Les chiffres de la procédure administrative dérogatoire à l'échelle nationale recueillis par le ministère de l'Urbanisme et de l'Aménagement du territoire, à travers les statistiques des Agences Urbaines qui assurent le secrétariat de la commission de dérogation, révèlent l'ampleur de cette pratique et mettent en évidence les impacts économiques, socio-spatiaux et environnementaux de la dérogation sur l'ensemble du territoire national. Depuis l'application de la circulaire interministérielle n°3020/27 en mars 2003 et jusqu'à la fin de 2013, la commission compétente en matière d'instruction des demandes de dérogations a examiné 13222 projets soit 110 projets traités en moyenne par mois. Le bilan fait ressortir que 7578 projets ont reçu un accord de principe, soit 58%, 4150 demandes ont eu un avis défavorable, soit 31% et 1492 dossiers ont reçu un sursis à statuer, soit 11%. La période d'application de la circulaire de 2003 a enregistré une forte dynamique en matière d'octroi de dérogation en urbanisme. La commission compétente a eu à examiner 9256 projets, avec une moyenne de 128 projets traités par mois, avec un taux d'avis favorables de 59%. Durant la période [2010-2013] qui coïncide avec l'entrée en vigueur de la dernière circulaire de 2010, la commission de dérogation a eu à instruire 3966 projets soit 99 projets traités en moyenne par mois. 2175 projets ont reçu un accord de principe, soit un taux de 55%. Ainsi, le nombre moyen des dossiers examinés par mois a basculé de 128 à 99 et le taux de l'accord de principe est passé de 59% à 55%. Ce constat peut être expliqué, notamment, par les restrictions introduites par la circulaire de 2010, quant aux critères de recevabilité des demandes de dérogations en urbanisme, notamment la nature des projets éligibles, l'intuitu personae des exceptions accordées, la préservation des terrains destinés aux équipements publics, aux espaces verts, aux voies d'aménagement, aux périmètres irrigués, etc. Dans la saisine qui a été adressée au CESE, le parlement a demandé a cette institution de faire une évaluation des communes urbaines de plus de 400000 habitants et celles gérées dans le cadre des critères de l'unité de la ville conformément à la loi 78.00 du 03 octobre 2002 portant réforme de la charte communale. Nous en avons recensé 13, à savoir : Agadir, Casablanca, Fès, Kenitra, Marrakech, Meknès, Oujda, Rabat, Safi, Salé, Tanger, Taza et Tétouan. Ces villes ont totalisé 3209 et 1322 projets soumis à l'examen des commissions régionales de dérogation respectivement durant les périodes [2003-2009] et [2010-2013], soit 36% des dossiers instruits à l'échelle nationale dans ces deux périodes. Ces deux temporalités ont marqué des taux de l'accord de principe de l'ordre de 68% et 63%, ce qui témoigne de la dynamique des grandes villes où se déroule l'essentiel des activités économiques En sus, la superficie présumée mobilisable durant l'espace-temps [2003-2013], s'élève à 27046 hectares. Il est constaté que sur les 7578 projets ayant reçu un accord de principe, seules les superficies supports de 898 projets sont situées dans des zones d'urbanisation nouvelles, couvrant ainsi une superficie de l'ordre de 6649 hectares. Le reste étant des surélévations, des régularisations, des révisions de dispositions réglementaires pour des projets déjà réalisés. Durant la période [2003-2013], l'estimation établie sur le montant d'investissement global déclaré qui pourrait être déduit de la réalisation des 7578 projets ayant eu un accord de principe, dépasse les 583 milliards de dirhams. Les grandes villes ont détenu plus de 58% du montant d'investissement global déduit à l'échelle nationale. S'agissant de la nature des dérogations octroyées, on note la dominance du secteur immobilier comparativement aux autres secteurs. Ce secteur y a représenté des taux moyens de 55% et 51% enregistrés au niveau des régions respectivement pendant les deux périodes [2003-2009] et [2010-2013]. Le taux des projets immobiliers a baissé à cause des restrictions prescrites par la dernière circulaire de 2010. Durant la période [2003-2009], les équipements publics ou privés ont enregistré un taux de 25%, suivis des projets touristiques (11%) et industriels (9%). Dans l'intervalle [2010-2013], les secteurs productifs des richesses, en l'occurrence le tourisme et l'industrie, ont totalisé un taux de 25%. En contrepartie des dérogations accordées, les communes ont pu bénéficier de l'aménagement de nombreux équipements publiques (écoles, hôpitaux, espaces de jeux...), c'était notamment le cas à Casablanca ou le CRI a recensé l'autorisation de 985 équipements, dont 652 publics et 333 privés. Quant aux motifs des dérogations demandées, les demandes de dérogation portent essentiellement sur des territoires couverts par des documents d'urbanisme, soit un taux de 74%. Le reste des demandes des dérogations, soit 26% correspond à des projets situés dans les zones non couvertes par des documents d'urbanisme. Les types de dérogation les plus sollicités sont souvent les changements de zonage et les changements des coefficients d'occupation et d'utilisation du sol. Cela accentue la pression et la convoitise des espaces libres et du foncier public qui devient sujet à spéculation. Par ailleurs la question d'aboutissement des projets traités favorablement revêt un caractère d'importance. Le bilan national de la mise en œuvre de la procédure dérogatoire soulève l'absence de mécanismes de suivi et d'évaluation de mise en œuvre.