Bien des sujets qui fâchent s'imposent à l'agenda du plus haut organe onusien de protection des droits de l'Homme, devenu à contrecœur une caisse de résonance aux crispations diplomatiques et politiques du moment. Crise ukrainienne aux relents de guerre froide, conflit fratricide en Syrie, poudrière libyenne, exactions interminables au Proche-Orient, liberté d'expression : il y a de quoi nourrir joutes et passe d'armes dans l'enceinte du Conseil des droits de l'Homme qui ouvre sa principale session lundi à Genève. "Tout ou presque devrait être un bon prétexte pour un affrontement comme les questions brulantes de l'Ukraine, de la Syrie, de l'islamophobie et de la lutte contre le terrorisme", a déclaré un diplomate suisse sous couvert d'anonymat. La politisation du temple des droits de l'Homme est à l'origine d'une polarisation qui exaspère par avance la majorité des pays du tiers monde, en particulier les plus pauvres. "Avec le retour en force des enjeux géopolitiques, le monde ne sera prêt à verser encore que peu de larmes sur les victimes des conflits qui déchirent l'Afrique par exemple", déplore le diplomate. De l'avis des observateurs, les véritables casse-têtes qui façonnent les démarches diplomatiques des grandes puissances se trouvent ailleurs et sont liés aux défis jugés imminents tels que la menace terroriste et le conflit ukrainien sur lequel l'affrontement est quasi-programmé. Résultat : le Conseil des droits de l'Homme (CDH) gagne en ampleur devant les blocages persistants au Conseil de sécurité, l'organe exécutif des Nations unies. Alors que les pays occidentaux tentent de faire avancer le débat sur la liberté d'expression au plus fort de la guerre internationale contre l'extrémisme violent, Moscou s'active en première ligne pour contrer toute condamnation sur le dossier ukrainien et couvrir son allié syrien, même si celui-ci ne risque à Genève qu'une énième condamnation. C'est là tout le paradoxe : les résolutions du CDH n'ont pas la force contraignante de celles du conseil de sécurité à New York. Pourtant, les vetos russe et chinois à la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) contre les auteurs présumés de crimes de guerre en Syrie ont poussé les autres "partenaires" à déplacer les débats. Le phénomène de politisation évoque les moments sombres de la Commission des droits de l'Homme, ancêtre du CDH, où "l'approche consensuelle" s'est souvent transformée en droit de veto aux mains de ses membres. Malgré tout, le conseil est déjà parvenu à mettre sur pied des commissions d'enquête sur la Corée du Nord, les crimes israéliens à Gaza et les violations des droits humains en Syrie. D'ailleurs, le dossier syrien revient au-devant de la scène avec la très attendue publication de la liste de présumés responsables de crimes de guerre depuis le début de la guerre civile en 2011, dans un souci de les traduire en justice devant la CPI. Tout cela n'empêche pas qu'il persiste nombre de dysfonctionnements le plus souvent liés au poids pesant de la géopolitique et des clivages nord-sud et même d'ordre culturel. C'est la raison peut-être pour laquelle la grogne monte du côté des pays du sud, irrités de se voir la plupart du temps victimes de condamnations ou d'enquêtes de l'ONU en contrepartie d'un blanc-seing pour les Etats du nord. Le Maroc, en tant que l'un des 47 membres du conseil, n'a pas manqué d'appeler plusieurs fois à la non politisation de l'institution onusienne, en affirmant que la priorité doit être de servir la noble cause des droits de l'Homme selon une démarche collective. "Les délibérations deviennent malheureusement polarisées, ce qui contrevient à l'esprit universaliste de la déclaration des droits de l'Homme et des instruments internationaux en la matière", avait affirmé la délégation du Royaume lors d'une précédente session.