait leurs preuves. Le ministre de l'Aide à la jeunesse à la Communauté française, Rachid Madrane, s'est à cet effet rendu au Danemark, afin d'y découvrir le fonctionnement d'un programme de déradicalisation axé sur l'accompagnement des jeunes qui rentrent de Syrie. L'intérêt du modèle élaboré par le Danemark, pays similaire à la Belgique en termes du nombre de la population et des départs vers la Syrie, est qu'il a réussi à mettre en place des méthodes interdisciplinaires qui font intervenir la police, les associations de terrain, les familles, les hôpitaux et les psychologues. "Si en 2013, 30 jeunes sont partis de la ville danoise d'Aarhus vers la Syrie, en 2014 on n'a dénombré qu'un seul départ. C'est que ça marche!", explique le responsable. Dans le même sens, des députés bruxellois viennent eux aussi d'entamer une tournée européenne pour s'inspirer de ce qui se fait de mieux en matière de lutte contre le radicalisme, notamment en France et en Angleterre. Avant même la fin de la tournée, des propositions ont été déjà formulées : Lancement d'un numéro vert national à disposition de toute personne qui s'inquiéterait de signes de radicalisation d'un membre de son entourage, la mise en place d'un mécanisme de détection des "signaux faibles" (changement de comportements par exemple) via la désignation de référents dans chaque administration ou encore l'élargissement de la compétence de la police et des bourgmestres. Dans un autre terreau de radicalisation, à savoir les établissements pénitentiaires, le processus s'est également mis en marche. Le ministre de la Justice, Koen Geens, vient en effet de finaliser un plan s'organisant autour de plusieurs axes majeurs. Ils concernent principalement le suivi des détenus susceptibles de choisir la voie de l'extrémisme ou ceux condamnés pour des faits liés au terrorisme, l'optimisation des contacts entre établissements pénitentiaires, Parquet fédéral et services de renseignements, la préparation des travailleurs des prisons à la détection de la radicalisation et l'augmentation des imams et conseillers islamiques dans les établissements pénitentiaires. En lien avec ce dernier point, lié aux imams, le gouvernement veut renforcer son action sur deux fronts : D'abord, imposer des restrictions à l'accès de certains imams en Belgique, en rendant "impossible la délivrance de permis de séjour à ceux prêchant le salafisme", et puis la formation de ces imams. Les responsables réfléchissent dans ce sens à nouer des partenariats avec certains pays musulmans qui ont une longue expérience dans le domaine. Et le Maroc émerge tout naturellement comme le pays musulman le plus en avance en matière de formation des prédicateurs et des imams.